Archives de catégorie : Genre des rimes

Au pied du sphinx, gardien d’une âpre sépulture, — 1876 (10)

coll. Le Parnasse Contemporain, III

Louise Colet

Groupes d’Arabes

Au pied du sphinx, gardien d’une âpre sépulture,
Béante sur le seuil du désert au sol roux,
Des Arabes pensifs, couchés dans leurs burnous,
Caressent l’yatagan qui brille à leur ceinture.

Rayonnement du front, fierté de la stature,
Attestent les aïeux dont ils descendent tous;
Moïse, Mahomet sous leur double imposture
Ont courbé cette race à l’oeil superbe, et doux.

Prêtres rois, leurs aïeux ont régné dans Solime,
Puis, vainqueurs, radieux, créant un art sublime,
Ils ont fondé Le Caire et bâti l’Alhambrah.

D’éternels monuments ils ont ceint la Sicile,
Mais, hélas!, désormais, race inerte et servile,
Sous le joug Ottoman tout Arabe est fellah!

Q14 – T15

La neige est drôle. Vlan! un bouchon blanc vous entre — 1876 (7)

Jean Richepin La chanson des gueux

La neige est drôle

La neige est drôle. Vlan! un bouchon blanc vous entre
Dans l’oeil. En même temps, sur votre nez carmin
S’aplatit un flocon large comme une main.
Quelle gifle! l’hiver tout entier s’y concentre.

Paf! l’un est sur le dos. Pouf! l’autre est sur le ventre!
Carambolage, bon! le passant inhumain,
Tout près d’en faire autant, s’esclaffe, et le gamin
Vous blague en criant : » pile ou face pour le pantre! »

On se fâcherait bien. Mais quoi? soi-même on rit.
Car tout est si bouffon! la neige a de l’esprit
Et rend cocasse les objets qu’elle déforme.

Les chevaux d’omnibus ont l’hermine au garrot;
Le Panthéon prend l’air d’un casque à mèche énorme,
Et dans chaque statue apparaît un Pierrot.

Q15 – T14 – banv

J’ai fait chibis. J’avais la frousse — 1876 (6)

Jean Richepin La chanson des gueux

Autre sonnet bigorne – Argot moderne

J’ai fait chibis. J’avais la frousse
Des préfectanciers de Pantin.
A Pantin, mince de potin!
On y connaît ma gargarousse,

Ma fiole, mon pif qui retrousse,
Mes calots de mec au gratin.
Après mon dernier barbotin
J’ai flasqué du poivre à la rousse.

Elle ira de turne en garno,
De Ménilmuche à Montparno,
Sans pouvoir remoucher mon gniasse.

Je me camoufle en pélican –
J’ai du  pellard à la tignasse.
Vive la lampagne du cam!

Q15 – T14  – banv – octo

(trad. A ch)

AUTRE SONNET ARGOTIQUE – Argot moderne.

Je me suis évadé. J’avais peur
Des agents de police de Pantin.
A Pantin, attends un peu, le tapage !
On y connaît mon gosier,

Ma gueule, mon nez retroussé,
Mes yeux de souteneur au travail.
Après mon dernier vol,
J’ai fui la police.

Elle ira de logis en garni,
De Ménilmontant à Montparnasse,
Sans pouvoir me voir en face.

Je me camoufle en paysan –
J’ai du foin dans les cheveux.
Vive la campagne !

Je me suis aidé du glossaire annexé par l’auteur à l’édition illustrée et tardive que j’ai sous la main (Modern’Bibliothèque, s. d..) un seul mot manque : gratin (et cabri, et camoufle, qui sont du français non argotique) Dans le 2, je prend gratin dans le sens de travail (et non de beau monde). »

Luysard estampillait six plombes. — 1876 (5)

Jean Richepin La chanson des gueux

Sonnet bigorne – Argot classique

Luysard estampillait six plombes.
Mezigo roulait le trimard,
Et jusqu’au fond du coquemart
Le dardant riffaudait ses plombes.

Lubre, il bonissait aux palombes:
« Vous grubiez comme un guichemard, »
Puis au sabri: « Birbe camard,
Comme un ord champignon tu plombes ».

Alors aboula du sabri,
Moure au brisant comme un cabri,
Une fignole gosseline,

Et mezig parmi le grenu
Ayant rivanché la frâline,
Dit « Volants, vous goualez chenu ».

Q15 – T14 – banv –  octo

trad (par l’auteur)

Le soleil marquait six heures,
Je marchais sur la grand’route,
Et jusqu’au fond de la marmite
L’amour brûlait mes reins.

Triste, je disais aux pigeons:
 » Vous grognez comme un guichetier »
Puis aux bois: « vieux sans nez,
Comme un sale champignon tu pues »

Alors arriva dans le bois
Une gentille fillette.
Je couchai avec la compagnonne,

Et dis: « foin, dans mon lit
Tu parfumes ma chevelure de hère;
O pigeons, vous chantez très bien. »

trad. Alain Chevrier)
SONNET ARGOTIQUE – Argot classique

Le soleil marquait six heures,
Je marchais sur la grand’route,
Et jusqu’au fond du chaudron
L’amour me brûlait les reins.

Triste, je disais aux palombes,
« Vous grognez comme un guichetier »
Puis au bois : « Vieux camard,
Tu pues comme un champignon pourri. »

Alors s’en vint du bois
Minois au vent comme un cabri,
Une gentille gamine,

Et moi, parmi les blés,
Ayant couché avec la camarade,
Je dis : « Oiseaux, comme vous chantez bien ! »

L’Académie en deux parts se divise: — 1876 (4)

Emile NégrinLes trente-six sonnets du poète aveugle

L’Académie française
a.x.b+y.x.z= A

L’Académie en deux parts se divise:
L’une où du monde est connu chaque nom,
Et qui, malgré sa gloire, n’est admise
Dans le grand corps qu’après réflexion.

L’autre où se voient des princes de l’Eglise,
Entremêlés de princes de salon,
Fort peu connus, et sans réfléchir mise
Au premier rang grâces à son blason.

Or le public justicier, pour ces princes,
Dont les travaux passagers sont si minces,
Fait du fauteuil un simple tabouret;

Tandis qu’ailleurs, pour ces hommes de lettres
Que leurs travaux immortels rendent maîtres,
Il en fait un trône doré.

Q8 – T15 – 2m (octo: v.14) – (18 sonnets sont en provençal-nissard)  » En principe les quatorze vers du sonnet comptent le même nombre de syllabes. Un vers plus court à la fin du deuxième tercet constitue une licence, mais elle est permise parce qu’elle produit une cadence agréable à l’oreille.
Depuis quelque temps, les sonnets sont revenus à la mode; seulement beaucoup de personnes semblent en avoir oublié les règles fondamentales.
Le sonnet doit être la peinture concise, complète, élégante d’une idée unique ou d’un fait ‘isolé’, et se terminer par une ‘chute’, comme on disait à l’époque de Des Barreaux. Voilà pour le fond.
Les deux séries de rimes semblables des deux quatrains doivent être régulièrement accouplées, deux à deux, ou régulièrement alternées deux à deux. Les trois couples de rimes des deux tercets doivent être arrangés de manière que le troisième vers soit en parallèle avec le sixième.
Voilà pour la forme.Hors de ces règles de sens et de structure, pas de sonnet.
J’ajouterai comme corollaires les trois observations suivantes: On ne peut alterner les rimes du premier tercet, parce que cette disposition au-dessous du quatrain entraîne quatre rimes différentes à la file l’une de l’autre, ce qui est contraire à la prosodie.
Terminer le deuxième tercet par deux rimes accouplées est également irrégulier, parce que cet arrangement pèche contre l’harmonie, en supprimant, pour ainsi dire, la note finale du chant.
Quelques auteurs délaient un récit en deux ou trois sonnets consécutifs, cela répugne à la logique. Autant vaudrait couper en morceaux un tableautin de Meissonnier.  » Il admet donc seulement  les combinaisons Q8-T15 et Q15-T15. La critique des dispositions qui ne font pas rimer les vers 9 et 10 procède d’une ancestrale tendance de la prosodie en langue française : retarder le moins possible l’écho d’une rime. Enfin, il n’admet que les sonnets qui constituent à eux seuls un poème. »

Un soir, en visitant la vieille cathédrale — 1876 (3)

Catulle Mendès Les Poésies

Frédérique

Un soir, en visitant la vieille cathédrale
Gothique dont j’aimais les clochetons sans pairs,
Au bas de l’escalier qui se tord en spirale,
Je te vis, ô ma pâle allemande aux yeux pers!

Lasse, tu t’accoudais à la pierre murale,
Pauvre ange endolori tombé des cieux aperts!
Et ton regard tout plein de cendres aurorales
Eclaira doucement la nuit où je me perds.

Goutte de miel échue à mon âpre calice!
J’aspirai parmi l’air qu’embaume l’encensoir
Tes cheveux odorants comme un acacia.

Tu priais, à genoux, sur une pierre lisse,
Et près de toi, dans l’ombre, étant venu m’asseoir
Je te dis ‘Liebst du mich? » tu me répondis «  »Ia« !

Q8 – T36 – La disposition des rimes des tercets est celle qui est la plus fréquente chez Pétrarque: cde cde. Elle oblige à violer la règle d’alternance (encensoir/ acacia)  – Dernier vers sublime de sublimité franco-allemande.

Sur la grande galère à quatre rangs de rames, — 1876 (2)

Catulle Mendès Les Poésies

Calonice

Sur la grande galère à quatre rangs de rames,
Calonice ramène une fille d’Asie
Qui, nue et frissonnante et belle s’extasie
De fouler des tapis de pourpre aux rouges trames!

« O vierge, dit la grecque, entre toutes choisie
Pour apaiser mon coeur percé de mille lames,
Tu connaîtras le sens des longs épithalames,
Et de mon amitié la chaste hypocrisie! »

Dans l’air, à ce moment, on vit deux hirondelles
Caresser les cheveux épars des fiancées
Et la brise chantait: Hyménée! autour d’elles.

Mais la lune baisa les vagues balancées,
Et tu parus, le front couronné d’asphodèles,
Ô nuit, ô blanche nuit, ô nuit mystérieuse ….

Q16 – cdc dcx – Deux particularités: – le sonnet est entièrement en rimes féminines – Le mot-rime du dernier vers n’a pas d’écho.

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme — 1876 (1)

Auguste CreisselsLes Tendresses Viriles – Sonnets –

Le Sonnet

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme
Aime, en vrai huguenot, le Sonnet dédaigné;
Car son double quatrain, droit, sévère, aligné,
Accepte pour son bien la rigueur de la forme.

Soumis aux mêmes lois, le tercet uniforme
Reste grave et solide au poste désigné;
On dirait des soldats d’Agrippa d’Aubigné
Maintenus au cordeau par Philibert Delorme.

Si des quatorze vers un seul quittait le rang,
L’esprit des francs-routiers, sur l’heure y pénétrant,
Ferait de ces héros des coureurs d’aventure;

La force du Sonnet exige un mouvement,
Discipliné, conduit comme un vieux régiment,
Sur un plan rigoureux de haute architecture.

Q15 – T15 – s sur s

C’était le soir , battant ses rives désolées, — 1875 (12)

Ernest Périgaud Exaltations

Le torrent

C’était le soir , battant ses rives désolées,
Avec un bruit plaintif imitant les sanglots,
Le torrent s’enfuyait ; des lueurs étoilées
Voltigeaient en tremblant à la cîme des flots.

L’écume jaillissante étendait sur les eaux
Son écharpe d’argent ; ainsi que des troupeaux
Que l’épouvante chasse en bandes affolées,
Les vagues en fureur couraient échevelées.

Pensif et recueilli, je contemplais cette onde
En courrous ; j’écoutais cette clameur profonde,
Y cherchant une image, un écho d’ici-bas :

Humanité ! grand fleuve à l’orageuse houle,
Lamentable concert des mortels, pauvre foule,
Pêle-mêle, au hasard, précipitant ses pas !

Q12  T15

C’est toi, mon doux trésor, c’est toi, ma bien-aimée, — 1875 (11)

Ernest Périgaud Exaltations

Toi

C’est toi, mon doux trésor, c’est toi, ma bien-aimée,
Plus fraîche qu’un matin, plus belle qu’un beau jour,
Toi le ravissement de mon âme charmée,
Toi mon souci constant et mon plus cher espoir.

Ta taille est svaelte à rendre envieuse une almée,
Ta joue est une fleur, ta lèvre parfumée
Semble un vivant corail, et ton œil, pur miroir,
Brille comme un éclair de feu dans le ciel noir.

Loin de toi c’est la nuit sombre, l’âme oppressée,
Le doute affreux, l’angoisse et la morne pensée ;
C’est le foyer en deuil où plane la douleur.

Tu parais, ô splendeur ! tu souris, ô merveille !
En mon cœur réjoui tout chante et tout s’éveille.
Voici le jour, voici la joie et le bonheur !

Q7  T15