Archives de catégorie : Genre des rimes

Tout ce que vous voudrez pour vous donner la preuve — 1887 (13)

Pétrus Borel in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Tout ce que vous voudrez pour vous donner la preuve
De l’amour fort et fier que je vous dois vouer ;
Pas de noviciat, pas d’âpre et dure épreuve
Que mon cœur valeureux puisse désavouer.

Oui, je veux accomplir une œuvre grande et neuve !
Oui, pour vous mériter je m’en vais dénouer
Dans mon âme tragique et que le fiel abreuve
Quelque admirable drame où vous voudrez jouer.

Shakspeare applaudira ; mon bon maître Corneille
Me sourira au fond de son sacré tombeau !
Mais quand l’humble ouvrier aura fini sa veille,

Eteint sa forge en feu, quitté son escabeau,
Croisant ses bras lassés, de son œuvre exemplaire,
Implacable, il viendra réclamer le salaire !

Q8  T23  sonnet de 1842

Au piano elle est assise et la sonate — 1887 (12)

Albert Saint-Paul in Ecrits pour l’art

Sonate

Au piano elle est assise et la sonate
–       Un océan dont les accords seraient les flots –
D’abord clapote et vient, câline, unie, en natte
Aux grèves vers mon rêve – ô les flots aux falots !

Et mon âme se pâme au sourd roulis des lames
En la Nuit qui s’enfuit où clament mille voix ;
Et les cordes, qu’accorde une voix de hautbois,
Chantent l’Avril, l’Idylle et les Epithalames.

Et nous voguons ! et nous tanguons, la Nuit s’enfuit.
Très loin l’horizon sans maisons – l’horizon luit.

Plaque encor des accords sur ton Erard d’ébène.
Laisse tes doigts à la caresse du clavier.

Oh ! notre âme emmaillée en l’immense épervier
De la kabbale, à l’aube opale pâle à peine.

Q60  T15  disp (Tercets en distiques) – rimes intérieures

Parmi l’écroulement des grandeurs séculaires, — 1887 (10)

Parnasse de la jeune Belgique

André Fontainas

La Joconde

Parmi l’écroulement des grandeurs séculaires,
Des espoirs teints de sang, de magie et d’orgueil,
Des langueurs, de remords sans motif et sans deuil
Baignent, Mona Lisa, tes yeux crépusculaires.

Et parfois un éclair de sensualité
Très doux vient allumer tes pensives prunelles,
Et les âpres désirs des voluptés charnelles
Glissent dans ta chair pâle un frisson redouté.

Ton si triste sourire est le cruel mystère
D’un cœur silencieux pris d’un amour austère,
Pour le riche avenir des fortes floraisons ;

Le candide regret des triomphes mystiques
Enflamme de feux verts tes yeux énigmatiques,
Consolant et rêveur comme des oraisons.

Q63  T15

O lune, quand tu sors des vapeurs opalines — 1887 (8)

Le Chat Noir,

Armand Masson

A la lune

O lune, quand tu sors des vapeurs opalines
Qui te font comme un lit onduleux et mouvant,
Je crois voir la Vénus Callipyge levant
Les voiles importuns des chastes mousselines.

En poëte païen j’admire ces rondeurs
Qu’on ne voit plus, hélas! qu’au pays des planètes,
Et je bénis les lois des morales honnêtes
Qui t’ont mise au-dessus des humaines pudeurs.

Mais pourquoi nous montrer toujours les mêmes choses?
Tu devrais varier de temps en temps les poses
Et nous faire admirer de nouvelles beautés.

Pour moi, les yeux levés vers le céleste dôme,
J’ai souvent caressé ce rêve d’astronome
De contempler l’envers de ta rotondité.

Q63 – T15

L’oeil était dans le vase. Un caprice d’artiste — 1887 (7)

Le Chat Noir,

Armand Masson

L’oeil

L’oeil était dans le vase. Un caprice d’artiste
L’avait agrémenté d’un sourcil violet
Et sa prunelle peinte en rouge vif semblait
Vous regarder d’un air ineffablement triste.

C’est à la Foire au Pain d’épice qu’un beau soir
Nous gagnâmes ce vase au tourniquet. Fifine
Affirma qu’il était en porcelaine fine,
Et voulut l’étrenner tout de suite, pour voir.

Mais il était si neuf, le soir, à la lumière,
Qu’elle n’osa ternir sa pureté première,
Et le remit en place avec recueillement.

Elle fut très longtemps à s’y faire. C’est bête:
Cet oeil qui la fixait inexorablement
Semblait l’intimider de son regard honnête.

Q63 – T14

Pour un civet, il faut un lièvre: — 1887 (6)

Le Chat Noir,

Armand Masson

Bouchée à la reine

Pour un civet, il faut un lièvre:
Il faut une idée au sonnet.
Prenez-là délicate et mièvre,
Un déjeuner de sansonnet.

Dans une coupe de vieux Sèvre
Faites-là fondre un tantinet
Avec ces mots doux à la lèvre
Où Benserade butinait.

Saupoudrez de rimes parfaites,
Poivre, piments, cannelle, et faites
Un trait précieux pour la fin:

Vous aurez une chose exquise,
Un plat de petite marquise,
– Bon pour les gens qui n’ont pas faim.

Q8 – T15 – octo  – s sur s

Un coquin de parfum gagne de proche en proche, — 1887 (4)

Raoul Ponchon La muse vagabonde

Sonnet du gigot

Un coquin de parfum gagne de proche en proche,
Un parfum à la fois subtil et nourrissant
Et tel que si j’en crois mon odorat puissant,
C’est un gigot à l’ail qui ronronne à la broche.

Comme il est cuit à point, vite qu’on le décroche;
Je n’ai jamais rien vu de plus attendrissant;
Pour ne pas être ému devant ses pleurs de sang
Il faudrait, sur mon âme, avoir un coeur de roche.

Dites-donc à du veau qu’il vous en pleure autant,
Madame, tra la la! Mais sans perdre un instant
Si nous en effeuillions quelques légers pétales;

Car ta chair n’est que rose et que coquelicots,
O suave bouquet de viande qui t’étales
Sur ton lit préféré d’onctueux haricots!

Q15 – T14 – banv

Vous qui prêtez l’oreille à cette plainte amère — 1887 (2)

J. Casalis et E. de Ginoux (trad.)Cinquante sonnets de Pétrarque

Vous qui prêtez l’oreille à cette plainte amère
De mes vers, long soupir à l’écho confié,
Dont j’ai nourri mon coeur trop plein de sa chimère,
Quand il ne s’était pas encor purifié.

Pour mes chants de triomphe et mes cris de misère,
Comme pour mon orgueil déjà tant expié,
Parmi vous tous qu’Amour a fait souffrir, j’espère,
A défaut de pardon, trouver quelque pitié.

Je vois trop maintenant que de la multitude
Je fus longtemps la fable; aussi bien, dans mon coeur,
Je rougis de moi-même et de ma servitude.

J’ai recueilli pour fruit de ma crédule ardeur
Le repentir, la honte, enfin la certitude
Que la faveur du monde est un songe trompeur.

Q8 – T20 – tr  (Pétrarque, rvf 1)

La lune à travers les quinconces — 1887 (1)

Jean LorrainLes griseries


Rocailles
pour M. Edmond de Goncourt

La lune à travers les quinconces
Erre, illuminant les ronces,
Du parc, illustre endormi;

Et le bassin des Rocailles,
Où rôde un reflet ami,
Songe, dans l’ombre à demi
Plongé, de l’ancien Versailles.

Fille et sœur des dieux augustes,
La lune en domino blanc
Glose et d’un baiser tremblant
Effleure en passant les bustes,

Et sur un rythme très lent,
Au loin sur les gazons jaunes,
Tourne une ronde de faunes.

aab cbbc deed eff – 7s (vers1 :8 ) – Autre ‘sonnet à la Lorrain’.

Du ciel tendre où court la nue indécise, — 1886 (26)

Albert Pinard Sonnets, ghazels, …

Louise

Du ciel tendre où court la nue indécise,
Des bois assoupis dans leur profondeur,
De l’eau murmurante et du sein des fleurs,
Nous voulons tirer, quintessence exquise,

Harmonie auguste, une voix qui dise :
« Fleurs qui frémissez aux vents maraudeurs,
Rayons, ruisseaux, charme épars des odeurs,
Formez un concert pour fêter Louise.

Composez sa vie uniment d’étés,
Versez vos fraîcheurs & vos puretés,
Etendez sur elle une ombre propice . »

Mystère des nuits, vérité du jour,
Nous vous invoquons, sûrs de votre hospice :
La nature entend les cœurs sans détour.

Q15  T14  – banv – tara  bi