Archives de catégorie : Traduction

Il n’est honte devant laquelle la luxure — 1900 (9)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 129

Il n’est honte devant laquelle la luxure
Recule pour pouvoir librement s’assouvir.
Cruelle jusqu’au sang, déloyale, parjure,
Sauvage, vile, infâme, elle est tout à plaisir.

Mais le mépris la suit avec sa flétrissure;
Comme il fut follement poursuivi, son désir,
Aussitôt satisfait, est maudit sans mesure,
Tel le poison qu’enferme un perfide élixir.

Et c’est toujours ce but, qui n’admet pas de halte,
Vers lequel néanmoins sa démence s’exalte,
Faible bonheur qu’attend un réveil trop amer,

Délice qui finit dans la poudre du rêve!
L’homme sait tout cela; pourtant il bat sans trêve
Le céleste chemin qui mène à cet enfer.

Q8 – T15 – tr

Je suis comme le riche assuré de pouvoir — 1900 (8)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 52

Je suis comme le riche assuré de pouvoir
Retrouver son trésor en ses coffres fidèles
Et qui n’émousse pas, par de continuelles
Visites, le plaisir qu’il goûte à l’aller voir.

C’est ainsi que l’on trouve, en les voyant échoir
Moins fréquentes dans l’an, les fêtes bien plus belles;
Les pierres d’un collier, lorsqu’il existe en elles
Plus d’espace, se font de même mieux valoir.

En vous gardant pour moi, le Temps est ma cassette,
L’armoire où j’ai fermé mon beau manteau de fête,
Et j’attends le moment de désemprisonner,

Pour l’étaler encor, votre magnificence.
Heureux êtes-vous donc, vous qui pouvez donner,
Présent, tant de bonheur; – absent, tant d’espérance!

Q15 – T14  – banv –  tr (sh52)

Nous cherchons ici-bas une postérité — 1888 (6)

Alfred Copin (trad.) Les sonnets de Shakespeare traduits en vers français

I

Nous cherchons ici-bas une postérité
Pour éviter la mort à la beauté suprême,
Et qu’une fois flétrie, à sa maturité,
Il reste son image en une autre elle-même.

Mais toi, le fiancé de tes brillants regards,
Tu nourris ton éclat de ta propre substance;
Ennemi de ton charme et pour toi sans égards,
Tu fais une famine où règne l’abondance.

Toi, du monde aujourd’hui le plus frais ornement,
Qui n’es que le héraut de l’été parfumant,
En ton propre bourgeon tu conserves ta sève

– Lâche! qui se ruine en économisant!
Ecoute la nature, ou sinon te brisant,
Elle te poursuivra jusqu’au tombeau sans trève!

Q59 – T15 – tr – Shakespeare, sonnet 1: « From fairest creatures we desire increase, … « 

Vous qui prêtez l’oreille à cette plainte amère — 1887 (2)

J. Casalis et E. de Ginoux (trad.)Cinquante sonnets de Pétrarque

Vous qui prêtez l’oreille à cette plainte amère
De mes vers, long soupir à l’écho confié,
Dont j’ai nourri mon coeur trop plein de sa chimère,
Quand il ne s’était pas encor purifié.

Pour mes chants de triomphe et mes cris de misère,
Comme pour mon orgueil déjà tant expié,
Parmi vous tous qu’Amour a fait souffrir, j’espère,
A défaut de pardon, trouver quelque pitié.

Je vois trop maintenant que de la multitude
Je fus longtemps la fable; aussi bien, dans mon coeur,
Je rougis de moi-même et de ma servitude.

J’ai recueilli pour fruit de ma crédule ardeur
Le repentir, la honte, enfin la certitude
Que la faveur du monde est un songe trompeur.

Q8 – T20 – tr  (Pétrarque, rvf 1)

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux — 1884 (6)

L. Jehan-Madelaine Sonnets de Pétrarque – Traduction libre –

I

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux
Rappellent les écarts de ma folle jeunesse,
Alors que, me croyant à jamais amoureux,
J’exaltais dans mes chants quelque belle maîtresse;

Si vous avez aussi brûlé des mêmes feux,
Eprouvé les tourments de l’amour, son ivresse,
Vous plaindrez mon malheur, mes accents douloureux
Et vous pardonnerez mon extrême faiblesse.

Je comprends maintenant qu’on traite d’insensé
Cet ancien sentiment: mon coupable passé,
Que je déplore, hélas!, dont je rougis moi-même.

Ma folie a produit ce fruit: le repentir.
Tout ce qui plaît au monde est mensonge ou blasphème:
Epris de l’amour vrai, je maudis le plaisir.

Q8 – T14 – tr (Pétrarque, rvf 1)

– Foutons-nous, mon âme, foutons-nous dare-dare, — 1882 (13)

Alcide Bonneau (trad) Sonnets luxurieux de l’Arétin

Sonnet I

– Foutons-nous, mon âme, foutons-nous dare-dare,
Puisque pour foutre nous sommes tous nés ;
Si tu adores le vit, moi j’aime le con,
Le monde serait un rien qui vaille sans cela.

Et si post mortem il était permis de foutre,
Je te dirais : Foutons jusques à en mourir ;
Après, nous irons foutre Adam et Eve,
Qui furent cause de la malencontreuse mort.

– Vraiment, c’est vrai ; car si les scélérats
N’avaient mangé la traîtresse de pommes ;
Je sais bien que les amants ne cesseraient de jouir.

Mais laissons aller les bêtises ; et jusques au cœur
Plante-moi ton vît : fais que de moi jaillisse
L’âme que le vît fait tantôt naître et tantôt mourir,
Et, si c’était possible,
Ne me laisse pas hors de la motte tes couillons,
Heureux témoins de notre plaisir.

vl  tr  s. caudato, genre presque inconnu du sonnet français

O vous qui, dans mes vers écoutez la cadence, — 1877 (3)

Joseph Poulenc, trad.Rimes de Pétrarque

I

O vous qui, dans mes vers écoutez la cadence,
Des soupirs qui servaient d’aliment à mon coeur
Quand je subis l’assaut de ma première erreur,
Aux jours déjà lointains de mon adolescence,

J’attends, sinon pardon, tout au moins indulgence
De celui qui connaît l’amour et son ardeur,
Si, dans mon vain espoir et ma vaine douleur,
Je ne fais que pleurer et peindre ma souffrance.

Mais je vois maintenant combien au peuple entier,
J’ai dû servir longtemps de fable et de risée,
Et je rougis de moi dans ma propre pensée.

Et voilà le profit de mon long rêve altier:
Le repentir, la honte, et l’aveu sans mystère
Que ce qui nous plaît tant n’est qu’un songe éphémère

Q15 – T30 – tr  (Pétrarque rvf 1)

Toi qui vis au dedans d’une chair vulnérable, — 1876 (11)

coll. Le Parnasse Contemporain, III

Alfred des Essarts

D’après Shakespeare

Toi qui vis au dedans d’une chair vulnérable,
En butte à l’ennemi que tu veux protéger,
O pauvre âme, pourquoi rechercher le danger
Et te rendre toi-même abjecte & misérable?

Ayant avec la vie un bail si peu durable,
Pourquoi parer un corps qui n’est qu’un étranger?
De riches ornements à quoi bon surcharger
Ta fragile demeure assise sur le sable?

Crois-tu qu’avec le corps il te faille finir?
Sa ruine est ta vie & sa douleur ta gloire;
Au prix d’un temps impur gagne un saint avenir.

Fais-toi de vrais trésors: le reste est illusoire.
Nourris-toi de la mort; que ce soit ta victoire:
Car, la mort étant morte, on ne doit plus mourir.

Q15 – T21  tr – s.146 « Poor soul, the center of my sinful earth … »

Vous qui prêtez l’oreille aux accents de ma lyre, — 1874 (16)

Pétrarque trad. Philibert Le Duc

I – Proème

Vous qui prêtez l’oreille aux accents de ma lyre,
Aux soupirs dont mon coeur s’est nourri si longtemps,
Avant d’avoir compris l’erreur de mon printemps
Et ce que Dieu commande à ceux qu’il veut élire:

Si vous avez aimé, vous tous qui daignez lire
Ces rimes, où je pleure et les voeux inconstants
Et les vaines douleurs que dissipe le temps
Ne me pardonnez pas, mais plaignez mon délire.

Quand maintenant je songe au facile succès
Qu’auprès du peuple ont eu mes frivoles essais,
J’ai honte des lauriers que la sagesse émonde.

Car à quoi m’a servi ce nom dont je suis las,
Si ce n’est d’en rougir et de savoir, hélas!
Que tout rêve de gloire est le jouet du monde!

Q15 – T15 – tr

La luxure en acte c’est la dépense de l’âme dans un abîme de honte — 1873 (33)

Shakespeare Sonnets, trad. E. Montégut


CXXIX

La luxure en acte c’est la dépense de l’âme dans un abîme de honte, et lorsqu’elle a passé en acte la luxure est parjure, meurtrière, sanguinaire, pleine de blâmes, sauvage, excessive, brutale, cruelle, indigne de confiance. On n’en a pas plutôt joui, que soudain on la méprise; on la poursuit hors de toute raison, et on ne l’a pas plutôt satisfaite qu’on la hait au-delà de toute raison, comme une amorce qu’on a avalée et qui était placée tout exprès pour rendre fou celui qui l’avalerait: c’est une folie dans la poursuite, et une folie dans la possession, elle est extrême à la fois dans le souvenir du plaisir passé, dans le présent de la jouissance, et dans l’appétit qui nous pousse à l’assouvir: d’avance c’est un bonheur, après une véritable infortune; d’abord c’est une joie qu’on se propose, ensuite ce n’est plus qu’un rêve. Tout cela, le monde le sait parfaitement, cependant personne ne connaît le moyen d’éviter le ciel qui conduit les hommes à cet enfer.

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