Archives de catégorie : Genre des rimes

Pasteur, nous n’irons plus aux pâtis de l’aurore, — 1917 (2)

Jean Royère Par la lumière peints

Pasteur
A Gustave Geffroy

Pasteur, nous n’irons plus aux pâtis de l’aurore,
Tous mes agneaux sont morts d’avoir brouté l’azur;
Je veux, scellant sur eux l’ombre du clair-obscur,
Fermer notre bercail au soir qui vient d’éclore.

Un tendre clair de lune endormi sur un mur
Sera l’écho pensif de mon été sonore,
La seule volupté par quoi je puisse encore
Feindre au couchant du rêve un lendemain plus sûr.

Mais par les trous du toit dans la crèche où je couche
Mon âme a frissonné divine moins que lui
De sentir s’allumer aux astres qui m’ont lui
Le baiser de mes vers descendu sur ma bouche,

Fantôme dont la nuit s’éclaire d’un flambeau
Pendant que l’autre azur succède à son tombeau.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2

Dans un puits, frère humide et profond des colonnes — 1917 (1)

Jean Cocteau Embarcadères

Fait-divers baudelairien

Dans un puits, frère humide et profond des colonnes
Dont l’orgueil montre au ciel des dieux de marbre et d’or
Dans un puits tapissé de mousse et d’ombre, dort
Une morte que l’eau glaciale ballonne.

La fermentation fait un bruit de pourceau,
Gouttes, tétons têtant, bulles pleines de lie.
Qui êtes-vous terrible et puante Ophélie,
Le crâne défoncé par les chutes du seau?

Ce faîte dans des cieux d’aster et de grenouilles
Ce trou en haut duquel,  comme Napoléon
Ier, place Vendôme et la Vénus des fouilles

Tu règnes, vierge pâle au ventre de ballon,
Décompose ta force et jalousement cache
Un désastre qu’il faut que tout le monde sache.

Q63 – T23

Pâle, et sentant en moi vibrer des accords sombres, — 1916 (2)

Francis Ponge in Oeuvres, II (ed.Pléiade)

Sonnet

Pâle, et sentant en moi vibrer des accords sombres,
J’écoutais s’élever la mélopée du vent,
Douloureux adagio dans le soir angoissant,
Plainte ardente, sanglot tumultueux de l’ombre.

Serait-ce le total de tous les hurlements,
Dans tous les craquements du navire qui sombre,
Des gémissements sourds s’exhalant des décombres,
De tous les pleurs, de tous les grincements de dents?

Hélas non! Je sais trop que ce n’est que le bruit,
Lamentable et lugubre au tomber de la nuit,
Du vent crépusculaire attardé dans les branches.

De la lointaine Action rien en vient jusqu’à nous.
On voudrait s’élancer, se griser de revanches!
Mais on ne peut qu’attendre, et tomber à genoux.

Q16 – T14

Ils sont si monstrueux ces démons de bataille, — 1916 (1)

Jean Aicard in Les sonnets de la guerre (ed. Marie-Rose Michaud- Lapeyre)

Allemagne au-dessus de tout

Ils sont si monstrueux ces démons de bataille,
Leur orgueil dans la honte est si démesuré,
Leur génie criminel est si bien démontré,
Que l’on ne trouve pas d’épithète à leur taille!

Tous les noms flétrisseurs vont bien, vaille que vaille,
Au uhlan le plus vil comme à son chef titré,
Mais on n’a pas encor de terme consacré,
Qui marque au front ce peuple affreux, on y travaille.

Filou, voleur, bandit, lâche, assassin hideux,
Pour juger le soldat du fier Guillaume II,
C’est pauvre et l’on n’y voit que pâles synonymes,

Eh bien, pour évoquer l’horreur des plus grands crimes,
Ne cherchez pas très loin un mot plus infamant
Que celui-ci, le plus simple: « crime allemand ».

Q15 – T13

Belladones et Cimarose — 1915 (9)

Paul Dermée in Sic

Jeu

Belladones et Cimarose
Miroirs lumineux des Songhas
Ma seule amie au cœur de rose
Touffes d’ivresse ô Seringa.

Cinnamones et primerose
Subtil horizon des lampas
La chair que ma tendresse arrose
Semble un lotus clos sous mes pas.

Cétoine à l’eau vive d’aurore
L’azur est là que le ciel dore
La cinéraire est mis au bois.

Vois la surprise aux yeux qu’on aime
Les soudains appels d’un hautbois
Soupirs ailés du dieu suprême.

Q8  T14  octo

France, France, la douce, entre les héroïnes — 1915 (8)

D’Annuzio in Guy Tosi : La vie et le rôle de D’Annunzio en France au début de la Grande Guerre (1961)

France, France, la douce, entre les héroïnes
Bénies, amour du monde, ardente dans la croix,
Comme aux murs d’Antioche, alors que Godefroi
Sentait sous son camail la couronne d’épines,

Debout avec ton Dieu comme au pont de Bouvines,
Dans ta gloire à genoux comme au champ de Rocroi,
Neuve immortellement comme l’herbe qui croît
Au bord de tes tombeaux, au creux de tes ruines,

Fraîche comme le jet de ton blanc peuplier,
Que demain tu sauras en guirlandes plier
Pour les chants non chantés de ta jeune pléiade,

Ressuscité en Christ, qui fais de ton linceul
Gonfanon de lumière et cotte de croisade,
« France, France, sans toi le monde serait seul »*

* Hugo – La légende des Siècles – les fléaux

Q15  T14 – banv –

Lundi huit février ma biche — 1915 (7)

Guillaume Apollinaire Poèmes à Lou


Sonnet du 8 février 1915

Lundi huit février ma biche
Ma biche part
Suis inquiet elle s’en fiche
Buvons du marc

Vrai qu’au service de l’Autriche
(Patate et lard)
Le militaire est très peu riche
Je m’en fous car

Il peut bien vivre d’Espérance
Même il en meurt
Au doux service de la France

Un Artilleur
Mon âme à ta suite s’élance
Adieu mon cœur

Q8  T20 – 2m : v.impairs octo, vers pairs 4 syll