Archives de catégorie : Traduction

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu, — 1840 (16)

Sainte-Beuve Œuvres poétiques

Sonnet de Sainte Thérèse
A Jésus crucifié

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu,
Ce n’est pas l’heureux ciel que mon espoir devance,
Ce qui m’incite à t’épargner l’offense,
Ce n’est pas l’enfer sombre et l’horreur de son feu !

C’est toi, mon Dieu, toi par ton libre vœu
Cloué sur cette croix où t’atteint l’insolence ;
C’est ton saint corps sous l’épine et la lance,
Où tous les aiguillons de la mort sont en jeu.

Voilà ce qui m’éprend, et d’amour si suprême,
O mon Dieu, que, sans ciel même, je l’aimerais ;
Que, même sans enfer, encor je te craindrais !

Tu n’es rien à donner, mon Dieu, pour que je t’aime ;
Car, si profond que soit mon espoir, en l’ôtant,
Mon amour irait seul, et t’aimerait autant !

Q15 – T30  – 2m (v.1-3-5-7 : déca) –  tr.

A l’heure où Jésus-Christ, au sommet du Calvaire, — 1839 (16)

Antoni Deschamps Résignation

Sonnet imité de Gianni

A l’heure où Jésus-Christ, au sommet du Calvaire,
Poussa le grand soupir et mourut sur la terre,
Dans l’autre monde Adam fut ému de pitié ;
Dans sa couche de fer se levant à moitié,
Tout pâle il se pencha sur Eve, notre mère,
Puis, en la regardant d’un œil triste et sévère :
« Femme, s’écria-t-il d’une funèbre voix
C’est pour vous que ce juste expire sur la Croix ! »

aabbaabb 8v  tr (une sérieuse condensation de l’original !)

Quand je considère comment la lumière a disparu pour moi — 1839 (10)

Kervyn de Lettenhove trad. Milton Oeuvres choisies


Sur sa Cécité

Quand je considère comment la lumière a disparu pour moi avant la moitié de mes jours dans ce monde vaste et obscur et que le talent qu’on ne peut cacher sans être puni de mort m’a été donné sans utilité, quoique mon âme se dévoue à servir mon créateur et à lui rendre compte fidèle. De peur que, se retournant vers moi, il ne me condamne, je demande avec amour:  » Dieu réclame-t-il le travail du jour en l’absence de la lumière?  » Mais la Patience, arrêtant mon murmure, me répond aussitôt: « Dieu, n’a besoin ni du travail de l’homme ni de ses propres bienfaits. Ceux-là le servent le plus saintement, qui portent le mieux son joug pacifique; sa position est pareille à celle d’un monarque; des milliers d’hommes s’empressent à ses ordres et traversent sans cesse la terre et l’océan; mais ceux-là qui restent immobiles et attendent, le servent aussi.  »

pr – tr

Le célèbre sonnet de Milton ( ‘When I consider how my Light is spent’ ) en un paragaphe compact de prose.

Rebuté des humains, flétri par l’infortune, — 1839 (8)

Louis Ayma Les préludes

XXII – Imité de Shakespeare

Love’s Consolation

Rebuté des humains, flétri par l’infortune,
Seul comme en un désert, je déteste mon sort;
Je fatigue le ciel de ma plainte importune,
Et jetant l’oeil sur moi je désire la mort.

J’ai convoité de l’un la féconde espérance,
De l’autre les trésors et les amis nombreux,
De celui-ci les arts, la beauté, la naissance;
Car je n’ai pas reçu du ciel ces dons heureux.

Mais si, dans ces moments de souffrance muette,
Je pense à vous; – alors, pareil à l’alouette
Qui vole vers les cieux aux derniers feux du jour,

Un hymne de bonheur de mon âme s’élance,
Car je préfère à l’or, aux arts, à la naissance,
Le touchant souvenir de votre chaste amour.

Q59 – T15 – tr

On peut regretter que dans son ‘imitation’ du sonnet 29 de Shakespeare (qu’il traduit après Chasles), il ne respecte pas la forme: après deux quatrains en rimes alternées distinctes, il termine par un sizain à la Ronsard .

Vous qui écoutez l’accent de mes soupirs exprimés en vers — 1838 (9)

Mr le chevalier d’ArrighiOdes et sonnets choisis de Pétrarque

I

Vous qui écoutez l’accent de mes soupirs exprimés en vers, dont je nourrissais mon coeur dans la première folie de ma jeunesse, quand j’étais presqu’un autre homme que je ne suis maintenant.

Du différent style dans lequel je pleure et je parle, flatté de vaines espérances et accablé d’une inutile douleur; s’il y a parmi vous quelqu’un qui éprouve de l’amour par preuve, j’espère trouver de la pitié plus que du pardon.

Mais je vois bien maintenant combien pendant long-temps je fus la fable de tout le monde; ainsi bien souvent j’ai honte de moi-même.

Et le fruit de mes rêveries, n’est que la honte, le repentir, et de connaître clairement, que tout ce qui plaît au monde n’est qu’un petit songe.

pr – rvf1  (premier sonnet de Pétrarque)

Ne pleurez pas long-temps pour moi, quand je serai
 mort : — 1836 (14)

François-René de Chateaubriand Mémoires d’Outre-tombe, t.1

Ne pleurez pas long-temps pour moi, quand je serai
 mort : vous entendrez la triste cloche, suspendue 
haut, annoncer au monde que j’ai fui ce monde vil,
 pour habiter avec les vers plus vils encore. Si vous
 lisez ces mots, ne vous rappelez pas la main qui les
 a tracés ; je vous aime tant que je veux être oublié
 dans vos doux souvenirs, si en pensant à moi vous
 pouviez être malheureuse. Oh ! si vous jetez un
 regard sur ces lignes quand peut-être je ne serai
 plus qu’une masse d’argile, ne redites pas même 
mon pauvre nom, et laissez votre amour se faner
 avec ma vie.

pr tr sh 70

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs — 1834 (8)

Leon de Wailly in Revue des Deux Mondes, t4

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs
La cloche, à la voix sombre, annoncera qu’une âme
Au céleste foyer a rapporté sa flamme
Qu’un cadavre de plus habite avec les vers.
Par pitié pour tous deux ! si vous lisez ces vers,
Oubliez-en l’auteur : on le raille, on le blâme ;
Et combien j’aime mieux l’oubli que je réclame,
Que si penser à moi rendait vos jours amers !O
ui, si vous les lisez, ayez bien soin de taire
Un nom qui doit dormir avec moi dans la terre ;
Que je sois par la mort de votre amour exclus ;
Car j’aurais trop de peur qu’épiant chaque larme
Ce monde si sensé de moi se fît une arme
Pour vous blesser au cœur quand je n’y serai plus.

Q15 T15 trad sh 70 – sns

Pour t’aimer, ô mon Dieu, me faut-il l’espérance — 1834 (4)

Firmin Didot Poésies

A Jésus crucifié

Pour t’aimer, ô mon Dieu, me faut-il l’espérance
Du ciel que m’a promis ton immense bonté ?
Me faut-il de l’enfer l’avenir redouté,
Pour défendre à mon cœur de te faire une offense ?

Je ne vois rien que toi. C’est ta longue souffrance,
Ton corps, percé de clous, suspendu, tourmenté,
Ta croix, ce sang divin sortant de ton côté,
C’est là ce qui me touche, ô Dieu plein de clémence.

Le bonheur de t’aimer a pour moi tant d’appas,
Que je t’aurais aimé si le ciel n’était pas ;
S’il n’était pas d’enfer, je t’aurais craint de même,

Ce cœur qui te chérit ne veut rien en retour.
Dans ta grace, sans doute, est mon espoir suprême !
Mais, sans aucun espoir, j’aurais autant d’amour.

Q15  T14  – banv – tr (Sainte Thérèse – A Cristo Crucificado)

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne, — 1833 (6)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

Le déclin de la vie

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne,
Où la feuille jaunit, où l’on voit tous les jours
Le bois perdre un fragment de sa belle couronne:
Temple où le rossignol soupirait ses amours.
Temple en ruine, hélas! – Voici venir cette ombre
Qui couvre l’univers, quand le soleil s’enfuit;
Quand la terre et les cieux attendent la nuit sombre,
Image de la mort, cette éternelle nuit!
Sur le foyer éteint, les cendres de ma vie,
Je rêve tristement. J’aimai, je fus aimé;
Quelques instants encor, ma carrière est remplie:
Ce feu qui m’a nourri m’aura donc consumé!
Tes yeux voyent pâlir le flambeau de ma vie,
Et tu m’aimes toujours, mon ange! Ah! Sois bénie!

Q59 – T19 – sns – sh –

Ces traductions des sonnets 29 (When in disgrace with fortune and men’s eyes) et 73 (The time of year thou mayst in me behold) de Shakespeare sont les premières (et de longtemps les seules) à reproduire la disposition des rimes (abab  cdcd  efef  gg) et la non-séparation des strophes, caractéristiques de cette sous-espèce de la forme-sonnet.

D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent; — 1833 (5)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

La consolation
D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent;
Seul, rebuté du monde et maudissant mon sort,
Mes inutiles cris dans les airs retentissent:
Le ciel est sourd: je pleure, et désire la mort.
D’autres ont des amis, d’autres ont la richesse;
Ils ont reçu du ciel, le repos, d’heureux jours,
Les honneurs, la beauté, la gloire, la sagesse;
Inestimables biens qui me fuiront toujours.
Dans ces pensers amers, quand tout mon coeur se noie,
Je pense à toi! – Mon âme heureuse en son réveil,
S’élance et fait jaillir l’hymne ardent de sa joie,
Comme part l’alouette au lever du soleil.
Doux souvenir! amour! mon bonheur! ma couronne!
Tu suffis à ma vie, et tu vaux mieux qu’un trône.

ababcdcdefefgg – sns – sh – La formule de rimes est celle des sonnets de shakespeare