Archives de catégorie : Mètre

Patiente luit séculaire —1991 (3)

Claude- Michel Cluny Oeuvre Poétique, I

L’olivier

Patiente luit séculaire
l’huile de lente clarté
Sa pluie-cendre et lumière
Est l’ombre de l’olivier.

Paix blonde à l’âme sévère
aiguise ma vérité
Epuise mon encre amère
profonde et pure à moitié.

Le temps me marqua, olivier
tors comme toi mais peu sage
sauf parfois en amitié.

L’encre éclairera ma page
(la nuit l’est par ton feuillage)
songe bref d’avoir été.

Q8 – T21 – 7s

Seins de glace ou d’enfer, orage — 1991 (2)

Guy Goffette La vie promise

La montée au sonnet (Pour un art poétique)
Muses

Seins de glace ou d’enfer, orage
En plaine et la mer entre les collines
Agenouillant sans mot dire celui
Qui n’avait soif que de lui-même.

Le temps présent à ses mots, le voici
Sans paroles jeté hors du poème,
Chair à nouveau et feu et eau,
Porte battante battant le coeur

Comme une grange de l’été paille et poutre
Avec la mort petite et sourde
Qui s’impatiente, voudrait parler,

Parler, de plus en plus haut,
Jusqu’à ne plus entendre qu’elle,
Dans leur bouche, qui muse.

r.exc. – m.irr

C’est la vie qui vous fait mourir, — 1991 (1)

Guy Goffette La vie promise


Le voyageur oublié (sur un vers de Claude Roy)

C’est la vie qui vous fait mourir,
Ecriviez-vous dans ce poème où tout
Demeure à vif: le crépitement des trolleys,
La nuque de l’amante à son miroir

Et jusqu’à la jeune morte sur son lit,
Tellement sage qu’on ne sait plus
Si c’est le temps qui passe ou nous
Qui passons à travers lui, les mains vides,

Comme un train somnambule à travers
La campagne endormie – et le voyageur
Oublié dans le creux de ses bras

Est un lac au soleil de midi, un lac
Que rien ne trouble, pas même le reflet
Du corps penché  qui tremble dans la vitre.

r.exc.  – m.irr

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar — 1990 (9)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

« Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar »

Etincelante étoile, constant puissè-je à ton instar
Non pas naviguer seul dans la splendeur du haut de la nuit
A surveiller de mes paupières pour l’éternité désunies,
Comme de la nature l’ermite insomnieux et patient,

Les eaux mouvantes dans le rituel de leur tâche
D’ablution purifiante des rivages humains de la terre,
Ni contempler le satin du masque frais tombé
De la neige sur les montagnes et sur les landes –

Non, mais toujours constant, toujours inaltérable,
Avoir pour oreiller le sein mûr de mon bel amour,
Afin de sentir à jamais la douceur berçante de sa houle,

Eveillé à jamais d’un trouble délicieux,
Toujours, toujours ouïr de sa respiration le rythme tendre,
Et vivre ainsi toujours – ou bien m’évanouir dans la mort.
( » Bright star! would I were steadfast as thou art »)

r.exc – m.irr – sns – tr

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or, — 1990 (8)

John Keats trad. Robert DavreuSeul dans la splendeur

Après m’être plongé pour la première fois dans l’Homère de Chapman

J’ai beaucoup voyagé aux royaumes de l’or,
Ai vu bien des états et monarchies prospères,
Ai fait le tour de bien des îles d’Occident
Que des bardes pour fiefs ont reçu d’Apollon.

Souvent l’on m’a parlé d’une vaste contrée
Qu’Homère aux noirs sourcils possédait pour domaine:
Jamais pourtant je n’en avais humé la sérénité pure
Avant d’ouïr Chapman et sa voix de stentor.

Alors je me sentis comme un veilleur des cieux
Quand une planète nouvelle apparaît dans son champ de vision
Ou comme le vaillant Cortez quand, de son regard d’aigle,

Il scrutait le Pacifique – et que tous ses hommes
L’un l’autre s’épiaient, perdus en conjectures –
Silencieux, du haut d’un pic de Darien.

(On first looking into Chapman’s Homer)

r.exc. – m.irr – tr

Plage. On n’ose croire à sa pâleur. — 1990 (7)

Jean-Charles Vegliante Sonnets du petit pays entraîné vers le nord

Vacance

Plage. On n’ose croire à sa pâleur.
L’aube s’éloigne sans qu’il ait su la prendre.
Un sang reflue dans la nacre où pleurent
des vagues menacées par l’été de cendre.
La mer est striée de flammes vertes.
Aux bords alourdis de pailles et de balle
lentement tourne une forme inerte,
comme un ancien chagrin le gouffre l’avale.
Oui, la brûlure à présent s’enfonce
dans le noir profond. La mémoire aveuglée
ne sait même plus quel mal l’offense,
quelle faille est ouverte prête à céder …
Il avance sur l’estran de sable
que des courants biais vont disperser ailleurs.

ababcdcdefefxy – m.irr – sns

Tu as un visage de femme que la Nature a peint, — 1990 (6)

Jean-François Peyret (trad.) Quarante sonnets de Shakespeare traduits par .. pour servir à la scène –

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Tu as un visage de femme que la Nature a peint,
Toi, Maître et maîtresse de ma passion,
Tu as un coeur tendre de femme qui ignore
L’humeur traîtresse des trompeuses femmes.

Plus brillant, moins trompeur, ton oeil quand il se tourne
Et illumine l’objet sur lequel il se pose;
Un homme parfait, maître de toutes les perfections,
Qui séduit les yeux des hommes, et ravit les âmes des femmes.

Tu fus d’abord créé pour être femme
Mais la nature en te faisant s’éprit de toi
Et par un ajout vint me frustrer de toi,
Ajoutant quelque chose dont je n’ai pas l’usage.

Puisque te voici armé pour le plaisir des femmes,
A moi ton amour, à elles, la jouissance de ton amour.

bl – m.irr – disp: 4+4+4+2 – sh

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert — 1990 (5)

Jacques RédaSonnets dublinois

Galway

J’ai manqué de peu l’autocar qui dessert
Les bords occidentaux du Connemara
Dont j’avais rêvé : son brusque démarrage
M’a fait voir l’inconsstance des dieux. Et certes

Autrefois j’aurais mieux couru. Mais que sert
De courir après la chance qui m’aura
Servi plus souvent qu’à mon tour de courage ?
Le dépit avec la raison se concerte.

En effet en un jour, touriste pressé,
Qu’aurais-je appris de la farouche étendue
Qu’il faut affronter seul et presque perdu

Loin, lontemps, sans but, sans arrière-pensée
De retour, si l’on veut atteindre le port
Où s’embarquer enfin comme on s’évapore ?

Q15  T30  rimes « hétérosexuelles »  11s

Des pas coulés dans le bitume ont un éclat de cuivre: — 1990 (3)

Jacques RédaSonnets dublinois

Ulysses

Des pas coulés dans le bitume ont un éclat de cuivre:
Ce sont les traces du héros de ce fameux roman
Qui circule à travers Dublin, l’agite et le délivre
De son destin provincial – étrange monument

Où tous les récits ont trouvé leur aboutissement
Convulsif dans une Odyssée ironiquement  ivre.
Quand on accompagne ces pas, il arrive un moment
Où l’on se demande où l’on va: dans la ville, ou le livre?

Mais bientôt on s’y perd. Un circuit déjà personnel
Se dessine qui vous ramène aux abords d’O’Connell
Bridge où devant la Poste à l’imposante colonnade.

On y discerne des éclats de balle ou de grenade,
Et c’est l’histoire vraie alors, et ses héros de sang,
Qui mêlée à l’imaginaire absorbe le passant.

Q11 – T13 – 14s