Archives de catégorie : Genre des rimes

Des croquis de concert et de bals de barrière — 1874 (17)

Joris-Karl Huysmans Le drageoir à épices

Le hareng saur

Des croquis de concert et de bals de barrière
La reine Marguerite, un camaïeu pourpré
Des naïades d’égout au sourire éploré,
Noyant leur long ennui dans des pintes de bière,

Des cabarets brodés de pampre et de lierre,
Le poète Villon, dans un cachot, prostré,
Ma tant douce tourmente, un hareng mordoré,
L’amour d’un paysan et d’une maraîchère,

Tels sont les principaux sujets que j’ai traités:
Un choix de bric-à-brac, vieux médaillons sculptés,
Emaux, pastels pâlis, eau-forte, estampe rousse,

Idoles aux grands yeux, aux charmes décevants,
Paysans de Brauwer, buvant, faisant carrousse,
Sont là: les prenez-vous? à bas prix je les vends.

Q15 – T14 – banv

Vous qui prêtez l’oreille aux accents de ma lyre, — 1874 (16)

Pétrarque trad. Philibert Le Duc

I – Proème

Vous qui prêtez l’oreille aux accents de ma lyre,
Aux soupirs dont mon coeur s’est nourri si longtemps,
Avant d’avoir compris l’erreur de mon printemps
Et ce que Dieu commande à ceux qu’il veut élire:

Si vous avez aimé, vous tous qui daignez lire
Ces rimes, où je pleure et les voeux inconstants
Et les vaines douleurs que dissipe le temps
Ne me pardonnez pas, mais plaignez mon délire.

Quand maintenant je songe au facile succès
Qu’auprès du peuple ont eu mes frivoles essais,
J’ai honte des lauriers que la sagesse émonde.

Car à quoi m’a servi ce nom dont je suis las,
Si ce n’est d’en rougir et de savoir, hélas!
Que tout rêve de gloire est le jouet du monde!

Q15 – T15 – tr

Elle montait, toujours à la même heure, pâle — 1874 (15)

Paul DelairEtrennes du Parnasse pour l’année 1874

L’attente

Elle montait, toujours à la même heure, pâle
Et lente, l’escalier du cloître, au fond des bois,
Et, d’une niche obscure où rêve un Christ en croix,
Considérait l’espace où poudroyait le hâle.

On ignorait son âge, et son nom, virginale
Et douce, elle baissait de temps en temps la voix
Et passait comme un souffle, en ses habits étroits;
Et le jour traversait sa blancheur sépulcrale.

Un jour, nul ne la vit descendre. L’on n’osa
Troubler sa rêverie. – Et le temps se passa;
Elle resta figée au mur, l’année entière.

Une novice enfin près d’elle se glissa,
Et la voyant pareille aux pierres, la poussa …
Alors, elle tomba doucement en poussière.

Q15 – T6

L’air tiède de la chambre, où la nuit règne encore, — 1874 (12)

Cabaner Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Lever de soleil dans une chambre

L’air tiède de la chambre, où la nuit règne encore,
Fraîchit par degrés, puis, vaguement, les contours
Grossissants des objets paraissent noirs et lourds,
Masses d’ombre, qu’aucun incident ne décore.

Meubles, tentures, tout cependant se colore
Dans ce réduit resté tel pendant bien des jours.
Du lit à baldaquins le fond de vieux velours
Orangé, s’éclairant, cherche à singer l’aurore…

Il jette ses reflets au satin bleu d’azur
Du couvre-pieds qui, comme une mer calme, ondule.
Le jour éclate; le velours d’un carmin pur

S’ensanglante, jouant son rôle, – et, ridicule,
Boursouflée, empourprée encor par le sommeil,
Une tête des draps sort, pareille au soleil.

Q15 – T23

Magnétiseur aux mains brûlantes, — 1874 (11)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Valéry Vernier

Le thé

Magnétiseur aux mains brûlantes,
Envoyé de l’Empire vert,
Qui rend les âmes nonchalantes
Aux raouts du Paris d’hiver,

Soutiens les forces chancelantes
De ces mondains qui, privés d’air,
Chaque nuit, victimes galantes,
S’étouffent en quelque concert.

Frère du spleen, Londres t’adore,
New York te chérit plus encore,
Moscou te sucre avec ferveur.

Mais, chez nous, malgré ta magie,
Si tu séduis un vrai buveur,
Ce n’est qu’aux lendemains d’orgie.

Q8 – T14  octo

Carillonneur de la pensée, — 1874 (10)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Valéry Vernier

Le café

Carillonneur de la pensée,
Nègre aux yeux d’or, puissant, doux,
De ma cervelle embarrassée
Fais déloger tous les hiboux.

Chanterai-je ton odyssée?
Depuis longtemps les marabouts
Sous les palmiers et les bambous,
Aux Africains l’ont retracée.

Parlons plutôt de tes succès
Auprès des estomacs français.
Avec Racine, pêle-mêle,

Sévigné te mit dans un sac;
Mais Voltaire t’a vengé d’elle,
Et tu fus un dieu pour Balzac.

Q9 – T14 – octo

La mort et la beauté sont deux choses profondes — 1874 (8)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Victor Hugo

Ave, Dea: Moriturus te salutat

La mort et la beauté  sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d’ombre et d’azur qu’on dirait
Deux soeurs également terribles et fécondes
Ayant la même énigme et le même secret;

O femmes, voix, regards, cheveux noirs, tresses blondes,
Brillez, je meurs! Ayez l’éclat, l’amour, l’attrait,
O perles que la mer mêle à ses grandes ondes,
O lumineux oiseaux de la sombre forêt!

Judith, nos deux destins sont plus près l’un de l’autre
Qu’on ne croirait, à voir mon visage et le vôtre;
Tout le divin abîme apparaît dans vos yeux,

Et moi, je sens le gouffre étoilé dans mon âme;
Nous sommes tous les deux voisins du ciel, madame,
Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.

Q8 – T15 – Envoyé à Judith Gautier, fille de Théophile. Première(?) Publication d’un sonnet composé par Victor Hugo.  – republié dans L’Artiste en 1876 avec cette note : « Le seul que Victor Hugo ait jamais écrit, ne devait-il pas avoir sa place ici ? »

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes, — 1874 (6)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Une page

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes,
En d’innombrables feux s’épanchent sur les mondes:
Le soir, au front penseur, au poète enfiévré,
La lune doucement verse ses clartés blondes:

L’étoile aime, et sourit au coeur énamouré.
Roi du jour, le soleil, des sphères adoré,
Prodigue des baisers qui les rendent fécondes.
Tout germe, croît, fleurit sous son regard doré! … » –

C’est ainsi qu’aux lueurs d’une nuit étoilée,
L’Idéal traduisait à mon âme affolée
Les trésors que contient ta page, ô Firmament!

Et je dis: l’égoiste est des êtres le pire.
Pourquoi regarde-t-il si bas qu’il ne peut lire
Le ciel, où la Nature écrivit: dévoûment? …

A.Marc

aaba bbab – T15

Ce qui dégoûterait de se mettre en voyage, — 1874 (5)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

En voyage

Ce qui dégoûterait de se mettre  en voyage,
D’offrir à ses amis l’étreinte des adieux,
Le sourire à la bouche et les larmes aux yeux;
Ce n’est pas le souci de traîner son bagage;

Ni l’épaisse vapeur s’allongeant en nuage,
Ni la noire fumée obscurcissant les cieux,
Ni d’un commis bavard, d’un marchand soucieux,
D’un poupon au maillot le triste voisinage;

Ni le malheur d’entendre et de voir les Anglais,
Ni les sombres tunnels, ni les stridents sifflets,
Ni les grains de charbon entrant sous la paupière;

Ni les rayons brûlants d’un soleil de juillet,
Ni les vents ou la pluie, ou les flots de poussière;
Ce qui dégoûterait, c’est le wagon complet.

A.Marc

Q15 – T14 – banv

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile, — 1874 (4)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Sonnet contre Sonnet

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile,
Il ait longtemps fleuri dans les vallons d’Enna!
N’est pas toujours très beau ce qu’on croit difficile,
Et Boileau, sur ce point, sottement raisonna.

Quant à moi, je préfère un seul vers de Virgile,
A ce vain jeu d’esprit qui nous vint de l’Etna.
Il peut plaire à la cour et sourire à la ville,
Le bon sens indigné pourtant le condamna.

Le plus beau ne vaut pas le moins brillant poème,
Car loin d’être enrichi d’une beauté suprème,
Auprès d’un diamant, c’est un caillou du Rhin.

Le verre imite mal le cristal de Bohème.
Ce sonnet, c’est le verre, et la vierge que j’aime
Rejetterai le strass de son splendide écrin.

Th. Richard-Baudin

Q8 – T6 – s sur s