Archives de catégorie : bi

Le ‘bouquet inutile’: une séquence de sonnets choisis au hasard

Je me suis laissé prendre au piège — 1863 (12)

François-Victor Lacrampe Les chaumes

Sonnet

Je me suis laissé prendre au piège
De ces deux yeux noirs et profonds,
Et les miens leur font un cortège
Comme aux roses les papillons.

Ces yeux ornent un front de neige
Couronnés de beaux cheveux blonds,
C’est comme un voile qui protège
Leurs mélancoliques rayons.

Malgré moi, je reste en extase ;
Je veux parler, mais chaque phrase
S’arrête et jamais ne finit.

J’admire leur beauté divine,
Silencieux … çà, ma voisine,
Je suis bien près de votre nid.

Q8  T15  octo  bi

Au fond des bois, sous l’humide feuillée, — 1863 (11)

Alexandre Toupet Vieux péchés

Emma Livry

Au fond des bois, sous l’humide feuillée,
Tout gazouillait de badines chansons,
Des bruits joyeux montaient de la vallée,
Et dans leurs nids chantaient les oisillons.

Un papillon avait pris sa volée !
Sylphe rapide, il faisait sa moisson
D’un beau jardin parcourant chaque allée,
Se promenant de la fleur au buisson.

Comme une abeille, ô mutine sylphide,
Tu voltigeais, sans craindre l’avenir
Qui t’entrainait d’un sourire perfide.

Car sans songer qu’un jour tout doit finir,
Tu vins frôler une funeste flamme
Qui dans l’azur fit s’envoler ton âme

Le 15 novembre 1862, pendant une répétition sur la scène de l’Opéra, la gracieuse artiste chorégraphique, qui allait reprende le rôle de Fenella, dans La muette de Portici, s’étant imprudemment mise sur un praticable, placé près d’une herse de gaz, se vi soudainement entourée d’un réseau de flammes.

Q8  T23  déca  bi

Tandis que pour trouver, tous deux, la bonne étoile, — 1863 (10)

Charles Sorbets Poésies

A MON FRERE

Tandis que pour trouver, tous deux, la bonne étoile,
Mon frère, nous portons nos regards vers l’azur,
A tes yeux attendris un astre se dévoile
Brillant aux doux reflets du firmament si pur.

Une étoile! insensé, j’ai cru trouver la mienne;
Une femme au coeur d’ange, un trésor que j’aimais!..,
Quelle autre destinée est égale à la tienne!
Que ton bonheur, ami, ne s’éloigne jamais,

Ah! pour moi le bonheur est une étrange chose.
Une fleur qui s’entr’ouvre et meurt à peine éclose ;
Une ombre qui me fuit quand je crois la saisir.

Le ciel que tu cherchais t’apparaît sans nuages.
Moi, je n’ai rencontré que de trompeurs mirages,
J’oubliais que mon sort est de toujours souffrir.

Q59  T15  bi

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine, — 1857 (2)

Joseph PétasseLe Collier de perles sonnets –

Pourquoi la forme du sonnet

Comme le sage Horace et le bon La Fontaine,
J’aime les courts récits, j’ai peur des longs travaux;
Mon pied aime à fouler les gazons de la plaine
Et trébuche en montant les rapides coteaux.

Bien mince est mon bagage et courte mon haleine.
Je ne saurais suffire à ces drames nouveaux
Où l’auteur haletant, péniblement promène
Le lecteur fatigué de ses sombres tableaux.

Mais graver sa pensée ou riante ou sévère
Dans un cadre imposé qui la borne et l’enserre,
Avec un horizon bien défini, bien net,

C’est un travail que j’aime, où ma muse est à l’aise,
Où mon coeur agité se délasse et l’apaise.
C’est pourquoi j’ai choisi la forme du sonnet.

Q8 – T15 – s sur s – bi Le grand sonettiste Pétasse répartit ses soixante-dix sonnets en ‘diseaux’. Chaque ‘diseau’ contient dix sonnets.

Suivi des souvenirs de ma normande plage, — 1857 (1)

Alexandre Cosnard in La Muse des familles

Fleurs hâtives

Suivi des souvenirs de ma normande plage,
Parfois, portant mes pas et ma tristesse ailleurs,
Je rencontre un pommier tout jeune et tout en fleurs,
Quoique de bois chétif et presque sans feuillage:

Je rencontre un enfant, parmi ceux du village,
Qui semble, à son maintien, n’être pas un des leurs …
Pauvre ange aux grands yeux bleus, aux fiévreuses couleurs,
Grave et pensant raison si longtemps avant l’âge!

Les gens de ce pays sont pleins d’espoir alors:
L’enfant et le jeune arbre aux précoces trésors,
On les fête à l’envi, mais moi, mon coeur se serre;

Car, pour l’arbre et l’enfant, ma mère avait chez nous
Un triste adage appris par moi sur ses genoux,
C’est: « Croître de souffrance et fleurir de misère! »

Q15 – T15 -bi

Quand, dans les profondeurs de ses cryptes secrètes, — 1845 (1)

Désiré Tricot Poésies d’un fantasque

Sur la dune

Quand, dans les profondeurs de ses cryptes secrètes,
La mer, avec un râle et s’absorbe et se perd,
Avez-vous, de la dune envahissant les crètes,
Considéré parfois le sable découvert?

Et, pensif, contemplant les gigantesques rides,
Stigmates à la grève imprimés par le flot,
Et l’océan qui fuit, et les plages arides,
De cette grande énigme interrogé le mot?

Malheur! malheur à l’homme! est-il prêt à vous dire:
Car cette grande mer qui râle et qui s’aspire,
C’est la virilité, ce sont les passions,

Qui délaissent, après les avoir inondées,
Les âmes des humains, inertes et ridées
Par d’immenses regrets, infertiles sillons!

Q59 – T15 – bi

Au sein de la cité bourbeuse, tristes murs, — 1843 (26)

Alexandre Cosnard Tumulus

A mon ami Prosper Doyen – sonnet

Au sein de la cité bourbeuse, tristes murs,
Où vont se dégorger tous les égouts du globe ;
Où celui qui blasphème et celui qui dérobe
Surabondent de joie en leurs ébats impurs :

Jeune homme, qui, marchant à pas fermes et purs
Parmi tout ce limon sans souiller votre robe
Avez gardé la foi, jeune homme ardent et probe
Qui passez votre vie en dévouements obscurs,

Quand je vous vois souffrir du corps, souffrir de l’âme,
Parfois contre le ciel je pousse un cri de blâme,
Puis je dis : « Celui-là souffre pour nos péchés !

Et c’est sans doute l’un de ces justes cachés,
Dont la sainte présence ici nous sauve encore
Et fait hésiter Dieu prêt à brûler Gomorrhe »

Q15  T13  bi

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées, — 1842 (4)

Joseph Pétasse Fleurs des champs

Sonnet

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées,
Que la lune blanchit de ses douces lueurs.
J’aime l’aspect touchant de ces nuits étoilées
Où rayonnent au ciel les divines splendeurs.

J’aime des vents du soir les haleines mêlées,
Qui promènent dans l’air d’énivrantes splendeurs.
J’aime du rossignol les notes modulées,
Qui caressent  mon âme et font couler mes pleurs.

Lorsque je m’abandonne aux vagues rêveries,
Que réveillent en moi ces voluptés chéries,
Une extase subite emplit bientôt mon coeur.

Et mon coeur succombant à cette pure ivresse,
Pour exalter son dieu, ne trouve en sa détresse,
Ne trouve que ces mots: « Seigneur, Seigneur, Seigneur! …  »

Q8 – T15 – bi suite du ‘Bouquet inutile’

Je ne sais qui me porte à peindre tout cela, — 1838 (8)

Hipployte de  La Morvonnais La Thébaïde des grèves

La cabane  éboulée, II

Je ne sais qui me porte à peindre tout cela,
Mais malgré moi, mon vers coule à sa destinée;
C’est là ma mission. – Seras-tu fortunée,
Ma mission d’amour? Suis-je ici, suis-je là?

Toujours quelque détail que recèle une année
Voisine du berceau, m’arrive, et me voilà
Laissant courir ma plume; or qui donc m’appella
A cette oeuvre où s’en va mon âme abandonnée.

Qu’en sais-je, mes amis? Qui fait chanter l’oiseau,
Ou sourire l’enfant dormant dans le berceau?
Qui donne les parfums au laurier des ruines?

Un esprit est en moi qui chante tout d’abord,
Quand on fait la prière, ou bien lorsque la mort
Visite le village et les fermes voisines.

Q15 – T15 – bi

Bienheureux le mortel qui peut de l’existence — 1838 (7)

Désiré Cadilhac Echos du coeur

Amour et Poésie

Bienheureux le mortel qui peut de l’existence
Adoucir par l’amour la mortelle rigueur!
De joie et de parfum il enivre son coeur
Et livre sa boussole au vent de l’espérance;

Une ame dans son ame épanche le bonheur. –
Il se berce, tranquille, au sein de l’indolence:
Au travers des plaisirs comme un rêve trompeur,
Son oeil dans le lointain voit passer la souffrance;

– Bienheureux le poète! il est l’enfant du ciel;
Car son coeur fait monter aux pieds de l’Eternel
Comme un encens pieux, ses prières de flamme;

La foi devant ses yeux fait briller son flambeau,
Et lui, sans frissoner, marchant vers le tombeau,
Attend le paradis dans les bras d’une femme.

Q17 – T15 – bi : 7-8 Premiers sonnets d’une séquence que j’intitule Le bouquet inutile. Les poèmes de cette séquence ont été choisis à peu près au hasard.