Quand j’étais faible enfançon, l’objet des soins de ma mère, — 1841 (2)

Paul AckermannChants d’amour. suivis de poésies diverses –

Souvenir

Quand j’étais faible enfançon, l’objet des soins de ma mère,
Et que, joyeux, j’ignorais l’ennui, les sombres fureurs
Et les désirs insensés, qui sourdent au fond des coeurs,
Je riais des passions et de l’amoureux mystère:

Mais bientôt, pour agiter mon existence légère,
La jeune fille aux yeux noirs, sur une route de fleurs,
Sut ma jeune âme enflammer par l’espoir de ses faveurs,
Puis le ciel me la reprit, me laissant seul sur la terre.

Doux amour de mon enfance, ombrage de mon chemin,
De vos flots voluptueux vous inondâtes mon sein,
Et je les vis s’écouler comme une vague rapide.

Ainsi, quand sur l’horizon brille une flamme rapide
L’orage éclate et bondit, trouble la source au front pur,
Et de noirs habits de deuil se vêt la plaine d’azur

Q15 – T13 – 14s

Paul Ackermann, qui se dit ‘professeur de langue française à Berlin », réinvente le sonnet en vers de quatorze syllabes. (Il y en a un chez Pierre Poupo, dans sa Muse Chrétienne de 1590) (après lui Verlaine, et d’autres, jusqu’à Réda)

(a.ch) ce type de vers est signalé par Richelet.

En dépit de Boileau je suis un romantique — 1841 (1)

N(icolas) Martin. – Ariel. Sonnets et chansons, suivis d’une traduction de Pierre Schlémihl –


Le Sonnet défini par lui-même

En dépit de Boileau je suis un romantique
Epris de fantaisie et de charmants échos,
Et de nouveaux amours, et de rêves nouveaux,
Vrai Sylphe de l’esprit, Ariel poétique.

Ivre de doux parfums et de douce musique,
Par l’Italie en fleurs un soir je suis éclos,
Tandis qu’un rossignol chantait sur les rameaux.
– Est-ce ainsi qu’eût pu naître un poème classique?

J’aspirais, j’écoutais, quand Pétrarque me prit:
Et l’air du rossignol je le redis pour Laure;
Pour maints coeurs amoureux je le redis encore.
– Mais je suis vieux, dit-on – Imposteur qui le dit!
Ephémère immortel, je renais chaque aurore,
Ou plutôt je m’endors quand l’oiseau s’assoupit.

Q15 – T28 – s sur s – 4+4+6

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu, — 1840 (16)

Sainte-Beuve Œuvres poétiques

Sonnet de Sainte Thérèse
A Jésus crucifié

Ce qui m’incite à t’aimer, ô mon Dieu,
Ce n’est pas l’heureux ciel que mon espoir devance,
Ce qui m’incite à t’épargner l’offense,
Ce n’est pas l’enfer sombre et l’horreur de son feu !

C’est toi, mon Dieu, toi par ton libre vœu
Cloué sur cette croix où t’atteint l’insolence ;
C’est ton saint corps sous l’épine et la lance,
Où tous les aiguillons de la mort sont en jeu.

Voilà ce qui m’éprend, et d’amour si suprême,
O mon Dieu, que, sans ciel même, je l’aimerais ;
Que, même sans enfer, encor je te craindrais !

Tu n’es rien à donner, mon Dieu, pour que je t’aime ;
Car, si profond que soit mon espoir, en l’ôtant,
Mon amour irait seul, et t’aimerait autant !

Q15 – T30  – 2m (v.1-3-5-7 : déca) –  tr.

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ? — 1840 (15)

Antony Duvivier in L’art en province

A un jeune homme

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ?
Qui donc a pu sitôt désenchanter ton cœur ?
De tes illusions la fleur serait flétrie,
Et tu ne croirais plus à ton âge, au bonheur ?

Non ! tu penses à tort la jeunesse ternie ;
Sur ton front de vingt ans le souffle du maheur
N’a point encor passé. Dans la mélancolie
Tu plonges trop avant, tu trouves la douleur.

Mais pourquoi donc ainsi t’abreuver d’amertume ?
Du monde où nous vivons le mal n’est que l’écume ;
Et si le mal abonde, il est vite effacé.

Laisse tes noirs pensers ! Le chagin, à ton âge,
Est un torrent d’été grossi par un orage.
Le flot rentre en son lit, quand l’orage est passé.

Q8  T15

L’hirondelle au col noir, bohémienne des airs, — 1840 (14)

Eugène de Chambure Transeundo

Sonnet

L’hirondelle au col noir, bohémienne des airs,
A pour fendre l’espace une aile aventureuse ;
Le cerf, dans la forêt immense et ténébreuse,
A pour courir ses pieds, vifs comme les éclairs.

Pour visiter les cieux ou les ombrages verts
Nous n’avons, cet aveu coûte à l’âme orgueilleuse,
Ni le jarret d’acier ni l’aile vigoureuse
Qui parcourt en tous sens le mobile univers.

Mais nous avons l’esprit, cette force invisible,
Dont chaque siècle accroît l’élan irrésistible,
Et qui monte toujours comme un flux en courroux.

Comme vous gris oiseaux, nous montons aux nuages ;
Comme les tiens, beau cerf, nos pas sont des voyages ;
Ah ! nous sommes pourtant plus malheureux que vous !

Q15  T15

Il sait tout deviner sans qu’on lui dise rien ; — 1840 (13)

Théodore de Foudras Echos de l’âme

Le chien

Il sait tout deviner sans qu’on lui dise rien ;
Si nous pleurons, il pleure, et lorsque la souffrance
Même chez l’amitié trouve l’indifférence,
Il comprend aussitôt qu’il est son dernier bien.

Pour lui tout est devoir, pour lui tout est lien ;
Quand il s’est devoué telle est sa jouissance
Qu’il semble encor avoir de la reconnaissance,
Il n’est point exigeant, point ingrat, il est chien.

S’il voit une blessure à l’instant il la lèche ;
Si son maître est soldat il le suit sur la brèche,
Et si le guerrier meurt il s’attache au drapeau.

Ce qu’il donne ou reçoit n’est jamais un échange.
Il demeure immuable auprès de ce qui change.
Il va du père au fils, et du fils au tombeau.

Q15  T15

En ces temps d’amertume et de vague tristesse, — 1840 (12)

Richard de La Hautière Etudes et souvenirs


En ces temps d’amertume et de vague tristesse,
Horizons nébuleux des beaux jours de jeunesse,
Où l’on pleure, où l’on sent son âme défaillir,
Où sans savoir pourquoi l’on espère mourir ;

Heures que l’on dérobe au monde qui vous blesse
Pour gémir à son aise et couvrir sa faiblesse ;
Où l’on voit tout en noir, où l’oeil du souvenir
Dans un sombre passé cherche un sombre avenir ;

Jours d’affreux désespoir, de doute et de colère,
Où l’homme fatigué de l’humaine misère,
Se révolte et maudit la main qui le créa :

Alors ma main tremblante interroge la lyre,
Et mon cœur se dégonfle, et ma douleur expire :
La lyre, en frémissant, murmure : JULIA !

Q1  T15

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble, — 1840 (11)

Léon Magnier Fleurs des champs

Sonnet

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble,
Modestes, aux doux yeux, brûlantes de beauté ;
Qui savent consoler l’homme par leur bonté ;
Si vous les regardez, l’une aux autres ressemble.

Elles apaiseront le criminel qui tremble ;
Oh ! ce sont les présents de la divinité,
L’espérance des cieux, la foi, la charité ;
Que le plus noble but, le bien, toujours rassemble.

Elles sont des vertus les fidèles soutiens,
Respectez-les, amis, adorez-les, chrétiens !
Vous qui les possédez, conservez-les dans l’âme.

Leurs regards sont levés vers la voûte d’azur,
Elles offrent à Dieu une divine flamme :
Donnez-leur ici-bas votre amour le plus pur.

Q15  T14  banv

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir ! — 1840 (10)

Céphas Rossignol Dieu et famille

Sonnet

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir !
Il est si bon de vivre et d’aimer à notre âge :
Et puis, nous avons tant de choses à bénir
Avant que notre vie ait perdu son ombrage !

Loin de vous je ne sais que faire et devenir :
Je vais à droite – à gauche – et n’ai pas de courage ;
Je porte en moi, partout, votre doux souvenir,
Et les heures sans vous me semblent un outrage !

Mais, quand vous m’appelez près de vous, quand vos yeux,
Comme un rayon mouillé qui nous tombe des cieux,
S‘arrêtent, tout d’abord, sur mon front, pour y lire.

Oh ! je me sens renaître alors, et je n’ai plus
Qu’une joie infinie en l’âme, et les Elus
Ont bien moins que mon cœur des cordes à leur lyre !

Q8  T15

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage, — 1840 (9)

Jean-Pierre Veyrat La coupe de l’exil

Sonnet

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage,
S’apaise doucement dans un rêve d’amour ;
Si brisé par les flots je retrouve au rivage
Les biens que j’avais crus échappés sans retour ;

Si comme une hirondelle après un long voyage
L’espérance revient habiter mon séjour ;
Si l’étoile qui brille au-dessus du nuage,
Phare aux divins rayons, à mon ciel luit toujour ;

Je le dois à tes soins, ô fille bien-aimée !
Ma lèvre a bu l’oubli dans ta coupe embaumée,
Et ta voix a charmé la tempête et la mort.

Pour sécher mes cheveux inondés par la lame,
Et rallumer mes yeux à tes baisers de flamme,
Ange consolateur, tu m’attendais au port !

Q8  T15  – pour que le vers 8 rime classiquement, le poète écrit ‘toujour’

par Jacques Roubaud