Archives de catégorie : Mètre

O arbre de Jessé! — 1949 (2)

Pierre-Jean JouveDiadème

O arbre de Jessé!
Je sais que je t’accorde plus que ton lignage
Ne mérite et que le foudroyant été
Descend à mon insu des grâces sur ta face

Vapeur imaginaire du Liban
Pour le pauvre cœur las de l’homme: mais me laisse
Errer dans ma splendeur sous de vastes yeux blancs
Et noire! au maître fou ne montre rien qui baisse.

Mais toi démon sans bords
Salut! jambes fermées sur la pensée
Et la poitrine double et jeune et épuisée

Des yeux de mer à la face brunie aux pieds forts
De l’âme séraphique au postérieur mouvant
Des grossesses d’esprit au vierge éprouvement.

Q59 – T30 – m.irr

C’est un sonnet. Pensant à vous, très belle, — 1949 (1)

Tristan Klingsor Cinquante sonnets du dormeur éveillé

Le sonnet

C’est un sonnet. Pensant à vous, très belle,
A cet iris bordé de cils de nuit
Où la moquerie fait luire une perle,
Je le compose pour tromper l’ennui

Sorcier des mots, hélas! ce soir ne suis;
En habits d’or la syllabe rebelle
Paraît, danse, tournique et puis s’enfuit
Dès que ce niais de Sologne l’appelle

Et si l’amour recommençait sa fête,
Si la folle du logis revenait,
Ah! seriez-vous à cette heure où vous êtes?

Tant pis, je veux en avoir le cœur net;
Encore un vers, voici la chose faite:
N’en doutez pas, belle, c’est un sonnet.

Q11 – T20 – déca (peu réguliers) – s sur s

De l’autre côté de la rue — 1948 (1)

Roger VitracPoèmes délirants


Sonnet paresseux

De l’autre côté de la rue
Dans la fenêtre illuminée
L’ombre d’une femme accoudée
Projette une grande ombre nue,

Sur le trottoir où je t’ai vue
Et combien de fois désirée
Quand tu passais ensoleillée
Sous une ombrelle disparue

Dans l’arbre flambant dans le soir
Comme un lustre dans ton miroir
Penche sur ta tête attentive

Sous la lune en tes yeux doublée
Comment saurais-je Inconsolée
De quel désir tu es captive

Q15 – T15 -octo

Oh que de douleur abonde — 1947 (8)

Mélot du Dy in Jean Paulhan, Dominique Aury – Poètes d’aujourd’hui

Oh que de douleur abonde
Pour ne point nous enrichir
Sous un crâne qui se bombe
A force de réfléchir.

Et bientôt de par le monde,
Je le dis en vérité
Il n’y aura que des monstres
Douloureux d’énormité.

Où qui préfère la simple
Assurance d’une guimpe
A tout autre gonflement?

Où le penseur aux mains vides
Qui jubile s’il avise
Un sein modeste et charmant?

Q32 – T15 – 7s

Sur l’éparse viande des morts — 1947 (7)

Roger Gilbert-Lecomte in Jean Paulhan, Dominique Aury – Poètes d’aujourd’hui

Formule palingénésique

Sur l’éparse viande des morts
Jetez la poudre des griffons
Pour que d’un cadavre en haillons
Naisse un fantôme dont le corps

Veuf de sang orphelin d’eau-mère
Se sculpte au sel marin des pleurs
Dont le cristal d’essence amère
Mime le nombre de la fleur

De la fleur-serpent de l’abîme
Fleur du soleil noir qui fascine
Fleur-vertige des mondes creux

Cette fleur par son cœur de perle
Etant la fleur de ce nouvel
Intersigne et spectre-de-sel.

Q62 – ccx yee – octo

C’est moi le démon des trains dans le noir, — 1947 (4)

Henri ThomasLe monde absent

C’est moi le démon des trains dans le noir,
je fais s’étonner l’ouvrière lasse
qui regarde les lumières du soir
scintiller, danser, virer dans l’espace.

Les wagons seront comme des dortoirs
pour la fièvre, pour les images basses,
je tisonne dans les cœurs, je veux voir
un vieillard nerveux qu’une femme agace,

un adolescent qu’une main réveille,
et j’adore quand cet enfant s’allume
au vampire qui lui parle à l’oreille.

O les profondes chuchotantes nuits!
et quand l’aube vient, couleur d’amertume,
reboutonnez-vous, voyageurs surpris.

Q8 – T24 – tara

Des croix basques décoraient la maison — 1946 (6)

Armen Lubin Le passager clandestin

Sanatorium dans les Hautes -Pyrénées

Des croix basques décoraient la maison
Où des choses élevées étaient en danger de chute.
Les poitrinaires ne pensaient qu’à leurs minces cloisons
Des leurs membres étendus amortissant les disputes.

Au milieu d’une jeunesse restée à l’état larvaire
Les outils nobles avaient été posés de travers
Et tout se refusait. Absence complète
Dans le sentier réservé au passage du prophète.

Mais le pays d’automne bruissait le soir
Lorsqu’une mésange sur une poitrine en dentelle
Se posait avec sa confiance intacte.

Délicates ondes et bondissantes goutelettes
Nous rassuraient sur les intentions réelles des Pyrénées
Déjà presque seraines par endroit,
La boite à outils devenait visible au sommet de l’Ararat.

Q58 – T exc – m.irr – 15v

La pâleur des gestes sous la lune — 1946 (3)

Jean CayrolPoèmes de la nuit et du brouillard

Demeure de l’ancien temps

La pâleur des gestes sous la lune
la soie d’un visage ancien qui se dévoue
la blanche demeure des sentiments à genoux
une bouffée d’étoiles qui meurt sous la dune

la nuit à la démarche lente des pleurs les appétits
calmés sans l’avoir connu le goût du pain
l’eau repos de l’insecte tout petit
qui remonte le long des tiges sous la main

l’offrande d’un regard où brille un dieu muet
te souviens-tu je l’ai aimé depuis longtemps
le vieux code de la misère

la vie la vie qui plaît
qui se brise soudain comme un verre
et répandu sur la mort le vin de l’Ancien Temps.

Q62 – T37 – m.irr

Par exemple, menteur, saigne — 1946 (1)

Olivier Larronde Les barricades mystérieuses

Le sonnet du menteur

Par exemple, menteur, saigne
Ta langue, et rougie comme l’eau
Cette joue voisine du feu
Un mensonge nous colore

Presque. Dresse tes mains au jeu
Des langues, fleur et flamme; alors
D’une curieuse haleine en plumes
Je rapproche ventre qui bouge.

Ma bouche au tisonnier j’allume,
N’espérons plus s’il n’est rouge.
Vexé que mon cœur déteigne,

J’efface tout et je signe
(Profitant du doigt qui saigne)
Sur un arbre des dimanches.

bl – 7s

Ce qui sera bientôt ne sera plus ; — 1945 (10)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Derniers vers

Il disperato

Ce qui sera bientôt ne sera plus ;
Demain se meurt au cœur de ce jour même :
Derrière moi, qui perdrai ce que j’aime,
Du temps futur s’enfuit vraiment le flux.

Jours qui viendrez, vous êtes révolus,
Gens qui naîtrez, enfants que l’amour sème
Dans l’avenir aux couleurs de poème,
Vous êtes morts qui vivrez superflus.

La vie est riche en fausse pierrerie ;
S’il t’arrivait que l’heure te sourie
Tiens l’espérance une vieille catin :

Vois sous son fard l’éternelle grimace,
Garde ta bouche, ou crains demain matin
Qu’elle ait baisé quelque immonde limace.

Q15  T14  déca