Archives de catégorie : s sur s

Sonnets sur le sonnet

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre, — 1843 (2)

MollevaultCinquante sonnets,

xlvi – Le Sonnet

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre,
Toi, tyran de ma verve, impérieux sonnet!
Qui, vanté par Boileau, daigne à peine m’entendre,
Au risque d’un cartel, je te veux parler net.

Lorsque que mon jeune coeur était facile et tendre,
Que l’heure du plaisir pour ma Muse sonnait,
J’allais, près de Vénus, sur le gazon m’étendre,
Et, sans peine, à ses pieds mon vers se façonnait.

Fatigué des travaux, quand du luth je m’escrime,
Mal avec les amours, et mal avec la rime,
Je les suis hors d’haleine, et ne les atteins pas.

Ah! quand l’arrêt du Temps vient tout nous interdire,
Il faut battre en retraite, et chaque jour se dire:
Adieu la rime riche et les riches appas.

Q8 – T15 – s sur s

Vous me demandez dans un beau distique — 1842 (7)

Théodore de Banville Les Cariatides

A M. de Sainte-Marie

Vous me demandez dans un beau distique
Comment je comprends le divin sonnet.
Hélas! aujourd’hui, qui de nous connaît,
Ce lis entr’ouvert, cette fleur mystique?

C’est plus qu’un doux chant, c’est une musique,
C’est un rayon rose, un parfum qui naît,
Un autel à qui Petrarque donnait
L’ambre italien et le marbre attique;

C’est le reflet d’or dans la goutte d’eau,
Le trait que jadis l’enfant Cupido
Tirait du carquois jeté sur ses ailes;

C’est le fard léger des belles de cour,
Le chant de Mozart aux saveurs si belles,
Que, redit trois fois, il semble trop court.

Q15 – T14 – banv –  tara – s sur s
On remarque, avec une certaine surprise que les vers 12 et 14 riment mal (pour la conception classique)
Théodore de Banville semble bien être le premier à réutiliser le ‘taratantara’, cette version antique du décasyllabe, coupé 5/5.
(a.ch) préfère cet autre sonnet en taratantarasdu même auteur:

SOUS BOIS

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu’on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d’orfévrerie,
Les comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux,
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie
Comme resplendit un paon couvert d’yeux.

Puis, tout flamboyants sous les chrysolithes,
Les bruns Adonis et les Hippolytes
Montrent leurs arcs d’or et leurs peaux de loups.

Pierrot s’est chargé de la dame-jeanne.
Puis après eux tous, d’un air triste et doux,
Viennent en rêvant le Poëte et l’Ane[1].

Ce n’est pas au Songe d’une nuit d’été vécu par des personnages de la comédie italienne, ni à Watteau, qu’il convient de se référer, comme le fait Edouard Maynial dans son Anthologie des poètes du XIXe siècle (Hachette, 1935, p. 295), mais au Roman comique de Scarron.
C’est une scène du XVIIe siècle qui est décrite dans une forme de l’époque, le sonnet. L’a-t-elle été selon un vers contemporain : celui de Régnier-Desmarais, tel que Banville pouvait en trouver des exemples dans le Richelet ou chez Quicherat ? L’origine de ce vers serait la solution à un problème de technique (renouvellement par réhabilitation d’une forme ancienne marginale et oubliée), et ne résulterait pas seulement de l’influence de la romance de Musset…


[1]Théodore de Banville : Les Cariatides; Alphonse Lemerre, 1877, pp. 277-278.

En dépit de Boileau je suis un romantique — 1841 (1)

N(icolas) Martin. – Ariel. Sonnets et chansons, suivis d’une traduction de Pierre Schlémihl –


Le Sonnet défini par lui-même

En dépit de Boileau je suis un romantique
Epris de fantaisie et de charmants échos,
Et de nouveaux amours, et de rêves nouveaux,
Vrai Sylphe de l’esprit, Ariel poétique.

Ivre de doux parfums et de douce musique,
Par l’Italie en fleurs un soir je suis éclos,
Tandis qu’un rossignol chantait sur les rameaux.
– Est-ce ainsi qu’eût pu naître un poème classique?

J’aspirais, j’écoutais, quand Pétrarque me prit:
Et l’air du rossignol je le redis pour Laure;
Pour maints coeurs amoureux je le redis encore.
– Mais je suis vieux, dit-on – Imposteur qui le dit!
Ephémère immortel, je renais chaque aurore,
Ou plutôt je m’endors quand l’oiseau s’assoupit.

Q15 – T28 – s sur s – 4+4+6

J’ai voulu d’un sonnet régaler mes amis — 1839 (17)

M. Courtois Mes petits moments

Sonnet dédié aux amateurs

J’ai voulu d’un sonnet régaler mes amis
– Tout beau ! dira quelqu’un ; a-t-il eu tant d’audace ?
– Hé ! pourquoi, cher lecteur ? ne m’est-il pas permis
De vous faire, à mon tour, si je puis, une grâce ?

– Comment ! quatorze vers ! à la règle soumis ? …
– Chacun aura son lieu, j’en ai mis six en place.
Et les huit autres ? – Bah ! sans trop laide grimace
Mes deux quatrains sont faits ; heureux s’ils sont admis !

– Mais les tercets ?  – Voilà le plus fort de l’affaire.
– Vous ne saurez jamais ni l’un ni l’autre faire ;
Vous en aurez la honte, à notre grand plaisir.

– Nicolas, aide-moi ! tu nous a dit toi-même
Qu’un sonnet sans défaut vaut seul un long poème
Si le mien n’en a qu’un je n’ai plus de désir.

Q9  – T15  – sns  – s sur s

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme — 1839 (12)

Auguste Desplaces Une voix de plus

Sonnet A M. Hippolyte Fauche*

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme
Si vanté de Boileau qui redoutait ses lois ;
Poème italien, dont la facture alarme
Plus d’un rimeur qui n’ose y hasarder sa voix.

Mais contre sa rigueur sa grâce me désarme ;
Et sans dure fatigue, à mon aise, à mon choix,
Je répands, selon l’heure, en ce vase une larme,
Ou d’un rayon d’amour j’en dore les parois.

Oui, cette forme étrange a pour moi peu d’entrave,
Et dans ce champ borné, libre, jamais esclave,
J’ai bien encor, tu vois, le loisir et le lieu

De dire tes élans, ta verve de poète,
Ta prose chatoyante et taillée à facette,
De te donner la main et le salut d’adieu.

Q8  T15  s sur s

* traducteur du sanscrit

Du Parnasse français législateur classique, — 1839 (5)

Louis Ayma Les préludes

Louis Ayma, un provincial (dont la BNF ne possède qu’un microfilm tiré sur l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Cahors) annonce dans sa préface:  » La troisième et dernière partie, Des bords de l’Adour, se compose exclusivement de sonnets. … Ces sonnets ont tous, ou presque, été composés à Dax, jolie et
aimable ville du département des Landes, traversé par l’Adour
Presque tous ces sonnets sont de ceux que nous appelons Sonnets libres. Nous n’avons pas la prétention de faire ici une poétique à notre usage; mais nous devons expliquer les raisons qui nous ont autorisé à préférer la forme libre à la forme stricte préconisée par Boileau … Le sonnet en effet, par l’étendue moyenne et précise de ses dimensions, par la coupe variée de ses strophes, est le cadre le plus heureux qu’on puisse imaginer pour mettre en relief une idée unique, un portrait, un souvenir, un symbole, une pensée morale, une impression, un élan, une émotion. Mais, comment conserver ce précieux privilège sous les chaînes ridicules dont les faiseurs de poétique l’ont surchargé? Certes le plus grave reproche qu’on puisse faire à notre poésie, c’est le retour monotone des rimes, vice inné, que les grands maîtres ne dissimulent qu’à force d’art! que sera-ce donc, si pour 8 vers vous n’autorisez que 2 rimes symétriquement disposées? Votre sonnet sera lourd par nécessité et pénible, et aura juste la valeur de quatorze bouts-rimés. Aussi, lisez sans prévention les plus vantés des sonnets réguliers, et vous y remarquerez à première vue un air de gêne qui fatigue et fait mal.
…. nos autorités pour l’affranchissement du sonnet sont …. Shakespeare, qui a fait une quarantaine de sonnets, tous libres. M. Philarète Chasles, dans son volume Caractères & Paysages, a traduit librement deux de ces sonnets, qui font connaître sous sa face intime, le sombre auteur d’Hamlet. On trouvera dans la troisième partie de notre livre un de ces sonnets que nous avons essayé de traduire.

Nous pensons que ces autorités, que nous avons choisies, et non comptées autorisent suffisamment notre tentative de réhabilitation Du reste on trouvera, par-ci, par-là, dans le nombre, quelques sonnets réguliers: mais nous prions le lecteur de croire que nous n’y avons pas songé.

Les poètes espagnols ont introduit dans le sonnet une modification importante: après les tercets, qui chez nous terminenent le sonnet, ils ajoutent deux autres tercets, et quelquefois deux quatrains; ils appellent cela sonnets à queue.
Nous avons aussi essayé de donner au sonnet régulier une autre forme qui, en faisant disparaître le gêne des rimes suivies, permît en quelque sorte de donner quelque développement au tableau, un peu restreint quelquefois dans quatorze vers. Notre modification consiste à croiser deux sonnets réguliers, de façon à ce que le 1 et le 3, le 2 et le 4 soient composés de rimes semblables, mais alternées. Après les quatre quatrains viennent au lieu de deux tercets, deux sizains. On verra un exemple de ce sonnet, que nous appelons redoublé, dans la pièce XIX, à mes linottes.  » (6).

Mr Ayma n’a qu’une idée assez vague de l’histoire du sonnet. Il attribue le ‘sonetto caudato’ aux espagnols et donne 40 sonnets à Shakespeare. Mais il compose ce qui est, il me semble, le premier sonnet renversé.


I – A Boileau

Du Parnasse français législateur classique,
Permets qu’à tes genous, plein d’un pieux effroi,
Le front dans la poussière, un auteur romantique
Vienne se confesser de violer ta loi.

Il s’agit du Sonnet , de ce poème-roi,
Que, dans le chant second du Code poétique,
Tu déclares valoir mieux qu’un poème épique.
Eh bien! des ces Sonnets j’en ai fait cent-un, moi!

Mais hélas! les quatrains de mesure pareille,
La rime avec deux sons frappant huit fois l’oreille,
Je n’ai rien observé dans mon fol abandon;

J’enjambe quelquefois, et souvent je répète
Le même mot, enfin ma folie est complète,
Car je suis romantique, ô Despréaux, pardon!

Q09 – T15 – s sur s

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France, — 1839 (2)

Emile PehantSonnets

A MM. Sainte-Beuve et Barbier

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France,
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla longtemps languir, comme un arbre en souffrance
Qui s’épuise en boutons sans parfums ni couleurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance
Et le fait reverdir comme au temps les meilleurs;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance
Et balancer aux vents son front chargé de fleurs.

Vous, de toutes ces fleurs, vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour atteindre au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, dans ma corbeille, hélas, je ne recueille
Que celles qu’au gazon parfois la brise effeuille,
Et mon maigre bouquet se fanera bientôt.

Q8 – T15 – s sur s

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve! — 1838 (1)

Jules LacroixPervenches

1-3 L’auteur dédie son ‘sonnet sur le sonnet’ à Sainte-Beuve: le sonnet y est dit ‘vase d’or’, ‘cloche’, ‘cage d’or et de cristal’ (toujours le cristal). Pour saluer trois poètes amis, quoi de plus naturel que le vers de 3 syllabes. Les tercets de 3 sont à deux rimes: cdd  ccd
Dans sa préface, il ne résiste pas au désir de montrer qu’il a connu le sonnet bien avant sa vogue naissante (il en met une bonne centaine dans son livre):  » 16 mai 1838 –  Parmi dix ou douze mille vers que je ne publierai sans doute jamais, en voici quelque-uns que j’ai tiré de la poussière; il y a une dizaine d’années qu’ils sont écrits. J’étais poëte alors, ou du moins je voulais l’être
Je me rappelle avec épouvante qu’il n’est pas un seul de ces pauvres sonnets qui ne m’ait dévoré huit bonnes heures: en vérité ce calcul est effrayant!
Je commence à comprendre que huit heures valent beaucoup mieux qu’un sonnet, qui, tout merveilleux qu’il puisse être, ne vaut pas un long poëme, à moins que ce poëme ne soit très ennuyeux.
…. il est assez probable que ces quelques sonnets, autrefois mes joyaux poétiques les plus précieux, n’eussent jamais vu la lumière, car je les avais entièrement oubliés, lorsqu’un jour, dans une de ces fâcheuses dispositions morales où l’on ne peut ni lire ni travailler, où l’on voit tout sous des couleurs sombres, je découvris par hasard, en fouillant dans mes cartons, une vingtaine de feuilles noires et chargées d’écriture, margine scripta, et in tergo...
Je relus donc plusieurs de ces pages raturées et presque indéchiffrables, et j’avoue que ce ne fut pas sans quelque émotion de plaisir; je m’écriai avec une joie d’enfant: « Mes sonnets! voilà mes sonnets! » absolument comme Jean-Jacques Rousseau qui, voyant briller une jolie fleur bleue dans un buisson, se rappela tout à coup le frais enclos des Charmettes après trente années d’amertume et de larmes, et s’écria sans une mélancolie délicieuse: « Oh! voilà des pervenches! ».

1
A mon ami Sainte-Beuve

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve!
Ton bras vient d’arracher au cendres de l’oubli
Le vieux Ronsard, géant de marbre enseveli;
Et sa gloire au soleil reparait toute neuve!

Dans sa muse profonde à grands flots je m’abreuve.
Le sonnet, vase d’or, sculpté, riche, accompli,
Le beau sonnet vermeil, que l’artiste a rempli,
Maintenant brille et coule, abondant comme un fleuve.

J’aime l’ode, coursier aux longs crins vagabonds,
Qui va terrible et fière, et s’élance par bonds!
Mais le sonnet pompeux m’éblouit et m’enchante:

C’est une cloche où roule un écho de métal;
Une cage vibrante, et d’or et de cristal,
Où voltige un oiseau mélodieux qui chante!

Q15 – T15  – s sur s

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri, — 1835 (4)

Emile PehantSonnets

A mon recueil

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri,
De prendre ta volée enfin l’heure est venue;
L’air manque au nid étroit qui t’a servi d’abri,
Tandis qu’un large ciel rit à ta bienvenue.

Pars, duc, mais sois modeste, ô mon sonnet chéri;
Dieu, ne t’a pas créé pour affronter la nue;
Des efforts excessifs t’auraient bientôt flétri:
Ne monte pas qui veut à la sphère inconnue.

Reste près des gazons, effleure les ruisseaux,
Mêle ta voix légère à la voix des oiseaux,
Baigne ton aile au fleurs dont avril se parsème.

Pour être humble, ton sort n’en sera pas moins doux:
Le roitelet n’est guère admiré, mais on l’aime …
Heureux roitelet! l’aigle en est parfois jaloux.

Q8 – T14 – s sur s

mr Pehant a l’audace d’intituler son livre ‘sonnets’. Il est le premier, semble-t-il, au 19ème siècle, à en offrir plus d’une centaine (108). Il introduit l’hexasyllabe dans le champ (n°5) et ne manque pas de composer un ‘sonnet sur le sonnet’.

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France — 1834 (7)

Emile Péhant in Revue de Paris

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla long-temps sécher comme un arbre en souffrance,
Et ne produisit plus que des fleurs sans odeurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance,
Et le fait reverdir comme aux temps les meilleurs ;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance,
Et balancer au vent son front chargé de fleurs.

Vous de toutes ces fleurs vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour voler au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, pour mon bouquet, hélas ! je ne recueille
Que celles qu’au gazon le vent parfois effeuille ;
Aussi, pauvre bouquet, il sèchera bientôt.

Q8  T15  s sur s