Archives de catégorie : Genre des rimes

Vous qui pour Bénazet, ce roi-soleil de Bade — 1869 (34)

Méry in l’artiste

Le sculpteur Ludovic Durand était un des jeunes amis du poète Méry. Un été qu’ils se trouvaient ensemble à Bade, comme Ludovic Durand sculptait le théâtre Bénazet, et que le statuaire demandait au poëte de lui faire son buste, Méry improvisa son consentement dans un sonnet – un sonnet resté inédit – qui est toute une ciselure (Arsène Houssaye)

Vous qui pour Bénazet, ce roi-soleil de Bade
Qui donne tous les ans à l’Europe une aubade,
Seigneur de Rouge-et-Noire au magique métal,
Souverain duc de l’Oos, baron du Lilienthal ;

Vous qui pour Bénazet et son nouveau théâtre
Taillez le stuc, la pierre, et le marbre, et l’albâtre,
Vous voulez me tirer, par un coup de ciseau,
Du néant, moi chétif, du fleuve, moi roseau :

Ah ! l’on ne doit sculpter et garder pour mémoire
Que les dieux, le héros, le génie et la gloire !
Je ne suis pas Homère – et ne suis que Méry.

Mais si vous surprenez mon visage amaigri,
Sculpteur, pétrissez-moi de la plus humble argile ;
Cachez mon buste au pied de mon maître Virgile.

PL

C’est le nouveau théâtre, humains, réel, étrange ; — 1869 (33)

Arsène Houssaye in L’Artiste

Portrait D’Alexandre Dumas II

C’est le nouveau théâtre, humain, réel, étrange ;
Marguerite Gautier coudoie Ophélia,
Le cœur saigne en raillant, l’amour est un échange
De deux corruptions et d’un camélia.

Le demi-monde s’ouvre à la baronne d’Ange,
Diane avec un lys fume un régalia ;
Le masque du démon est le masque de l’ange,
Pendant que des deux mains applaudit Lélia.

Ce n’est plus Dumas I ; ce n’est plus l’ancien drame,
Le romantisme avec son vertige et sa trame,
Ses rois, ses chevaliers, son idéalité.

Non : c’est une autre vie et c’est une autre source,
La comédie au bois, au salon, à la bourse,
Plus tragique peut-être en sa réalité.

Q8  T15

Il est un amour saint comme l’amour d’un ange, — 1869 (31)

(Louis de Veyrières) Monographie du sonnet

Delphis de la Cour

L’amour maternel

Il est un amour saint comme l’amour d’un ange,
Un amour dont le ciel ne peut être jaloux,
Et qui change à son gré, par un miracle étrange,
Les louves en brebis et les brebis en loups.

Il donne tout sans rien demander en échange,
Il nous berce du cœur, enfant, sur ses genoux ;
C’est l’amour maternel, amour pur, sans mélange,
Un autre ange gardien que Dieu mit près de nous.

Les fils sont oublieux : quand la vie est amère,
Qu’ils viennent se jeter dans les bras de leur mère,
Des liens de son cœur rien ne brise les nœuds ;

Elle ne craint la mort que pour ces fils qu’elle aime,
Elle sait qu’on survit ; la mort pour elle-même
N’est qu’un prolongement de l’existence en eux.

Q8  T15

Tandis que je suivais, nonchalant et morose, — 1869 (29)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet

Auguste Lestourgie

Tandis que je suivais, nonchalant et morose,
L’étroit sentier qui mène au sommet du coteau,
La brume le couvrait d’un humide manteau,
Me cachant les ajoncs et le bruyère rose ;

En mon coeur sombre aussi se cache quelque chose ;
Toute la floraison de mon doux renouveau,
Amour et poésie ! … ah ! mon rêve si beau,
Sous quel brouillard épais maintenant il repose !

Mais je monte, et déjà dans le ciel moins obscur,
Aux grisailles d’automne est mêlé quelque azur ;
Mon cœur dans son linceul se débat et palpite.

Fuyez, vapeurs, fuyez, soucis pesants et froids !
L’Orient se colore, ombres, tombez plus vite !
Le soleil et mon cœur renaîtront à la fois.

Q15  T14 – banv

«  Les repos y sont observés avec une exactitude suffisante, sauf peut-être pour la fin du sixième vers. On l’a vu, les quatrains commencent et finissent par des rimes féminines. »
L’agencement des vers dans le sonnet qui suit offre la même ordonnance ; mais le premier et le dernier de chaque quatrain sont terminés par une rime masculine ».

Je pars content Seigneur. Est-ce amusant de vivre, — 1869 (28)

Léon Charly in La Jeunesse du 7 février 1869

Dernier sonnet

Je pars content Seigneur. Est-ce amusant de vivre,
De traîner quelques jours, forçat, un lourd boulet ?
Pour moi tout réveil fut un  visiteur fort laid,
Et cette vie, en somme, un détestable livre.

De mes vers dédaignés que ta main me délivre,
O mort ! Laisse ta faulx, il suffit d’un balai.
Arrête, omnibus noir ! ne me dis pas : ‘complet ! »
Mes parents – si j’en ai – n’oseront pas te suivre.

Tristes … comme des gens n’allant pas hériter,
– Ah ! je ne valais rien, laissant si peu de chose :
Mon linceul est trop court, et ma bière est mal close.

Sois doux, sombre valet qui viendra m’emporter :
Un poète est léger : mon âme en haut repose ;
Mon corps ne pèse pas un volume de prose.

Q15  T29  ‘balai’ rime mal

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle. — 1869 (27)

Edouard Pailleron Amours et haines

L’hirondelle

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle.
Madame, regardez là-haut cette hirondelle:
Pour la grâce du vol, c’est un oiseau sans pair.
N’est-elle pas jolie, alors que d’un coup d’aile,

Dans les rayures d’ombre et dans le soleil clair,
Elle passe en criant, vive comme l’éclair,
La faucheuse d’azur? et dirait-on pas d’elle
La navette de jais d’un tisserand de l’air?

Votre oeil aime à la suivre où son vol s’évertue;
Vous croyez qu’elle joue? Hélas! non, elle tue!
Sa souplesse et un charme et son charme un moyen;

Dieu la fit pour séduire et pour tuer ensemble…
Sauriez-vous d’aventure à qui l’oiseau ressemble?
Moi, je ne le sais pas, si vous n’en savez rien.

aaba bbab – T15

La vie est un sonnet triste et funambulesque — 1869 (25)

Gabriel Marc Soleils d’octobre

La vie humaine

La vie est un sonnet triste et funambulesque
Dont le premier quatrain est seul d’or & d’azur.
Jusqu’à vingt ans, les bois sont verts, le ciel est pur,
Et l’on marche à travers un pays romanesque.

Puis, la scène devient froide, brumeuse et presque
Funèbre. Il faut lutter dans un dédale obscur,
Et jouer, pour manger un pain amer & dur,
Des farces d’histrions sous un masque grotesque.

Au milieu des soucis, des remords, des douleurs,
Noirs récifs dans la mer insondable des pleurs,
L’homme navigue ainsi jusqu’à son dernier lustre.

Et le sonnet soumis à l’inflexible sort,
Qu’on soit prince, bandit, pâtre ou poète illustre,
S’achève par ce mot épouvantable: Mort.

Q15 – T14 – banv

Quand on revient de Rome où le grave libraire, — 1869 (24)

Louis Veuillot

Les Salis

Quand on revient de Rome où le grave libraire,
Dans son réduit tout plein d’augustes vétustés,
Tient en si grand mépris l’article Nouveautés,
Paris étonne fort en sa mode contraire.

Comme masques hardis, vêtus de couleur claire,
Les volumes du jour grouillent de tous côtés ;
Et la vitre et le mur, et les journaux crottés
Invitent le public à les écouter braire.

Quel affreux carnaval d’histrions avilis !
Quels titres ! quel français ! La majesté romaine
Croirait, les approuvant, approuver des délits.

Nous l’entendons, pour nous, de façon plus humaine :
Sans nul tourment d’esprit, nous voyons sur la scène,
Ignoble et vomissant, le chœur de ces Salis.

Q15 – T21 – Veuillot a la réputation, méritée, d’avoir été un féroce réactionnaire, defenseur du catholicisme le plus rétrograde. Mais c’est, je pense, un remarquable praticien du sonnet.

Quand Flora Du Rantin, la fille — 1869 (21)

Louis Veuillot Les couleuvres

Fille à marier

Quand Flora Du Rantin, la fille
De monsieur Du Rantin, rentier,
J’en suis d’accord : dans le sentier
De l’honneur parfait, elle brille.

La mère Du Rantin pointille :
Tel est le droit de l’églantier.
Mais Flora, la fleur, est gentille.
Elle a Rotschild pour papetier.

Elle est folâtre, elle est touchante,
Elle est pianiste, elle chante,
Et lit les auteurs en renom.

Bref, rien ne t’empêche de prendre
Cet ange très-bouffant, sinon
Que tu balances à te pendre.

Q14 – T14 – octo

La chevelure au vent, la jupe retroussée, — 1869 (20)

Louis Veuillot

Arabella

La chevelure au vent, la jupe retroussée,
Montrant ses dents d’une aune et ses pieds d’un empan,
Miss Arabella Ship, voguant, roulant, grimpant,
Arpente l’univers d’une course pressée.

Que cherche-t-elle enfin, et quelle est sa pensée ?
Miss est-elle  biblique, – ou dévote au dieu Pan ?
On dit qu’elle a frôlé maint et maint chenapan,
Qu’un roi nègre une fois sur son cœur l’a pressée.

Qu’en sait-on ? Moi, je  crois que miss Arabella,
Téméraire brebis, impunément bêla,
Et que les loups d’accord ont manqué la fortune.

Je lis – fort mal peut-être – en son air ahuri,
Que sa longue innocence à la fin s’importune,
Et se sait trop peu gré de n’avoir point péri.

Q15 – T14 – banv