Pourvu que tu me sois docile et ponctuel, — 1893 (7)

Romain Coolus in Revue Blanche

V
Le précédent sonnet agit comme un révulsif. L’Aimée ne confisque plus ses adorables  pieds. Elle a de vagues consentements disséminés un peu partout sur elle. Mais ses yeux sont significatifs et imposent de strictes conditions, les ordinaires. Ce qu’ils ukasent:

Pourvu que tu me sois docile et ponctuel,
Qu’à m’aimer ton coeur neuf dûment s’hypertrophie,
Que ton verbe se mielle et se saccharifie
A déchiffrer près moi l’amoureux rituel,

Pourvu que tu me sois mes bonheurs virtuels
Et qu’à mon plaisir bon ton orgueil sacrifie
Sans regrets, vouloirs, rêves et philosophie
Et lise l’univers en mon oeil textuel,

Pourvu qu’à mes désirs ton âme s’asservisse,
Bêle mon idéal ou roucoule mon vice
Et cible son essor au creux de mon nombril,

Je te compenserai ces ennuis, bon viril:
Avant d’aller ronfler au terreau du Lachaise,
Tu pourras saccager mon corps tout à ton aise.

Q15 – T13

Mon vieux coeur, tu n’es qu’un déplorable viscère. — 1893 (6)

Romain Coolus in Revue Blanche

En Amour, régime de sonnets

I
Le fol amant est en très mauvais termes avec son hélice de coeur

Mon vieux coeur, tu n’es qu’un déplorable  viscère.
Peut-être aurais-tu droit à ma reconnaissance
Si tu bornais à des sursauts de jouissance
Ton mécanique émoi de soufflet nécessaire!

Tu te devrais m’être un bureau de bienfaisance
Et conviendrais, si tu voulais être sincère,
Que dans la capacité stricte de ton aire,
Tu pourrais être une entreprise de plaisance.

Mais non; ton cartilage est plus ambitieux,
Prétend aimer, joue au monsieur séditieux
Me veut geignant, plaintif et superstitieux

Tord ses fibres, les noue en cordons de souffrance,
Sonne le deuil, sonne le spleen, sonne la transe
Et me ligote au sentimentalisme rance.

Q16 – T5

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux, — 1893 (5)

Romain Coolus in Revue Blanche

Incantations, IV

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux,
Tes yeux aux longues perspectives de toute lumière
Dont le regard s’évade et fuit ainsi qu’une rivière
De clarté progressant vers des lointains prestigieux.

Et leur cher en-aller est pour moi si contagieux
Qu’ils dérivent mon coeur des habitudes coutumières
Et l’incitent au désir soudain des douceurs premières
Parmi le pays où vivre est un mot religieux.

J’attends ainsi les heures en élégies savoureuses
Où je déchifferait ton âme en vouloir d’être heureuse,
Quête vaine où s’épuisent nos tendresses douloureuses

Tandis qu’ensorcelant mes pensées au soleil fictif
Qui survit au soleil mort en tes yeux votifs
Je me cheminerai moi-même de rêves furtifs.

Q15 – T5 – 14s

A pas lents, et suivis du chien de la maison, — 1893 (4)

Albert Samain Au jardin de l’infante

Automne

A pas lents, et suivis du chien de la maison,
Nous refaisons la route à présent trop connue.
Un pâle automne signe au fond de l’avenue,
Et des femmes en deuil passent à l’horizon.

Comme dans un préau d’hospice ou de prison,
L’air est calme et d’une tristesse contenue;
Et chaque feuille d’or tombe, l’heure venue,
Ainsi qu’un souvenir, lente, sur le gazon.

Le Silence entre nous marche – coeurs de mensonges,
Chacun, las du voyage, et mûr pour d’autres songes,
Rêve égoïstement de retourner au port.

Mais les bois ont, ce soir, tant de mélancolie
Que notre coeur s’émeut à son tour et s’oublie
A parler du passé, sous le ciel qui s’endort,

Doucement, à mi-voix, comme d’un enfant mort …

Q15 – T15 +  d – 15v – 15 vers, comme souvent chez Samain.

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample, — 1893 (3)

Louis Le Cardonnel au Banquet de La Plume

A Stéphane Mallarmé

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample,
Le Poète, malgré la Terre et le Destin,
Se bâtit dans son coeur un asile hautain,
Et s’y donne, ébloui, des fêtes sans exemple.

Debout sur le passé lumineux, il contemple
L’Avenir, déroulant son mirage lointain,
Et dessine aux clartés d’un immortel matin,
Pour s’y diviniser, l’ordonnance d’un Temple.

Des visions qu’il crée il est l’auguste amant,
Et, par un juste orgueil, en elles s’acclamant,
Il regarde monter son âme à leurs visages.

Et ces vaines fureurs, dont l’homme a palpité,
N’éveillent pas de trouble en ses prunelles sages,
Qui sont des firmaments tout bleus d’Eternité.

Q15 – T14 – banv

Pèlerin magnifique en palmes de mémoire — 1893 (2)

Saint-Pol RouxLes reposoirs de la procession I

Pèlerin magnifique en palmes de mémoire
(O tes pieds nus sur le blasphème des rouliers!)
Néglige les crachats épars dans le grimoire
Injuste des crapauds qui te sont des souliers.

Enlinceulant ta rose horloge d’existence,
Evoque ton fantôme à la table des fols
Et partage son aigle aux ailes de distance
Afin d’apprivoiser la foi des tournesols.

Delà, miséricorde aux bons plis de chaumière
Avec un front de treille et la bouche trémière,
Adoptent les vieux loups qui bêlent par les champs

Et régénère leur prunelle douloureuse
Au diamant qui rit dans la houille des temps
Comme l’agate en fleurs d’une chatte amoureuse.
(Message au poète adolescent)

Q59 – T14

Sur l’éblouissement splendide dont la flore — 1893 (1)

– Comte Robert de Montesquiou-Fezensac Le Chef des odeurs suaves

Nymphe .
Une peinture de M. Gustave Moreau

Sur l’éblouissement splendide dont la flore
Marine aux anguleux bocages en corail
Compose la rousseur éparse de vitrail
Où sa blancheur fluide incessamment s’éplore ….

Entre mille clameurs égoïstes, sérail
De tons près d’éclater, de gemmes près d’éclore,
De fleurs près de vibrer, dont le vif attirail
Redoute de sa chair la splendeur incolore ….

O l’inexpérience aimable du danger!
Ruisselante, lactée, astrale, et vers qui grimpe
Un frisson violet de fleurs comme une guimpe,

Galatéa sommeille en un rêve étranger
Sous l’adoration triste dont l’enveloppe
L’unique fixité songeuse du Cyclope.

Q17 – T30

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante, — 1892 (11)

Jules Baudot in  L’année des poètes

L’art

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante,
Avec des mots très doux ainsi que des rumeurs,
D’une légère main, comme font les semeurs,
Sème dans notre esprit que la vie est méchante.

Dans le quatrain qui suit, exalte, prône, chante
La Femme altière et belle, en d’ardentes clameurs,
Et pour bien expliquer l’amour dont tu te meurs
Fais un portrait puissant de celle qui t’enchante.

Alors, en un tercet fort savamment rimé,
Exprime-nous que toi, qui fus pourtant l’Aimé,
Tu n’est plus maintenant qu’un étranger pour elle.

Puis, au tercet final, qu’il ne faut point gâter, –
L’Art serein n’aimant point les cris de tourterelle, –
Sonne un grand vers d’or pur, – pour ne point sangloter !

Q15  T14 – banv –  s sur s

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement, — 1892 (10)

Amédée Rouquès in Le Banquet

Chansons pour rire, II

Les cloches bourdonnaient à coups sourds, lourdement,
Et l’orgue, répondant du fond du monument,
Râlait grave en mon cœur livide, absolument
Sombré dans le deuil noir de cet enterrement

Les enfants pleuraient, les hommes pleuraient, les femmes
Pleuraient, et moi, les pleurs avaient noyé mon âme ;
Et mes yeux d’eau distinguaient à peine la flamme
Des cierges, et le prêtre, qui chantait ses gammes.

Et je me sentais plein d’un ineffable amour
Pour ces hommes que je ne connaissais point, pour
Ces femmes à genoux, aux si charmantes poses,

Ces cierges, ces voix d’enfants au timbre argentin,
Tous ces êtres perdus dans un brouillard lointain  …..
Quand je suis gris, c’est tout à fait la même chose.

aaaa bbbb T15

par Jacques Roubaud