Archives de catégorie : Permutation de Strophes

Zut, il n’en faut plus, c’est une hypocrite — 1894 (12)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A***

Zut, il n’en faut plus, c’est une hypocrite
A rebours ou c’est une folle ou, mieux,
Une sotte en cinq lettres, mais de vieux
Jeu, trop Second Empire, – et qui s’effrite.

Car jeune elle est très loin de l’être encor
Et la date de sa naissance est un trésor
De suppositions contradictoires.
Cela ne ferait rien sans doute au cas présent,

Moi n’étant plus non plus l’adolescent
Epris de sa cousine, lys! Ivoires!
Mais surtout elle est sotte, démérite

Pire à mes yeux que tous maux sous les cieux
Et, tort non moindre en surplus à mes yeux,
Elle a le don qui fait que je m’irrite.

QTTQ mais disposition standard – 10s 

Le soleil tendre couve à travers le brouillard — 1893 (23)

Paul Delair La vie chimérique

Aux langes

Le soleil tendre couve à travers le brouillard
La terre que la neige enveloppe de langes
Et la terre vagit avec des pleurs étranges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

Il a souffle petit, grand besoin, plainte amère,
Mais il joue au soleil comme au sein de sa mère,
Têtant le bonne flamme aussitôt qu’elle a lui.

Ses sens dorment encor, mais les sillons augustes
Sentent prémir le germe et s’agiter en lui
‘âme de l’avenir, & l’espoir, pain des justes.

Oh ! passe t main d’or sous le pâle brouillard,
Soleil !, mère & nourrice, & berce dans ses langes,
Le dieu futur des blés et des saintes vendanges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

QTTQ v14=v4

Tous deux avons ce travers — 1889 (29)

Verlaine Dédicaces

A Paterne Berrichon

Tous deux avons ce travers
De raffoler des bons vers
Et d’aimer notre repos.

Aussi tout, jusqu’aux hasards,
Punit sur nos tristes peaux
Ces principes de lézards.

Alors parfois nons rancunes,
Ne connaissent plus d’obstacles,
Oeuvrent sans mercis aucunes,
Toutes sortes de miracles.

Si que la pante morose
S’indigne que, mal civile,
La muse métamorphose
Le lézard en crocodile.

s.rev  octo  QU fem – T masc

Savantissimo Doctori — 1889 (28)

Verlaine Dédicaces


A Louis et Jean Jullien

Savantissimo Doctori
Bonissimoque Scriptori,
Au frère et puis encore au frère

Ce sonnet les jambes en l’air
Qui commence à chanter son air
En pur latin de feu Molière !

Ce sonnet pour dire à tous deux
Sur un ton badin mais sincère
Que je les aimes bien et serre
Leurs loyales mains à tous deux.

Louis, malgré le sort contraire,
Salut à vous qui guérissez,
A vous aussi qui punissez
L’ordre bourgeois, Jean, mon confrère

s.rev  octo

Furieuse, les yeux caves et les seins roides, — 1889 (7)

Paul Verlaine –  Parallèlement

Sappho

Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sappho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le long des grèves froides,

Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées;

Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De l’âme va redire aux vierges endormies:

Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, –
Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,
La pâle Séléné qui venge les Amies.

s.rev: ede dcc abba abba

Parfums, couleurs, systèmes, lois! — 1881 (4)

Paul VerlaineSagesse

Parfums, couleurs, systèmes, lois!
Les mots ont peur comme des poules.
La chair sanglote sur la croix.

Pied, c’est du rêve que tu foules,
Et partout ricane la voix,
La voix tentatrice des foules.

Cieux bruns où nagent nos desseins,
Fleurs qui n’êtes pas le calice,
Vin et ton geste qui se glisse,
Femme et l’oeillade de tes seins,

Nuit câlin aux frais traversins,
Qu’est-ce que c’est que ce délice,
Qu’est-ce que c’est que ce supplice,
Nous les damnés et vous les Saints?

s.rev: dcd cdc abba abba – octo

Là-haut, sur ton rocher, comme un aigle en son aire, — 1880 (27)

Louis Audiat in Le feu follet

Angoulème, sonnet
(devise d’Angoulème : FORTITUDO MEA CIVIUM FIDES)

Là-haut, sur ton rocher, comme un aigle en son aire,
Tu vois passer, passer les hommes et les temps,
Calme, te souvenant de ces longs cris de guerre
Qu’ont jetés à tes murs Visigoths et Normands.

La Charente, ce Nil qui dort plus qu’il ne coule,
En un ruban d’argent par tes près se déroule
Et crée autour de toi le printemps éternel.

Tes fils, actif essaim d’une ruche trop pleine,
Qui sont, sans te quitter, descendus dans la plaine,
Ont l’Or, fruit du commerce, et l’Art, rayon du ciel.

Heureuse la cité qui n’a ni meurtrières,
Ni herse, ni créneaux, ni porte à lourds battants,
Et qui, dans sa fierté, dit de ses habitants :
« Leur fidélité vaut des murailles de pierre ! »

QTTQ

Précédé de son ventre et suivi de son chien, — 1879 (13)

Clément Privé in La Lune rousse

Sonnet circulaire

Précédé de son ventre et suivi de son chien,
L’oeil émerilloné, la narine pourprée,
Et le front couronné de bêtise inspirée,
Un bourgeois cheminait à l’entour de son bien.

Il était gras et rose et se portait fort bien.
Il avait bien dîné, la panse était sacrée;
Je ne vous dirai pas qu’il ne pensait à rien.
La terre s’endormait, par le couchant dorée.

Il marchait lentement par le sentier sablé,
Et, calme, il contemplait, le long des oseraies,
Les escargots ventrus, ces prudhommes des haies;

Mais sentant le soleil par les branches voilé,
Il s’arrêta tout court, et dit au chien docile:
« Nous sommes assez loin de notre domicile. »

Il fit un demi-tour, puis vers son domicile
Il revint à pas lents, suivi du chien docile:
Le soleil descendait par les branches voilé,

Les oiseaux se taisaient dans la cime des haies,
Les vent du soir passait au sein des oseraies,
Et l’ombre s’étalait sur le sentier sablé.

Mille doux bruits chantaient à travers la soirée.
Le bourgeois souriant, qui ne pensait à rien,
En s’appuyant sur sa canne à pomme dorée,
Promenait doucement ses gros yeux sur son bien.

Entre temps, son épouse avait trouvé moyen
De le faire cocu; c’était chose ignorée
De monsieur, qui rentra près de son adorée,
Précédé de son ventre et suivi de son chien.

Q14 – T30 + s.rev: eec ddc baba abba –quasi-palindromique vers à vers

Près des lilas blancs fleurissent les roses, — 1874 (21)

Adrien Dézamy in L’Artiste

Trianon Sonnet-réflexe

Près des lilas blancs fleurissent les roses,
Le soleil d’avril sourit dans les cieux,
Et vers Trianon s’envolent joyeux,
Dames et seigneurs, tout blancs et tout roses.

C’est fête : on se rit des esprits moroses.
Les bergers Watteau, d’un air précieux,
Tendant le jarret et clignant des yeux,
Chantent galamment d’amoureuses choses.

Un Tircis azur au regard vainqueur,
Le poing sur la hanche et la joie au cœur,
Danse avec la reine en simple cornette …

La foudre, soudain, fait explosion,
Et, dans un éclair, Marie Antoinette
Lit avec horreur : RÉVOLUTION
————————-
A ce mot nouveau : REVOLUTION,
Le trône trembla. Marie-Antoinette
Sentit s’accomplir la prédiction.

Jetant aussitôt rubans et houlette,
Et pressant l’enfant royal sur son cœur,
La reine devint reine de douleur …

Et, depuis ce temps, plus de moutons roses,
De bergers Watteau, de mots gracieux,
Ni, sur le gazon, de soupers joyeux ;
Plus d’échos disant d’amoureuses choses !

Malgré la tempête et les jours moroses,
Trianon survit – nid silencieux –
Et, quand le soleil sourit dans les cieux,
Près des lilas blancs fleurissent les roses

Q15  T14  + s.rev.  tara – banv

Un chant dans une nuit sans air …. — 1873 (22)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Le crapaud

Un chant dans une nuit sans air ….
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant; comme un écho, tout vif.
Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait: Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud! – Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle!
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue … – Horreur! –

– Il chante. – Horreur!! – Horreur pourquoi?
Vois-tu pas son oeil de lumière…
Non: il s’en va, froid, sous sa pierre.
……………………………………………….

Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.

Ce soir, 20 juillet.

s.rev: eec ddc b’a’a’b’ baab – octo – 15v – La ligne de points en fait un sonnet renversé de quinze vers.