Archives de catégorie : Genre des rimes

Existe-t-elle encor, cette île — 1893 (21)

Paul Verola Les baisers morts

Evocation

Existe-t-elle encor, cette île
Où le baiser, toujours vainqueur,
S‘épanouit dans chaque cœur,

Où la moindre brise distille
Des arômes ensorceleurs
Sur les lèvres toujours en fleurs ?

Où, dans la luit pleine d’aveux,
La lune orgueilleuse démêle
L’or et l’argent de ses cheveux
Sur le flot gris qu’elle constelle ?

L’île où la fleur même a des lèvres,
La pierre, des pulsations,
Où l’Océan, pendant ses fièvres,
Rugit toutes nos passions ?

Où vers l’amour montent tous vœux ;
Où la rose, au papillon frêle
Tendant son front vierge et séveux
Lui murmure : arrête ton aile !

Cette île où l’âme la plus mièvre
A d’immenses éruptions,
Où la chair jamais ne se sèvre,
Où tout n’est que vibrations ?

Elle exista : nous y vécumes
Inondés d’azur et d’écume,
Enlacés à briser nos corps !

Oh ! retournons-y, car peut-être
Ce qu’on croit mort peut y renaître,
Et tu pourrais m’aimer encor.

double sonnet fait d’un sonnet renversé et d’un Q 59- T15, les quatrains sur les mêmes rimes. octo

Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses — 1993 (20)

Georges Fourest in L’Ermitage

Pour cueillir les narcisses
Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses (Joseph Declareuil)

O nymphes, j’ai flétri la fleur de Bételgeuse :
Nymphes, les nymphéas abhorrés de l’Amour !
Candide, j’ai cueilli vos corolles neigeuses,
Frigides nénuphars abhorrés de l’Amour !

Tel un glaïeul glissant au sanglot de l’eau glauque,
J’effeuille cette fleur qui fut l’enfant Narcisse ; –
Et le fleur descendait au sanglot de l’eau glauque
Et les blancs Corydons chantaient leurs Alexis !

Magdeleines, gardez pour les Jésus futurs,
Gardez le cinnamone et les philtres d’Amour.
Leurs cheveux essuieront tes pieds, ô Dieu futur !

Pour moi, dans le miroir sanglotant de l’eau glauque, –
Parmi les nymphéas abhorrés de l’Amour ;
J’effeuillerai la fleur qui fut l’enfant Naricsse !

Q59  cdc xdy y=x (d=b & x=a’ & y=b’)  mots-rimes et vers repris

Mère qui m’engendras du tarse au métacarpe, — 1893 (18)

Georges Fourest in L’Ermitage

Pseudo-sonnet pessimiste et objurgatoire
à ceux qui prirent soin d’élever ma jeunesse

Mère qui m’engendras du tarse au métacarpe,
Malgré Schopenhauer et la loi de Malthus ; –
O mon appartement lorsque j’étais fœtus,
Ma MÈRE ; – et toi PARRAIN prénommé Polycarpe ; –

MAÎTRE qui m’enseignas (ô merci !!!) que la carpe
Est un cyprinoïde et, qu’en latin, « hortus »,
Traduit le mot « jardin » ; – Flamande sans astuce,
NOURRICE au lait crémeux, simple enfant de la Scarpe ; –

PRÊTRE qui m’aspergeas de l’eau du baptistère,
Et par qui je connus (sublime et doux mystère)
A l’âge de douze ans ma saveur du sauveur :

Hélas ! ne pouviez-vous, me prenant par l’échine,
Quand je bavais, môme gluant déjà rêveur, …
Me jeter aux cochons comme l’on fait en Chine ?!?!

Q15  T14  -banv

Sur les fleurs a glissé la brise matinale. — 1893 (17)

Robert de Flers in Le Banquet

Aube

Sur les fleurs a glissé la brise matinale.
Des nuages légers rêvent au bord des eaux,
Tandis qu’incendiant les grands lys des côteaux
L’aube vient iriser leur blancheur nuptiale.

La douceur des clartés, la pâleur liliale
Des nuances, les chants murmurés des ormeaux
Ont quitté les sous-bois, où les joyeux ruisseaux
On repris leur gaîté qu’un rire clair signale.

Et les rêves ont fui le parfum des berceaux
Que n’accompagnent plus les sanglots des oiseaux,
Dont la douceurs flottait dans la nuit musicale.

Qu’importe leur départ vers des pays nouveaux,
Puisque tes bras noués me sont de chers tombeaux
Et que ta lèvre encore est douce et virginale.

Q15  T6  y=x (c=b & d=a) Poème dans un goût différent de celui de Miquette et sa mère (avec Gaston-Armand de Caillavet), Les Vignes du  Seigneur ( avec Francis de Croisset ((serait-ce dans le film tiré de cette pièce que Victor Boucher prononce la célèbre réplique : « Einstein qué ballot ! « )  ou encore Ciboulette (avec le même et une musique de Reynaldo Hahn

Qu’il soit encourtiné de brocart ou de serge, — 1893 (15)

José Maria de HerediaLes Trophées

Le lit

Qu’il soit encourtiné de brocart ou de serge,
Triste comme une tombe ou joyeux comme un  nid,
C’est là que l’homme naît, se repose et s’unit,
Enfant, époux, vieillard, aïeule, femme ou vierge.

Funèbre ou nuptial, que l’eau sainte l’asperge
Sous le noir crucifix ou le rameau bénit,
C’est là que tout commence et là que tout finit,
De la première aurore au feu du dernier cierge.

Humble, rustique et clos, ou fier du pavillon
Triomphalement peint d’or ou de vermillon
Qu’il soit de chêne brut, de cyprès ou d’érable;

Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords
Dans le lit paternel, massif et vénérable,
Où tous les siens sont nés aussi bien qu’ils sont morts.

Q15 – T14 – banv

Le temple est en ruine au haut du promontoire. — 1893 (10)

José Maria de HerediaLes Trophées

L’oubli

Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les héros d’airain
Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.

Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire,
De sa conque où soupire un antique refrain
Emplissant le ciel calme et l’horizon marin,
Sur l’azur infini dresse sa forme noire.

La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux
Fait à chaque printemps, vainement éloquente,
Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe;

Mais l’Homme indifférent au rêve des aïeux
Ecoute sans frémir, du fond des nuits sereines,
La Mer qui se lamente en pleurant les Sirènes.

Q15 – T30

Des pas menus et trottinants d’insecte, — 1893 (9)

Albert Aurier Oeuvres posthumes

Portrait

Des pas menus et trottinants d’insecte,
Un grand oeil noir toujours comme en maraude,
Une démarche alerte et circonspecte,
Toute petite, en robe d’émeraude

Elle trottine, elle flane, elle inspecte,
Avec des airs de carabe qui rôde,
Ou bien parfois, s’arrête et se délecte
Au grand soleil ardent qui la taraude.

Le satin vient du Japon, qui brillotte,
Semble une élytre, et, toujours brinqueballe
Comme une antenne, à sa toque embarbée,

Un plumasseau mince qui se trémousse …
Est-elle femme? Est-elle scarabée?
On aimerait l’aimer parmi les mousses.

Q8 – xyd ede – déca – brilloter : (H.N.) briller un peu

Du Moêt, de la bisque, une caille et terrine — 1893 (8)

Romain Coolus in Revue Blanche

X
A la suite d’incidents de la plus haute gravité, le fol amant rompt avec sa maîtresse, mais il a appris sur elle des choses terribles et il ne craint pas de les lui jeter au visage. Après tout, ce n’est peut-être pas un homme très bien élevé. Cependant il a le sentiment des nuances. Car après avoir badiné et raillé en versiculets, il accuse et juvénalise en alexandrins des plus duodécipèdes. Il récapitule amèrement.

Du Moêt, de la bisque, une caille et terrine
De foie, en cabinet, après minuit, l’hiver,
Pendant que ton mari trafique à Vancouver,
Tel fut le rêve de ton âme adultérine.

Et très assidument tu devins pèlerine
De la maison Aurée où le second couvert
Tantôt par l’un tantôt par l’autre fut couvert;
Des ongles très sélects grattèrent ta poitrine.

D’une impudicité qu’envieraient les putains
Lorsqu’aux volets se subtilisaient les matins,
Sur les divans pulmonaires, en robe nue,

Creusée aux blancheurs sales du jour levant
Tout en offrant ton sexe en posture ingénue,
Tu rotais le champagne et le Moulin-à-vent.

Q15 – T14 – banv

Mon vieux coeur, tu n’es qu’un déplorable viscère. — 1893 (6)

Romain Coolus in Revue Blanche

En Amour, régime de sonnets

I
Le fol amant est en très mauvais termes avec son hélice de coeur

Mon vieux coeur, tu n’es qu’un déplorable  viscère.
Peut-être aurais-tu droit à ma reconnaissance
Si tu bornais à des sursauts de jouissance
Ton mécanique émoi de soufflet nécessaire!

Tu te devrais m’être un bureau de bienfaisance
Et conviendrais, si tu voulais être sincère,
Que dans la capacité stricte de ton aire,
Tu pourrais être une entreprise de plaisance.

Mais non; ton cartilage est plus ambitieux,
Prétend aimer, joue au monsieur séditieux
Me veut geignant, plaintif et superstitieux

Tord ses fibres, les noue en cordons de souffrance,
Sonne le deuil, sonne le spleen, sonne la transe
Et me ligote au sentimentalisme rance.

Q16 – T5

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample, — 1893 (3)

Louis Le Cardonnel au Banquet de La Plume

A Stéphane Mallarmé

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample,
Le Poète, malgré la Terre et le Destin,
Se bâtit dans son coeur un asile hautain,
Et s’y donne, ébloui, des fêtes sans exemple.

Debout sur le passé lumineux, il contemple
L’Avenir, déroulant son mirage lointain,
Et dessine aux clartés d’un immortel matin,
Pour s’y diviniser, l’ordonnance d’un Temple.

Des visions qu’il crée il est l’auguste amant,
Et, par un juste orgueil, en elles s’acclamant,
Il regarde monter son âme à leurs visages.

Et ces vaines fureurs, dont l’homme a palpité,
N’éveillent pas de trouble en ses prunelles sages,
Qui sont des firmaments tout bleus d’Eternité.

Q15 – T14 – banv