Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

Tous ces messieurs passent trop vite — 1922 (5)

Mélot du Dy in Le Disque vert

Charlie & Touchstone in the Forest of Arden

Tous ces messieurs passent trop vite
Au gré d’une vue immortelle;
Le mouvement de cette ville
Est difficile à supporter.

Permettez-donc que je vous quitte
Pour m’en aller à la campagne.
Adieu! je veux vivre tranquille.
Le bonheur ne vous comprend pas.

Bonheur de la forêt, le calme…
Mais où fuir ce monde cocasse?
L’arbre même est articulé

Sous l’écorce dissimulé
Un bouffon mime la sagesse;
Quelle forêt de petits gestes!

Q32 – T13 – octo  – certaines rimes approximatives

Dans un numéro de cette revue en l’honneur de Charles Chaplin.

Ce torse debout n’ose encore — 1922 (4)

Jean Cocteau Vocabulaire

Sonnet de la baigneuse

Ce torse debout n’ose encore
Etre, nu, ce dont il a l’air,
A savoir le haut d’un Centaure
Dont la croupe serait la mer.

D’une rose où cesse la chair
Que quelque frisure décore,
Commence le pelage vert;
Mais un même sang les colore.

Pauvre fille des demi-dieux,
Combien Vous aimeriez mieux
Pour une baigneuse être prise

Par trop, feignant d’avoir quitté
Notre terre et votre chemise,
Infidèle à l’Antiquité.

Q11 – T14 – octo

Dures grenades entr’ouvertes — 1922 (3)

Paul ValéryCharmes

Les grenades

Dures grenades entr’ouvertes
Cédant à l’excès de vos grains,
Je crois voir des fronts souverains
Eclatés de leurs découvertes!

Si le soleil par vous subis,
O grenades entre-bâillées,
Vous ont fait d’orgueil travaillées
Craquer les cloisons de rubis,

Et que si l’or sec de l’écorce
A la demande d’une force
Crève en gemmes rouges de jus,

Cette lumineuse rupture
Fait rêver une âme que j’eus
De sa secrète architecture.

Q63 – T14 – octo

Madame, de ce jour vous souvient-il encore — 1921 (18)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet serpentin

Madame, de ce jour vous souvient-il encore
Qui s’écoula pour moi si rapide et si doux,
Où, de l’aurore au soir et du soir à l’aurore,
Je ne fis que vous voir ou que penser à vous ?

Un bon feu pétillant dans le foyer sonore,
Dehors un temps de chiens orné d’un froid de loups,
Et moi les yeux fixés sur deux yeux que j’adore,
Sans fâcheux importuns et sans témoins jaloux ;

Et puis le soir, plein de mystère et de silence,
De vos lèvres faisant tomber la confidence,
Et tout bas dans mon cœur balbutier l’amour ;

Puis la nuit m’endormant sous le toit où vous êtes,
Pleine pour moi de trouble et d’angoisses secrètes…
Vous souvient-il encor, Madame, de ce jour ?

Q8 – T15  ‘sonnet serpentin’ : le dernier vers reprend plus ou moins le premier

Le chemin est facile et doux, la marche lente, — 1921 (17)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet renversé

Le chemin est facile et doux, la marche lente,
L’œil va des champs pleins d’ombre au soleil éclatant,
Et rien ne presse encor l’allure nonchalante
Du voyageur timide au regard innocent.

Puis, c’est une colline âpre mais verte encore ;
L’horizon plus voisin s’échauffe et se colore,
On marche plus ardent vers un but souhaité ;

Plus loin, c’est la montagne abrupte ; les broussailles
A nos pieds fatigués font de rudes entailles ;
Le souffle est court, le col tendu, le pas heurté.

Le mont s’abaisse enfin : le long de l’autre pente,
Pesamment, le front lourd et courbé, l’on descend,
Et, las de soutenir sa course chancelante,
Le voyageur dans l’ombre éternelle s’étend.

QTTQ

Tu fus un bon bourgeois de ta petite ville, — 1921 (16)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Emmanuel Kant

Tu fus un bon bourgeois de ta petite ville,
Tu vécus solitaire et comme clandestin ;
Sans jamais réfléchir un horizon lointain,
Le ruisseau de tes jours coula calme et tranquille.

Mais tout jeune tu pris ton front pur dans ta main,
Dédaignant du dehors le tumulte stérile,
Et de tes yeux fermés le regard immobile
Traversa, net et froid, l’ombre du cœur humain.

Là, levant lentement les lourds voiles du doute,
Comme une lampe d’or pendue aux saintes voûtes,
Tu vis la Loi-Devoir écrite en traits de feu.

Et tu te relevas plein d’une fierté franche…
Tu t’aperçus alors que ta tête était blanche
Et, les yeux vers le ciel, tu t’écrias : « Mon Dieu !

1873.

Q16 – T15

Avoir beaucoup d’amour et très peu d’espérance, — 1921 (15)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet libertin

Avoir beaucoup d’amour et très peu d’espérance,
Donner tout à son frère et n’en attendre rien,
C’est encor ici-bas la dernière science
De l’homme raisonnable et de l’homme de bien.

C’est trop lui faire honneur que compter sur le monde,
Oser le mépriser c’est s’estimer bien haut,
Et vivre indifférent c’est une joie immonde
Que savent goûter seuls le moine et l’escargot.

Il faut aller tout droit dans le sillon du juste,
Le cœur rempli d’amour, l’esprit plein de raison,
Semer tranquillement sans espoir de moisson,

Et lorsque de la mort a sonné l’heure auguste,
Croiser enfin les bras, s’étendre en son cercueil
Et s’endormir, sans peur, sans désir, sans orgueil.

Q59 – T30

Vierge feuillet, pensée ardente — 1921 (11)

Paul Morin Poèmes de cendre et d’or (ed. Jean-Paul Plante 1961)

Vierge feuillet, pensée ardente
Langueur des soirs de désaccords
Entre le trop paresseux corps
Et l’âme trouble et trépidante ;

Futile regret qui me hantes
Des spontanés poèmes, morts
De trop de parfums, de trop d’ors,
Dès leur naissance fulgurante ;

Ecrasé sous le fardeau du
Quotidien labeur obscur,
Moi, jadis frère de l’azur,

Faut-il que toujours je me lève,
Evoquant le rythme perdu
Des vers royaux qu’on fait en rêve ?

Q15  T34 – octo

Le rire tenait sa bouteille — 1921 (10)

La vie des lettres et des arts

Paul Eluard

Bouche usée

Le rire tenait sa bouteille
A la bouche riait la mort
Dans tous les lits où l’on dort
Le ciel sous tous les corps sommeille

Un clair ruban vert à l’oreille
Trois boules une bague en or
Elle porte sans effort
Une ombre aux lumières pareille

Petite étoile des vapeurs
Au soir des mers sans voyageurs
Des mers que le ciel cruel fouette

Délices portées à la main
Plus douce poussière à la fin
Les branches perdues sous la rouille

Q15  T15  octo (irr.)

Le ballon bleu de la pendule — 1921 (9)

La vie des lettres et des arts

André Breton

Titre

Le ballon bleu de la pendule
Et les petits nids des manchons
C’est là-dessus que nous couchons
Notre matin est incrédule.

A l’écureuil fou qui recule
La hampe offre ses cabochons
De faux rubis et nous trichons
Pour passer l’eau quand elle ondule

Les comédiens du bosquet
Sauvent le puits où l’on vaquait
A ses conquêtes en musique

Un évêque éteint nommé Jean
Ramène sa chape de brique
Sur le grand espace changeant

Q15  T14  –  banv – octo

Banvilien de sructure (ce que ne sont pas ceux des deux acolytes) le sonnet de Breton n’est pas régulier en ses mots-rimes : « jean / changeant » !