Archives de catégorie : Formule entière

En mil neuf cent, par là, un grand-duc de Russie — 1980 (4)

Alain Bosquet Sonnets pour une fin de siècle

Portrait d’un jeune aristocrate

En mil neuf cent, par là, un grand-duc de Russie
venait dans cet hôtel pour aérer son âme,
pleine d’ennui, de force et de fracas. Sa veuve
est enterrée sous le velours d’un sycomore.

Son petit-fils procure – il suffit d’un pourboire –
aux vieux Américains des Anglaises très plates
ou des Suissesses bien en chair. Serguéï, Ivan,
Micha: il a tant de prénoms que l’uniforme

de l’Impérial Palace est son unique orgueil.
Son cher ami, le moniteur, Paul, Jean ou Jules –
car c’est selon – apprend aux dames fortunées

la nage sur le dos, mais leur préfère au lit
quelque boniche. Hélas! la lune est démocrate,
et l’azur se commet avec n’importe qui.

bl

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Je mourrai dans Paris, un jour d’averse, — 1980 (3)

Claude Esteban Poèmes parallèles

Pierre noire sur pierre blanche

Je mourrai dans Paris, un jour d’averse,
Un jour dont j’ai déjà le souvenir.
Je mourrai dans Paris – et je l’accepte –
Et peut-être un jeudi d’automne comme aujourd’hui.

Oui, un jeudi. Car ce jeudi où maintenant j’aligne
Ces vers, j’ai mis mes humérus tant bien que mal,
Et jamais comme aujourd’hui je n’ai fait l’épreuve
Après tout ce chemin, de me voir seul.

César Vallejo est mort, ils le frappaient tous
Sans qu’il leur fasse rien, et tous cognaient
Dur avec le bâton, et dur aussi

Avec la corde encore ; en sont témoins
Ces jours jeudis,  ces os, ces humérus,
La pluie, la solitude, les chemins ….
Vallejo

bl – m.irr – tr

Voiler pourra mes yeux l’ombre dernière — 1980 (2)

Claude Esteban Poèmes parallèles


Constance de l’amour au-delà de la mort

Voiler pourra mes yeux l’ombre dernière
Qu’un jour m’apportera le matin blanc,
Et délier cette âme encore mienne
L’heure flatteuse au fil impatient.

Mais non sur cette rive-là de la rivière
Ne laissera le souvenir où il brûla.
Ma flamme peut nager parmi l’eau froide
Et manquer de respect à la sévère loi.

Ame, à qui tout un dieu a servi de prison,
Veines, qui à tel feu avez donné vos sucs,
Moelle, qui glorieuse avez brûlé,

Laisserez bien le corps, non le souci,
Cendre serez, mais cendres du sensible;
Poussière aussi, mais poussière amoureuse.
Quevedo

bl – m.irr – tr

Tandis que pour lutter avec ta chevelure, — 1980 (1)

Claude Esteban Poèmes parallèles


Mientras por competir con tu cabello

Tandis que pour lutter avec ta chevelure,
Or bruni le soleil vainement étincelle,
Tandis qu’avec mépris au milieu de la plaine
Contemple ton front blanc la fleur belle du lis

Tandis que pour cueillir chacune de tes lèvres
Te poursuivent plus d’yeux que l’oeillet de printemps,
Et que superbement dédaigne, triomphant
Du cristal lumineux, ta gorge souveraine;

Cette gorge, et ce front, ces cheveux, cette lèvre
Cueille-les dès avant que ce qui fut hier
En ton âge doré, lis, oeillet, or, cristal

Argent ne se change, en violette fanée,
Mais plus encore, et toi avec eux mêmement,
En poussière, en fumée, en cendre, en ombre, en rien.
Gongora

bl – m.irr – tr

Alors cette fois merci, quand nous entendrons — 1978 (3)

Paul-Louis Rossi Inimaginaire IV

Sonnet idéologique en quatre langues sur la guerre des paysans

Alors cette fois merci, quand nous entendrons
Le coq chanter et sonner ensemble les cloches
We will be happy: Frères quel travail! Freu dich
Du Schöne … les buches enfin toutes fendrons

Quand à la rude église le gros Luther
Dira son sermon les Seigneurs comme des buches
Nous les fendrons tous, c’est ma foi la riche souche
Qu’il doit cogner pour vivre l’Homme, et lutter

To judge both the quick and the dead … pour juger
Ensemble morts et vivants, dit Thomas Münzer
Oui; conduis-nous comme des rosses aux sommets

Cibus orms et virgum asimo .. Si la mort
En écume nous vient à la bouche plus ne
Prierons ni vivrons jamais comme des porcs

r.exc. – m.irr

à la beauté déserte! ses rôles et ses parcs! — 1978 (2)

Lionel Ray Inimaginaire IV


Dévotion

à la beauté déserte! ses rôles et ses parcs!
A une oreille sonore! à tant d’autres marches
Dans le bleu rare et proche, les tempêtes, la traque!
Aux très hautes partitions! brouillage et départ.

aux pierres des murs endormis! aux lampes-fenêtres!
aux touffes de la parole impatiente! au retour
des rires et des fièvres! aux oiseaux qui cherchent
leur ciel! aux paumes de la pluie! aux roses peintes!

à Notre-Dame de l’Impossible! dame des roches!
à une imploration! à la gaîté fréquente!
aux lèvres du soupçon! aux grilles entrouvertes!

aux nuits sans autrefois des morts, si peu secrètes,
sans paroles brisées, sans dérive et sans cris!
au temps désassemblé! à sa très sûre approche!

r.exc – m.irr

Ces cretonnes ces chutes de tissus croisés par — 1978 (1)

Pierre Lartigue Inimaginaire IV


Ascension en Patchwork pour Cyrano de Bergerac

Ces cretonnes ces chutes de tissus croisés par
pleins camions comme des romans au hasard côte
à côte porte les près de ton oreille Ecoute
Ces pluies de taffetas cassé cette charpie

de tout imaginaire On dénoue quelque part
une fumée de laine sur les dunes des cata-
ractes blanches  aux panaches d’eau chaude prends tous les coptes
prends le Tour du monde d’un gamin de Paris

et dans ces chasses fabuleuses taille découpe cache
ton coeur puis ces pauvres pages cousues à petits
points rêve que le grand vent te happe et t’arrache

papier qui tremble cerf volant frisson de quiche –
nottes  Adieu mines d’or d’Eluard! Adieu pépites!
Adieu glaçons dans les poches de René Char!

r.exc. – m.irr

MUVER à son miroir perd sa propre personne — 1977 (3)

Paul Braffort

Son ‘est non-et »

MUVER à son miroir perd sa propre personne
Mulhierr a d’autres yeux, Shantant n’a pas ce nez.
Ce n’est plus ton visage, ô MUVER!! Non, hideux,
C’est SULFAM qui te fixe au travers du Teepol!

Tu fuis, MUVE, tu fends ces rues où t’encombras
Du blues à Saint-Glinglin l’horrible métaphore!!
Mais chez SULFAM, à Rueil, qui t’accueille? Un parent?
Non! tu te voix, MUVER, en regardant cet homme!!

SULFAM (de glace, lui, face à MUVER en nage!)
Reconnaît ce Pierrot (qui le fixe, béat !!),
Collabo du dimanche à la fleur au béret!!

Or, SULFAM resté seul (pauvre enfant du Limon!)
Ne peut voir dans la glace (outre un piano à queue!)
Que, symbole de chef, « Herr MUVER au piano!!

bl

 » 1. Le titre est une ‘méta-contrainte »: il établit un lien entre la contrainte prosodique (traditionnelle) et les contraintes sémantiques qui découlent de:
2. La conjonction ‘ non-et’ (connue aussi sous le nom de « Symbole de Scheffer ») est une opération définie sur l’ensemble des valeurs de vérité. Sa ‘table de Pythagore’ est

FAUX VRAI
FAUX VRAI VRAI
VRAI VRAI FAUX

Ces valeurs engendrent évidemment les personnages. L’action, elle, est déterminée par:
3. La contrainte définie par Raymond Queneau … sous le titre « La relation x prend y pour z « . En se reportant à ce texte on vérifiera que les premières lignes nous faisaient un devoir de choisir cette contrainte. Il s’agit ici, bien entendu, de la relation: « x regardant y voit z « .
4. Enfin les non-rimes de ce sonnet riment en somme à ceci: il se dit et se dédie tout à la fois.  « 

A nuage muet une morale rie — 1977 (2)

OulipoHommage à Raymond Queneau (Bibliothèque oulipienne) –

d’un autre membre de l’Oulipo

 » Une case vide – longueur des syllabes – dans la Table de Queneleieff est comblée, minimalement, par ce sonnet, selon les règles et aussi quelque ironie. Un clinamen dans le compte des lettres, par absence et excès, dit le destinataire.  Comme la parenthèse à la ligne en plus, coda »

Air


 » Un peu profond ruisseau …  »

A nuage muet une morale rie
il évidera le visage de l’écho
avec une parole même si la co
agulation de la sève le délie

ici, du sol. On a, père, ramé folie
analysé le dé par une face co
limaçon à l’hélice le zéro d’à cô
té le minime six élide la série.

Or, à demi tiré du visible ni su
ni mu sinon ironie timide buée
il anihile le duel de la mesu

re paradis avec la vérité tuée
avive d’acide le silence cela:
lignes en égale (la inutile) la

mort (que l’eau n’émonde son havre de durée)

Q15 – T23 + d – 15v

Fellah, décris-les, tes seins las de pire soûle, — 1977 (1)

OulipoHommage à Raymond Queneau (Bibliothèque oulipienne) –

Georges Perec

Dos, caddy d’aisselles

Fellah, décris-les, tes seins las de pire soûle,
Fedor, relies l’azur tour à tour lent du mot
Rond qu’hélas est vers traqueur – vingt fois de jet – et
Reine si l’âge n’a tout gros, là, dans vert et jais.

Haine: l’art d’Eusèbe éduque orge enroué: front. Mon
Rond, bille où, niant s’il eut bus, faire, où mou, jà, suit.
Lis ça: zéro! l’âpre à Pan, l’oeil outré là et
Les eaux des coeurs montent à temps et plaisent qui fleurent là.

Lis! t’as dit « Merle happé »? Lis: Zippo le moineau
Laisse au con maquis, toi, beau tondu, nuis l’Adam
Lit collant mais là, de noir: l’aye! Sot le porte!

Laisse tes cons! Lutte! monte et mords l’étoile et ce mât
Lies borate où la natte est Kid à serein l’hep!
Les sauts qu’ont l’Un: veuf, l’Hébreu n’était. Le suis-je?

bl – traduction homophonique et palindromique par syllabes d’un sonnet connu.