Dans un album gothique au fermail blasonné, — 1855 (7)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Gothique

Dans un album gothique au fermail blasonné,
Vrai bijou de prie-Dieu, digne du Roi René,
Portant sur son velours, avec ma croix de sable,
Votre Lion rampant, de sa couronne orné,

Sur un vélin d’azur et d’or enluminé,
Où brilleraient Jésus et la Bible et la Fable,
Je voudrais chaque soir, ô Baronne adorable!
Fleuron aux cent couleurs dessiner un sonnet.

Etincelant écrin, trésor de ciselure,
Un vers seul vaudrait mieux qu’un tableau de Mignard,
Vers mignon, mignardé plus qu’une miniature.

J’émaillerais si bien la rime et la césure,
Sur mon cadre sculpté j’épuiserais tant d’art
Qu’au milieu je pourrais peindre votre figure.

aaba abba – T17

Je suis fort amoureux, non de vos yeux, madame, — 1855 (6)

Marc du Velay Les Vélaviennes


Au plus joli pied
« Ce n’est pas vous, non, madame, que j’aime » Théophile Gautier

Je suis fort amoureux, non de vos yeux, madame,
Non de vos doigts menus et blancs comme le lait,
Du limpide sourire où se trahit votre âme,
De ce front gracieux d’un doux rêve voilé,

De vos sourcils d’ébène à la courbe si pure,
De ce cou délicat, arrondi, potelé,
Des brillants anneaux d’or de votre chevelure,
De ce bras, vrai bijou, si beau sans bracelet,

Non de ce grain charmant, antithèse qui joue,
Perle de jais éclose au lis de votre joue,
Ou du noble profil de ce nez aquilin …

Non! mais je rimerais vingt rondeaux, dix poèmes,
Je traduirais en vers Cirrode et ses poèmes,
Pour tenir votre pied rose et nu dans ma main.

Q38 – T15 la rime ‘b’ est incorrecte

On se sent malheureux: on va chercher bien loin — 1855 (5)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Le vrai bien
« Aimer c’est la moitié de croire » Victor Hugo

On se sent malheureux: on va chercher bien loin
L’égoïste travail, l’orgueil vain, l’or avare,
Et comme on oublîrait son bâton dans un coin,
On laisse à la maison le bonheur, cher cousin.

Pourtant c’est ici-bas le trésor le plus rare.
Nos pères nous traçaient un paisible destin,
Mais par d’autres sentiers le hasard nous égare,
Et nous voudrons, trop tard, suivre le bon chemin.

Quand je vois l’humble tour du tranquille domaine
Où doucement coulaient les jours de nos aïeux,
Limpides comme l’eau que verse ta fontaine,

Je sens que pour l’enfant le seul vrai bien, le seul!
Habite sous le toit où mourut le vieux père,
Où vous aimaient vos soeurs, où priait votre mère.

abaa babacxc ydd Remarquons que si ‘seul’ ne rime pas avec ‘aïeux’, il rimerait avec le singulier ‘aïeul’. J’ai accueilli 7 sonnets de ce poète dans mon choix, ce qui est beaucoup. Ils présentent chacun quelque particularité assez rare. Comme ils sont, poétiquement, plutôt médiocres, comme Auguste Blanchot (c’est son vrai nom) était un provincial dont l’œuvre est resté quasi inconnue, on pourrait croire que la présence de deux vers ne rimant pas dans ce sonnet est due à l’ignorance. Or, l’auteur montre dans son livre qu’il connaît bien la versification. Il sait ce qu’est un alexandrin et respecte les règles de la rime admises à son époque. Je pense qu’il aurait très bien pu écrire ‘les jours de mon aïeul » et que le pluriel, intentionnel, fait partie de son traitement expérimental de la forme-sonnet. L’inventivité formelle n’est pas une garantie de la valeur poétique du résultat.

O mon fils! Ne sois plus triste. Dis-moi, qu’importe — 1855 (4)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Consolation

O mon fils! Ne sois plus triste. Dis-moi, qu’importe
Ces luths toujours muets à tes murs suspendus;
Les pierres des méchants pleuvant contre ta porte,
Et tes meilleurs amis au tombeau descendus?

Coursier sans frein, le temps, dans sa fuite t’emporte,
Il franchit au galop un pays dévasté:
N’arrête pas tes yeux sur cette terre morte,
Regarde seulement le but: l’éternité!

Fortune, gloire, amour: vanité, vanité.
Tout plaisir, tout savoir, toute douleur est vaine:
Seul, je suis le vrai bien et ta route est certaine.

– Père, sous votre joug nous plions à genoux;
Ecrasez le néant de la raison humaine:
Seigneur, Seigneur, Dieu bon, ayez pitié de nous.

Q32 – b’cc dcd rare exemple de rime ‘orpheline dans les tercets’

Madame, j’aime fort les châteaux en Espagne, — 1855 (3)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Une chaumière et la mer

Madame, j’aime fort les châteaux en Espagne,
Seul au coin de mon feu j’en bâtis quelquefois;
Mais je n’en fais jamais d’aussi charmants, je crois,
Que notre humble chaumière au fond de la Bretagne.

Elle est toute de joncs, de mousse, et je la vois
Si bien, qu’assez souvent j’espère en ce beau rêve;
Et je me dis: peut-être, au bord de quelque grève
Est-il un doux abri que Dieu fit pour nous trois.

Que nous serions heureux! Vous iriez sur la plage
Cueillir la nacre verte au brillant coquillage,
Camille chasserait plus loin dans les taillis,

Et moi sur un vieux roc noirci par les orages
Je vous griffonnerais d’effrayants paysages …
Et voici le sonnet que je vous ai promis!

Q48 – T15 ‘plage’ et orages ne riment que pour l’oreille

D’une pâleur de mort sa face se voila. — 1855 (2)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Eola

D’une pâleur de mort sa face se voila.
Courbé sur le rocher, d’un geste il déroula
Le manteau qui volait au bord de son épaule
Et cacha sous les plis la lyre qui console.

Ses cheveux, éclairés d’une ardente auréole,
Sur l’abîme pendaient comme les pleurs d’un saule,
Et sa voix appela par trois fois: Eola!
Une autre voix de loin répondit: me voilà!

Et sur le gouffre rouge où nul espoir ne tombe
J’aperçus Eola, la céleste colombe:
– Ange que j’ai jeté dans l’horreur de ces lieux,

Cria celui qui porte un sombre diadème,
Le Seigneur te pardonne et te rappelle aux Cieux.
– Je préfère l’enfer, dit Eola, je t’aime!

Q6 – T14

Un sonnet est bien peu de chose: — 1855 (1)

Marc du Velay (Auguste Blanchot) Les Vélaviennes


Le Sonnet

Un sonnet est bien peu de chose:
Un souffle qui s’envole, un soupir, un accord;
Une larme de pluie aux feuilles d’une rose;
Un vacillant rubis que suspend un fil d’or.

C’est un cadre de nacre ouvragé jusqu’au bord
Serrant d’une Péri la figurine rose.
Dans l’urne de cristal, que d’eau tiède on arrose,
C’est d’une fleur d’Alep le fragile trésor.

C’est moins que tout cela; c’est une folle rime,
Quatorze papillons qu’à saisir on s’escrime:
C’est un tour de souplesse et rien de plus ma foi!

Cependant, jeune fille, en ces heures d’extase,
Où l’âme s’affranchit du rythme et de la phrase,
J’ai rimé des sonnets pour toi.

Q10 – T15 – 2m (octo: v.1 &14) – s sur s

Ni dans un firmament serein voir circuler les vagues étoiles — 1854 (13)

– Alphonse de Lamartine Cours familier de littérature
Ni dans un firmament serein voir circuler les vagues étoiles, ni sur un mer tranquille voguer les navires pavoisés, ni à travers les campagnes étinceler les armures des cavaliers couverts de leurs cuirasses, ni dans les clairières des bocages jouer entre elles les biches des bois ;
Ni recevoir des nouvelles désirées de celui dont on attend depuis longtemps le retour, ni parler d’amour en langage élevé et harmonieux, ni au bord des claires fontaines et des prés verdoyants entendre les chansons des dames aussi belles qu’innocentes
Non, rien de tout cela désormais ne donnera le moindre trassaillement à mon cœur, tant celle qui fut ici-bas la seule lumière et le seul miroir de mes yeux a su en s’ensevelissant dans le linceul ensevelir ce cœur avec elle !
Vivre m’est un ennui si lourd et si long que je ne cesse d’en implorer la fin par le désir infini de revoir celle après laquelle rien ne me parut digne d’être jamais vu !

pr – traduction en prose du sonnet cccxii du canzoniere de Pétrarque, « Né per sereno ciel ir vaghe stelle’

Puisque, troublant toujours nos pieuses études, — 1854 (12)

Ferdinand de Gramont Chants du passé

CLVI

Puisque, troublant toujours nos pieuses études,
Le monde à nos regards fait trembler le grand X,
Et dans les cieux voilés revoler Béatrix
Cherchons plus loin encor d’austères solitudes.

Écartons nous surtout des viles habitudes,
Aux Syrtes de Lybie, aux cavernes d’Éryx
Des dipsades, des dards, des sépés, des natrix,
Moins hideux sont les coups et les poisons moins rudes.

Quand chacun se tient ferme et combat à son rang,
Malgré les vents de flamme et les torrents de sang
On doit suivre sa route et mourir en silence,

Mais quand tout se débande, et que la foule émeut
L’air de ses cris peureux, alors, laissant sa lance,
L’intrépide guerrier se fait jour comme il peut.

Q15 – T14  – banv – On a voulu y voir un précurseur du ‘sonnet en x’ de Mallarmé. – (H.N.) dipsade : serpent dont la piqûre produit une chaleur et une soif excessives – sépé : morceau de fer qui sert à assujettir le canon du fusil dans la coulisse – natrix : nomm de la couleuvre à collier

Cléante qui n’avait au monde que ses os — 1854 (11)

Ferdinand de Gramont Chants du passé

LXXXIII

Cléante qui n’avait au monde que ses os
Se fait riche à présent, et son ventre prospère
Mais quoi, cet homme heureux s’est-il vu naître un père?
Recueille-t-il le fruit de ses propres travaux?

Est-ce quelque inventeur de procédés nouveaux?
Nullement. Il a pris la recette vulgaire,
Et d’un coffre sans fond étayant sa misère,
Laisse venir à soi la fortune des sots.

Mais ses succès encor ne sont que des vétilles;
Il sera l’héritier de soixante familles.
Et s’ouvrent devant lui, salons et dignités.

Il peut choisir sa femme et choisir le collège
Qui l’enverra trôner au rang des députés.
D’être offert en exemple il a le privilège.

Heureux de s’unir au cortège,

Déjà même le chef d’une illustre maison
Sur ce bourbier d’écus veut plaquer son blason.

Comme il le juge en sa raison,
Un hymen si brillant vaut bien un peu d’intrigue.
La fille le respire, et la mère le brigue.

Pour y parvenir on se ligue
Et je ne réponds pas qu’avant quinze ou vingt ans,
Un vieux nom qu’ont porté tant de fiers combattants

Sonore et grandi si longtemps,
Grâce à cette union ne tombe en apanage
Aux enfants du héros d’escompte et de courtage.

Q15 – T14 + eff fgg ghh hii – octo: v.15, v.18, v.21, v.24 mr de Gramont imite le canzoniere de Pétrarque, insère dans son livre des sonnets en italien, mélange rondeaux et sextines (qu’il retrouve après Vasquin Phillieul et Pontus de Tyard ; tout en commettant, comme Pontus, l’erreur formelle de faire se rimer les mots-clefs, ce qui dénature le sens de la forme). Il emprunte ici à la tradition italienne le ‘sonetto caudato’: après les quatorze vers s’ajoutent des strophes de trois vers, composées d’un vers court (ici un octosyllabe) de deux longs (ici des alexandrins). Le premier vers de la strophe ajoutée rime avec le dernier vers du corps du sonnet, les deux suivants riment entre eux et introduisent une rime nouvelle. On peut enchaîner ainsi plusieurs strophes additionnelles (on obtient des sonnets qui peuvent avoir jusqu’à une centaine de vers (ainsi Marino au dix-septième siècle et le milanais Carlo Porta, au dix-neuvième). La pièce LXXXIX de son livre est aussi un sonnet caudato (avec une seule strophe ajoutée).

par Jacques Roubaud