Archives de catégorie : Mètre

si je suis mort et cet état naissant — 1993 (13)

William CliffAutobiographie

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si je suis mort et cet état naissant
parle aux vivants et de mort et d’extrême
les plus sérieux me semblent les enfants
qui ne savent pas qu’ils le sont eux-mêmes


et eux me réparant des vrais sérieux
qui le sachant ne savent rien  de l’être
savent pourtant le sérieux être en eux
s’ils savent rire et angoisse connaître


c’est d’extrême et de folle tragédie
que ces enfants ont besoin pour jouer
et les craignant l’homme se congédie


dans sa prison
manger l’obscurité
où de sa vide volonté il gère
son  » administration pénitentiaire « 

Q59 – T23 – déca

sans cesse je rêvais d’avoir des rapports sexuels — 1993 (11)

William CliffAutobiographie

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sans cesse je rêvais d’avoir des rapports sexuels
avec des mineurs d’âge nus en été sur des plages
ou bien dans ces forêts remplies de poisons naturels
dont en moi je garde toujours la nostalgique image

et plus je me sentais coupable d’avoir ces pensées
et plus ces pensées m’attiraient et plus je me croyais
le seul à les avoir ainsi j’eus l’idée insensée
d’être un monstre tel que que le monde n’en a jamais fait

au lieu d’étudier je traçais des dessins me montrant
un beau garçon en caleçon à l’avant d’une barque
et qui regarde vers le large et sans qu’il le remarque

fait voir dans son intimité les charmes obsédants
et aujourd’hui malgré tant de corps que j’ai pu étreindre
je rêve encor du corps dont j’ai jadis tracé l’empreinte

Q59 – T30 – 14s

un jour j’eus la révélation de la littérature — 1993 (10)

William CliffAutobiographie

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un jour j’eus la révélation de la littérature
dans le récit que fait Chateaubriand de son enfance
de la terreur qu’il eut devant son père et de sa dure
condition d’enfant à Combourg dont la sinistre ambiance

le soir avec ce père qui n’arrêtait pas de faire
armé d’un bonnet dressé sur sa tête les cent pas
me rappelait celle qui aussi me terrorisa
dans mon enfance avec un père aussi autoritaire

j’appris par ce récit n’être plus tout seul à souffrir
ce fut comme un voile levé sur mon âme sauvage
écrire alors devint pour moi le geste qui relie

tous ceux qui ont senti au fond d’eux-mêmes ces messages
graves que le monde méprise et tourne en dérision
mais dont par la littérature on a la révélation

Q60 – T23 – 14s

il y avait au réfectoire de hautes fenêtres — 1993 (9)

William CliffAutobiographie

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il y avait au réfectoire de hautes fenêtres
d’où l’on voyait de grands sapins s’élever dans le ciel
et le matin quand la lumière gagnait l’atmosphère
ce ciel et ces sapins prenaient des couleurs surréelles

et en hiver quand la neige habillait ces conifères
de brillante blancheur alors la vue était encor
plus surprenante à cause des mauves que la lumière
frappant la neige des sapins nous envoyait alors

nous regardions ces choses solennelles comme si
elles n’étaient qu’un avant-goût des choses que la vie
plus tard nous ferait découvrir sans penser que plus tard

rien d’aussi beau jamais ne viendrait à notre regard
parce que la beauté ne vient pas de la chose même
mais de l’étonnement de l’oeil qui se pose sur elle

Q59 – T13 – 14s

l’hiver nous eûmes froid et les hivers étaient très longs — 1993 (8)

William CliffAutobiographie

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l’hiver nous eûmes froid et les hivers étaient très longs
je me souviens d’un hiver où la Meuse fut gelée
on pouvait la passer avec des chariots et même on
fit un feu au milieu pour rire de sa destinée

et nos bâtiments mal chauffés nous donnaient des frissons
nous aimions rentrer dans nos lits à la fin des journées
nous y mettre en chiens de fusils et trembler avant qu’on
sente enfin le lit rechauffer nos chairs frigorifiées

alors tels des noyés nous entrions au fleuve-sommeil
longtemps la nuit si longue et noire de l’hiver ce fleuve
nous traînait dans son lit pour nous soumettre à des épreuves

dont nous perdions tout souvenir au moment du réveil
quand le matin nous poussait en ouvrant ses glauques voiles
vers un évier dont l’eau glacée nous mordait jusqu’aux moelles

Q8 – T30 – 14s

nous avions entre frères ce qu’on nomme des ‘rapports’ — 1993 (7)

William CliffAutobiographie

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nous avions entre frères ce qu’on nomme des ‘rapports’
il s’agissait pour nous de faire pièce à l’oeil sévère
qui voulait nous nier d’avoir aucun plaisir du corps
duquel les pères veulent être seuls dépositaires

et c’est déjà le désir de tuer leurs géniteurs
qui pousse les enfants à perpétrer entre eux ces choses
mais ce faisant ils ont en eux une sombre rumeur
qui leur dit qu’ils font mal et que la vie est autre chose

images de grands chevaliers aux corps couverts de fer
renversés sur le sol glacé des forêts médiévales
flèches de bois entrées à l’intérieur des vives chairs

et qu’on arrache avec du sang bien que ça fasse mal
beaux chevaliers dont le fer crie et reluit au soleil
vous dormiez dans nos lits la face tournée vers le ciel

Q59 – T23 – 14s

je me souviens de la Libération — 1993 (5)

William CliffAutobiographie

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je me souviens de la Libération
nous fûmes déguisés ma soeur et moi
en petits pages tenant les cordons
d’un écusson et le cortège alla

à travers les rues au milieu des sons
de fanfare et ne comprenant rien à
cette fiesta que les gens faisaient là
j’ouvrais mes grands yeux de petit garçon

sans savoir où nous conduisait tout ça
ce jour-là ce fut sur une étendue
où toute la cité s’était rendue

plus jamais je n’ai vu un tel fatras
de gens massés errant sans autre vue
que celle de se voir et d’être vus

Q9 – T29 – déca

enfant je restais longtemps à jeter de longs regards — 1993 (2)

William CliffAutobiographie

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enfant je restais longtemps à jeter de longs regards
à travers la fenêtre de notre ennuyeuse école
et recevais pour prix de m’être encore mis en retard
des coups des punitions  » il n’est pas de mauvaise vol-

onté  » disaient devant la grande colère de mon père
mes maîtres mais ni coups ni punitions ne pouvaient m’em-
pêcher de rester le regard tourné vers les fenêtres
austère de notre ennuyeuse école en ce moment

alors que la vie décline et s’en va je continue
à jeter des regards traînards à travers les fenêtres
sans craindre coups ou punitions car mon père et mes maîtres

ne sont plus là pour m’en donner et aux nues inconnues
je donne en liberté mon âme assoiffée du sommeil
brumeux qu’elle aime voir errer dans les fumées du ciel

Q59 – T30 – 14s

Ravaler à merci la face — 1993 (1)

Nathalie GeorgesSonnets dispars

Infinitif

Ravaler à merci la face
Au ciel endolori se pâme
Oisive une pensée lasse
D’habitude abrégée d’âme

Prendre ses racines à son cou,
Y agréger sans s’y fier
La pâte meurtrie du jour –
Raccommoder les restes frais

Traiter l’ordure rendue à gué
De la mémoire massicotée
Rabouter l’ombre à son étant

Et s’enfoncer dans la lumière
Mordre la terre à pleines dents
S’ébattre sur son coeur de pierre.

Q59 – T14 – octo

Au vif désir de pénétrer — 1992 (5)

Henri Bellaunay Petite anthologie imaginaire de la poésie française

Plusieurs sonnets, III

Au vif désir de pénétrer
En une terre tendre et trouble
Peut certaine absence obvier
(Et de la lourde croupe double)

Plus vierge qu’une vergue bas
Plongeante avec la caravelle
Ou les insuffisants émois
D’un oiseau aux trop grêles ailes

Il regardait sévèrement
Comme d’une qui a failli
Le tenace assoupissement
De quelque mandore abolie

Qui ne l’avait su mener qu’au
Si pâle soupir du fiasco
(Mallarmé)

shmall – octo