Archives de catégorie : Variétés particulières

Composer un sonnet, quelle folle entreprise! — 1902 (5)

Edouard d’HervilleLes jours et les nuits

A Cypris

Composer un sonnet, quelle folle entreprise!
C’est vouloir conquérir la fameuse toison
Sans l’aide de Médée et sans être Jason.
Mais, pour plaire à Cypris il faut que je m’épuise.

Elle veut un sonnet: j’ai l’âme trop éprise
Pour ne pas obéir à ce charmant démon.
Je veux glisser mes vers ce soir sous l’édredon;
Ce sera pour ma mie une aimable surprise.

Amour, sois-moi propice et dirige mes pas,
Au milieu du chemin ne m’abandonne pas
Et bientôt je pourrai célébrer ma victoire.

Oui déjà, grâce à toi, j’entrevois le bonheur,
Et, fier de ton appui, je chante ici ta gloire.
– Cypris, je touche au but; toucherai-je ton cœur?

Q15 – T14  s sur s

Un obscur mouvement d’amour et de musique — 1902 (2)

Saint-Georges de Bouhélier Les chants de la vie ardente

Les rythmes

Un obscur mouvement d’amour et de musique
Sort des globes lointains et balance mes vers,
Or bercé par les lois de l’immense univers
Mon poème se scande et vit dans la physique.

Ces mondes dont le rythme à ma voix communique
Ces tourbillons divins et ces accents divers
Prolongeant dans mes chants leur force et leur éclair
Créent en eux un esprit religieux et panique.

Ainsi les stances d’or de mes sonnets égaux
Reproduisent l’élan des sphères dans leur groupe,
Et celui qui les lit ne lit pas que des mots.

Mais, subissant les lois des planètes du ciel,
Dont ces sonnets ont emprunté l’essentiel,
Il voit bondir l’éther au-dessus de leur troupe.

Q15 – T25  – s sur s

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame, — 1902 (1)

– revue Le Sonnettiste (Louis Le Roy)

Un Sonnet

Un sonnet, dites-vous; savez-vous bien, Madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
‘Madame’, heureusement, rime avec ‘âme’ et ‘flamme’,
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second. Le second je l’entame
Et prends en l’entamant un air tout guilleret;
Car ne m’étant encor point servi du mot ‘âme’,
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime ou je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé.

Q8 – T15  – s sur s

Il a bien su jouer d’une femme docile, — 1901 (13)

Aimé Passereau in Le Sagittaire

Les joyeusetés, VIII

Il a bien su jouer d’une femme docile,
Et s’enrichir sans regarder à la façon
Qui dont reconnaîtrait sous l’éclat du blason
Acheté au Saint-Père, un garçon de vaisselle ?

On se l’arrache, il est le roi de la ’saison’
Il assiste à tous les dîners qu’on donne en ville,
Son luxe énorme et sa brochette universelle
Flattent la vanité des maîtres de maison.

D’avoir été laquais, marlou, ça l’avantage !
De ses courbes d’échine et de ses cocuages
Il porte à ses revers la suite écrite en croix.

Il est chargé de tous les crachats qu’il mérite
Pourtant il se désole à voir que ses étroits
Parements et qu’aussi la Honte ait ses limites !

abba’  baa’b T14  bi

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant; — 1900 (4)

Arsène VermenouzeEn plein vent

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant;
S’ils ont l’accoutrement fruste du pauvre hère,
Qu’il couche, tout vêtu, dans la grange, sur l’aire,
C’est parce qu’ils sont fils d’un barde paysan,

D’un barde et d’un chasseur: je les fais en chassant.
Dans les brousses où le renard a son repaire,
Sur les hauts mamelons où le genêt prospère,
Je vais, baguenaudant, rêvant, rimant, musant.

Cependant mon sonnet prend forme, s’élabore:
Comme un sauvageon, qu’en plein champ on voit éclore.
Il naît, agreste, mais sentant bien le terroir,

Sentant bien l’herbe fraîche et la feuille des hêtres,
Et les fougères que j’emporte dans mes guêtres:
Il est encor tout chaud, quand je l’écris, le soir.

Q15 – T15 – s sur s

Non, non, votre secret n’était pas un mystère. — 1899 (15)

Louis Fréchette Mémoires de la Royal Society of Canada, Section française t.5

Réponse au sonnet d’Arvers

Non, non, votre secret n’était pas un mystère.
Cet amour éternel discrètement conçu,
Vous avez, ô poète, eu grand tort de le taire:
Celle que vous aimiez l’a toujours fort bien su.

Vous n’avez point passé près d’elle inaperçu;
Votre âme à ses côtés n’était pas solitaire;
Mais vous avez perdu votre temps sur la terre:
N’osant rien demander, vous n’avez rien reçu.

Les femmes ont le coeur aussi subtil que tendre:
Pas une, soyez sûr, qui marche sans entendre
Le moindre des soupirs exhalés sur ses pas.

À l’instinct de leur sexe uniquement fidèles,
Des centaines, croyant vos vers tout remplis d’elles,
Raillaient votre silence… et ne vous plaignaient pas.

Q10  T15 – arv

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet; — 1899 (3)

Paul RomillyMuse & Musette

Le sonnet

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet;
Je me laisse bercer à son rythme qui chante,
Que sa note résonne ironique ou touchante,
Nocturne rossignol ou joyeux sansonnet;

Et, comme quelquefois de l’air la chanson naît,
Il advient, écartant une rime méchante,
Que l’on fasse, d’un mot à tournure approchante,
Jaillir un sens nouveau qu’à peine on soupçonnait.

D’ailleurs, c’est à mes yeux l’habit qui fait le moine:
Un blanc dominicain plaît mieux qu’un gras chanoine;
Le flacon ciselé fait goûter la liqueur.

Enfin, sonnet galant, en ta forme que j’aime,
N’es-tu pas, mousquetaire, élégant et vainqueur,
Même avec des défauts, moins long qu’un court poème?

Q15 – T14 – banv – s sur s

Jadis je n’aimais point ce doux lit de Procuste — 1899 (2)

Joseph Serre Les sonnets intimes

Le sonnet

Jadis je n’aimais point ce doux lit de Procuste
Qui se nomme sonnet. Pourquoi meurtrir ainsi
La céleste pensée, en sa fraîcheur auguste,
Dans les mailles d’argent d’un filet rétréci?

Que ne la laisses-tu voltiger sans souci
Comme le papillon, grandir comme l’arbuste,
Comme l’aigle planer dans sa liberté fruste,
Loin des chaînettes d’or de ce cachot transi?

Mais non. Ce fut jadis au milieu des entraves,
Dans les chaînes d’airain, sur la croix des esclaves,
Que l’homme libre a pris son essor vers les cieux.

La douceur fait notre âme et plus vaste et plus fraîche,
Tu sors d’une prison, papillon gracieux.
Et l’Infini lui-même est plus grand dans la Crèche!

Q10 – T14 – s sur s

Dans les trompes d’argent, ô fanfares, sonnez ! — 1898 (22)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Sonnetistes, à l’œuvre !

Dans les trompes d’argent, ô fanfares, sonnez !
Qu’à vos bruyants appels ne résiste personne,
Car les épis sont mûrs et la moisson foisonne ;
Sonnetistes, à l’oeuvre ! Allez et moissonez !

Prenez tous votre essor, ô chantres des sonnets,
En rhythme éolien que le luth d’or résonne
L’essaim ailé des vers autour de vous frissonne,
Dans deux quatrains égaux l’un à l’autre enchaînés.

Au cliquetis joyeux de leur double cadence,
Secouant les grelots de la rime qui danse,
Les tercets accouplés chantent à l’unisson

Sonnetistes, laissez s’accoupler vos pensées,
Avec des nœuds de fleurs l’une à l’autre enlacées,
Et mariez toujours l’idée avec le son.

(J.B.Gaut)

Q15 T15  s sur s

Comme au bonhomme La Fontaine, — 1898 (21)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Pourquoi des sonnets

Comme au bonhomme La Fontaine,
Les longs ouvrages me font peur :
A mon esprit de courte haleine
Convient un facile labeur.

Pourtant je ne crains pas la peine,
Et je ne suis pas sans ardeur ;
Mais de la source d’Hippocrène
Par gouttes ne vient la liqueur.

Non plus qu’à nos anciens trouvères,
Il ne me faut pas de grands verres
Pour trinquer avec Apollon.

Du Sonnet la faible mesure
Suffit pour rendre mon allure
Titubante au sacré vallon.

(A. Boursault)

Q8 T15 octo  s sur s