Archives de catégorie : incise

incise 1876

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Ferdinand de Gramont – Les vers français et leur prosodie – Une idée dans un sonnet, a dit Sainte-Beuve, c’est une goutte d’essence dans une larme de cristal- c’est bien restreindre, à ce qu’il semble, la valeur du sonnet. Ne pourrait-on le comparer plus justement  à la pierre fine gravée qui, si l’artiste s’appelle Dioscoride, n’est pas une œuvre de moindre prix qu’une belle stature de marbre ou de bronze ?
Voici toutes règles en quatre lignes : quatorze vers de même mesure, divisés en deux quatrains de rimes et de constructions identiques, et deux tercets disposés de telle façon que, dans leur réunion, il ne se présente pas d’arrangement de rimes reproduisant celui des quatrains
– (13 formes) : abba abba + ccd ede, cdc dee, cdc dcd , ccd cdd, ccd cdc
abab abab + ccd cee, ccd eed, cdc cdd, cdd ccd, ccd dcd, cdd cdd, ccd ccd, cdc cdc
– Une opinion accréditée aujourd’hui veut qu’il n’y ait de régulier que la forme abba abba ccd ede. Il est impossible de voir sur quelle autorité s’appuie cette décision. En quoi la forme qu’on prétend privilégier est-elle plus régulière que les autres ? à proprement parler, elle le serait même moins que celles qui ont leurs tercets pareils.

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incise 1874 (2)

Arsène Houssaye in L’Artiste : «  Le sonnet est le dernier mot de la poésie. Le sonnet permet l’enthousiasme comme la raillerie, la passion comme le scepticisme. C’est une coupe d’or toute petite, où il est impossible de mettre de l’eau dans son vin.

En des sociétés affairées comme la nôtre, où presque tous les poètes chantent dans le désert, le sonnet a cela de beau et de précieux, il force la curiosité. Comment ne pas donner une demi-minute pour lire quatorze vers qui renferment une pensée ou un sentiment ?

Il faut bien le dire, les poëmes et les odes ne sont guère lus que par les poëtes qui ne lisent pas beaucoup eux-mêmes. Alors, à quoi bon tous ces volumes de poésie qui meurent presque toujours avant d’avoir vécu ? Ce n’est point assez d’avoir le feu sacré, il faut le donner à son lecteur.

Tout ceci est pour arriver à dire, qu’à partir du prochain numéro, L’Artiste ne publiera plus que des sonnets. »

incise 1874

– A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874. Sonnets inédits publiés avec le concours de 150 sonnettistes – Aix –

mr de Gagnaud écrit:  » Le sonnet devient, de jour en jour, le moule préféré des poètes contemporains. « Il est à mes yeux, nous écrit Arsène Houssaye, le dernier mot de la poésie ». Ce qu’il y a de sûr, c’est que le temps a passé de ces versificateurs verbeux et vulgaires qui avaient si fort contribué à discréditer la rime et les rimeurs. Si quelque chose peut désormais réconcilier notre siècle avec les vers, ce ne peut être que ce petit poème, à l’allure alerte, au cadre exigu et rempli, et qui vise, non plus au charme banal et prolongé de l’oreille, mais à saisir, comme par surprise, la pensée ou le coeur. Déjà ceux qui ont suivi de près le mouvement littéraire de ces derniers ans ont pu constater que le retour au sonnet semble avoir rendu à la vieille Muse française quelque chose de son relief et de son prestige effacés. Propager le rhythme de Pétrarque, et de Marot sera donc travailler au relèvement de la poésie et, par suite, de toutes les grandes et belles choses dont elle est le véhicule. Telle est la première explication de ce petit livre.  »
Le sonnet, selon lui, pourrait également ‘réduire la désunion politique’. Bigre!
Il propose la création d’une Académie du Sonnet.
L’ouvrage contient également une citation fort intéressante de Baudelaire, écrivant à un ami à propos de Joséphin Soulary. Cette lettre (généralement citée de manière incomplète) contient une des rares réflexions pertinentes dans le siècle sur la forme-sonnet.  » Quel est donc l’imbécile (c’est peut-être un homme célèbre) qui traite si légèrement le sonnet et n’en voit pas la beauté pythagorique? parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Tout va bien au sonnet: la bouffonerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique. Il y a là la beauté du métal et du minéral bien travaillés. Avez-vous observé qu’un morceau de ciel aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux roches, ou par une arcade, etc. donnent une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne? Quant aux longs poèmes, nous savons ce qu’il faut en penser; c’est la ressource de ceux qui sont incapable d’en faire de courts. Tout ce qui dépasse la longueur de l’attention que l’être humain peut prêter à la forme poétique, n’est pas un poème.  » (L’image du ‘morceau de ciel fait penser à Oscar Wilde)
‘ L’homme célèbre’ en question était le père Enfantin (le principal propagateur des idées saint-simoniennes) qui avait envoyé à Soulary (dont un livre de sonnets était imprimé en caractères rares) une virulente admonestation:
« Que faire en un sonnet? pourquoi faire des copies de Raphaël, quand on sait manier le pinceau? pourquoi flûter dans des pipeaux, quand on a l’orgue? Pourquoi imprimer en caractères que personne ne sait lire, et qui seront de l’hébreu avant un siècle, à l’usage seulement de quelques dizaines d’archéologues?
 » Les grands artistes que nous prenons pour modèles, pourquoi les admirons-nous? Précisément parce qu’ils ont été les novateurs de leur temps, les initiateurs deleur avenir, et non pas les copistes, même habiles, de leur passé.
« Je sais bien que Didot et l’imprimerie impériale n’ont pas posé les colonnes d’Hercule; mais celles-ci n’ont pas arrêté Vasco de Gama ni Christophe Colomb, qui ne se sont pas bornés à la Méditerranée et à la Mer Rouge. Les renaissances sont bonnes à défaut de naissances; mais ces résurrections sentent toujours le cadavre et non pas le lait des mammelles maternelles.
« David n’a pas pu ressusciter les Grecs et les Romains, ni Hugo le Moyen-âge, ni Sainte-Beuve Ronsard. Tout cela est bien mort au fond, et même dans la forme, qui n’est plus que figures de cire ou trompe-l’oeil, nature morte, objet de curiosité de cabinet d’amateur.
« Ce n’est pas ainsi que marche la nature. Inspirons-nous donc aujourd’hui du sentiment de progrès qui animait à toutes époques les grands artistes, et qui leur ont fait découvrir et exprimer, dans leur temps, les idées et les formes supérieures à celles de leurs devanciers et de leurs contemporains; idées et formes génératrices de leurs successeurs et de nous-mêmes, et produisons, comme eux, les idées et les formes supérieures aux leurs, et génératrices de leur propre avenir. « .

incise 1873

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1873 est ‘Année miraculeuse’ du sonnet ; paraissent en même temps Le Coffret de santal de Charles Cros et Les Amours jaunes de Tristan Corbière; c’est la troisième des années les plus marquantes, après l’année des Chimères, celle de la première édition des Fleurs du Mal, et avant celle de la publication des Poésies deMallarmé (je n’y joins pas l’année 1998 pour ne pas offenser la modestie d’Emmanuel Hocquard).

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incise 1869

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Louis de Veyrières – Monographie du sonnet , tome Ier. …
RÈGLES DU SONNET- … les règles décrites par Boileau sont légères en comparaison de celles que tout traité de poésie nous impose, et que voici dans leur sévérité :
Les quatorze vers doivent être d’une égale mesure ; ceux de douze ou de huit pieds sont préférables ; les autres, de six, de cinq, de quatre, de trois, de deux et même d’un seul, n’appartiennent guère au genre sérieux ; les vers de dix syllabes, seuls en usage primitivement pour le sonnet, semblent mieux convenir à l’épitre et à la chanson. Un léger repos, pour le moins, est de rigueur après le second vers de chaque quatrain ; il est plus grand à la fin des quatrains et du premier tercet. les deux quatrains, toujours sur deux rimes, ont ces rimes entrelacées de la même façon dans l’un comme dans l’autre ; on n’y peut donc employer des rimes plates consécutives.
Les deux premiers vers du premier tercet riment ensemble ; le troisième vers de ce tercet doit rimer avec l’avant-dernier ou le dernier vers du deuxième tercet, selon l’agencement des rimes des deux quatrains, et en sens inverse, d’après les plus sévères, Malherbe en tête. En un mot, si les deuxième et troisième vers de chaque quatrain riment ensemble, le troisième vers du premier tercet doit rimer avec le deuxième du dernier tercet. Dans le cas contraire, si le premier vers de chaque quatrain s’accorde avec le troisième, les deux premier vers du dernier tercet s’’accordent également, et par conséquent le troisième vers de chaque tercet a une rime semblable.
Il serait désirable que le sonnet finît par un son plein, c’est à dire par une rime masculine.
Comme nous avons quelque peine à décrire ces règles, il est malaisé de s’y reconnaître autrement que par des citations ….

M.Amédée Pommier, un  homme de talent, s’exprime ainsi : « Je ne connais et n’admets qu’une chose, le sonnet régulier, symétrique, sévèrement et méthodiquement construit. Je le veux parfait, avec toutes ses entraves habilement et consciencieusement surmontées : ce n’est qu’à ces conditions qu’il procure à l’esprit comme à l’œil un plaisir pur et complet ».
Si le trait final n’ a rien de saillant, il n’y a point de sonnet !

» mr de Veyrières est le seul, à ma connaissance (remarque de précaution qu’on oublie trop souvent) à mentionner Malherbe comme inventeur de la version la plus stricte des définitions du sonnet, qui a été ensuite popularisée par Banville.

incise 1867

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Théophile Gautier dans Les progrès de la poésie française (à propos de Joséphin Soulary) : – L’école romantique a remis en honneur le sonnet, depuis longtemps délaissé. La gloire de cette réhabilitation appartient à Sainte-Beuve. … Il en a fait… qui valent de longs poèmes, car ils sont sans défauts, et depuis lors cette forme charmante, taillée à facettes comme un flacon de cristal et si merveilleusement propre à contenir une goutte de lumière ou d’essence, a été essayée par un grand nombre de jeune poètes. »

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incise 1866

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Le chapitre s’achève sur les débuts de Paul Verlaine (13-15) et la première livraison du Parnasse Contemporain, qui va servir de modèle à d’innombrables sonnettistes pendant un demi-siècle au moins. J’ai choisi le ‘sonnet estrambote’ de Louis-Xavier de Ricard (17) qui ajoute un troisième tercet, rimé dff. Le recueil se termine par une section intitulée ‘sonnets’, reproduite ici dans son intégralité (18-33). On ne manquera pas de remarquer 24, tout en rimes féminines. Antoni Deschamps
(29) traduit le n°272 du Canzoniere: « La vita fugge, et non s’arresta un’ora »).

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incise 1864

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Alphonse Karr dans De loin, de près (1862), fait du ‘Contre Sainte-Beuve), à propos du sonnet :

…..grand homme inédit,
Ne se répète pas, — n’ayant jamais rien dit…
Ah! pardon, j’oubliais quatorze courtes lignes,
Qui l’ont classé parmi les poètes insignes,
En mil huit cent trente-un. C’est creux, ça ne dit rien;
Mais qu’importe, pourvu que cela rime bien?
Rime riche, et rimant au moins par quatre lettres !
Il se plaça lui-même au nombre des grands maîtres ;
Il fit bien mieux : il prit le parti très-prudent
D’être, à la fois, son dieu, son prêtre et son croyant.
On vit donc éclater cette œuvre belle et rare,
En mil huit cent trente-un ; aussi, depuis cela,
L’histoire, selon lui, commence et finit là.
Tout, avant son sonnet, n’est qu’une nuit barbare ;
Et, depuis le sonnet, lasse d’un tel effort,
La nature épuisée, et forcément avare,
Ne produira plus rien, pendant longtemps encor.
Son sonnet, c’est une ère, une époque, une hégyre;
Tout ce que l’on peut faire, et ce qu’on peut écrire
Se date ainsi : c’était cent ans, dix ans, un an,
Soit avant, soit après ce sonnet étonnant,
Qu’on vit paraître un soir, comme en la plaine bleue
On a vu, de nos jours, une comète à queue,
Date chère aux gourmets, date qu’on voit encor
Aux voûtes des caveaux inscrite en lettres d’or.
J’ai ouï dire par l’un de ses amis intimes,
Que l’on a vu l’auteur de ces quatorze rimes
Demander, un peu gris, le soir, au cabaret,
Du vin récolté l’an qu’apparut le sonnet.

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incise 1860

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Baudelaire (lettre du 18 février 1860 à Armand Fraisse, à propos de Josephin Soulary – lettre souvent citée de manière incomplête, contient une des rares réflexions pertinentes dans le siècle sur la forme-sonnet)
« Quel est donc l’imbécile (c’est peut-être un homme célèbre) qui traite si légèrement le sonnet et n’en voit pas la beauté pythagorique? parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Tout va bien au sonnet: la bouffonerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique. Il y a là la beauté du métal et du minéral bien travaillés. Avez-vous observé qu’un morceau de ciel aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux roches, ou par une arcade, etc. donnent une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne? Quant aux longs poèmes, nous savons ce qu’il faut en penser; c’est la ressource de ceux qui sont incapable d’en faire de courts. Tout ce qui dépasse la longueur de l’attention que l’être humain peut prêter à la forme poétique, n’est pas un poème ».
L’homme célèbre’ en question était le père Enfantin (le principal propagateur des idées saint-simoniennes) qui avait envoyé à Soulary (dont un livre de sonnets était imprimé en caractères rares) une virulente admonestation:
« Que faire en un sonnet? pourquoi faire des copies de Raphaël, quand on sait manier le pinceau? pourquoi flûter dans des pipeaux, quand on a l’orgue? Pourquoi imprimer en caractères que personne ne sait lire, et qui seront de l’hébreu avant un siècle, à l’usage seulement de quelques dizaines d’archéologues?
 » Les grands artistes que nous prenons pour modèles, pourquoi les admirons-nous? Précisément parce qu’ils ont été les novateurs de leur temps, les initiateurs de leur avenir, et non pas les copistes, même habiles, de leur passé.
« Je sais bien que Didot et l’imprimerie impériale n’ont pas posé les colonnes d’Hercule; mais celles-ci n’ont pas arrêté Vasco de Gama ni Christophe Colomb, qui ne se sont pas bornés à la Méditerranée et à la Mer Rouge. Les renaissances sont bonnes à défaut de naissances; mais ces résurrections sentent toujours le cadavre et non pas le lait des mammelles maternelles.
« David n’a pas pu ressusciter les Grecs et les Romains, ni Hugo le Moyen-âge, ni Sainte-Beuve Ronsard. Tout cela est bien mort au fond, et même dans la forme, qui n’est plus que figures de cire ou trompe-l’oeil, nature morte, objet de curiosité de cabinet d’amateur.
« Ce n’est pas ainsi que marche la nature. Inspirons-nous donc aujourd’hui du sentiment de progrès qui animait à toutes époques les grands artistes, et qui leur ont fait découvrir et exprimer, dans leur temps, les idées et les formes supérieures à celles de leurs devanciers et de leurs contemporains; idées et formes génératrices de leurs successeurs et de nous-mêmes, et produisons, comme eux, les idées et les formes supérieures aux leurs, et génératrices de leur propre avenir. « .

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