Oh! oui, vous étiez belle! Et je brulais dans l’âme! — 1838 (3)

Jules LacroixPervenches

Oh! oui, vous étiez belle! Et je brulais dans l’âme!
Comme elles vous suivaient d’un regard envieux,
Ces femmes, dont le front est jeune et le coeur vieux!
Comme elles pâlissaient toutes à votre flamme!

Et quand la valse en feu, qui toujours vous réclame,
Ange, vous emportait dans ses bras, à mes yeux! …
Hélas! que j’étais fier, jaloux et furieux!
Comme un étranger, moi, je vous disais « Madame! »

Ces lustres, ces flambeaux, ces candélabres d’or
Versaient trop de clartés sur vos blanches épaules,
Sur votre sein plus pur que la neige des pôles!

Et j’aurais bien donné mon âme, et plus encor,
Pour vivre une heure, seul, dans l’ombre, ô mon trésor,
Avec ma Velléda, blonde fille des Gaules!

Q15 – T27

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve! — 1838 (1)

Jules LacroixPervenches

1-3 L’auteur dédie son ‘sonnet sur le sonnet’ à Sainte-Beuve: le sonnet y est dit ‘vase d’or’, ‘cloche’, ‘cage d’or et de cristal’ (toujours le cristal). Pour saluer trois poètes amis, quoi de plus naturel que le vers de 3 syllabes. Les tercets de 3 sont à deux rimes: cdd  ccd
Dans sa préface, il ne résiste pas au désir de montrer qu’il a connu le sonnet bien avant sa vogue naissante (il en met une bonne centaine dans son livre):  » 16 mai 1838 –  Parmi dix ou douze mille vers que je ne publierai sans doute jamais, en voici quelque-uns que j’ai tiré de la poussière; il y a une dizaine d’années qu’ils sont écrits. J’étais poëte alors, ou du moins je voulais l’être
Je me rappelle avec épouvante qu’il n’est pas un seul de ces pauvres sonnets qui ne m’ait dévoré huit bonnes heures: en vérité ce calcul est effrayant!
Je commence à comprendre que huit heures valent beaucoup mieux qu’un sonnet, qui, tout merveilleux qu’il puisse être, ne vaut pas un long poëme, à moins que ce poëme ne soit très ennuyeux.
…. il est assez probable que ces quelques sonnets, autrefois mes joyaux poétiques les plus précieux, n’eussent jamais vu la lumière, car je les avais entièrement oubliés, lorsqu’un jour, dans une de ces fâcheuses dispositions morales où l’on ne peut ni lire ni travailler, où l’on voit tout sous des couleurs sombres, je découvris par hasard, en fouillant dans mes cartons, une vingtaine de feuilles noires et chargées d’écriture, margine scripta, et in tergo...
Je relus donc plusieurs de ces pages raturées et presque indéchiffrables, et j’avoue que ce ne fut pas sans quelque émotion de plaisir; je m’écriai avec une joie d’enfant: « Mes sonnets! voilà mes sonnets! » absolument comme Jean-Jacques Rousseau qui, voyant briller une jolie fleur bleue dans un buisson, se rappela tout à coup le frais enclos des Charmettes après trente années d’amertume et de larmes, et s’écria sans une mélancolie délicieuse: « Oh! voilà des pervenches! ».

1
A mon ami Sainte-Beuve

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve!
Ton bras vient d’arracher au cendres de l’oubli
Le vieux Ronsard, géant de marbre enseveli;
Et sa gloire au soleil reparait toute neuve!

Dans sa muse profonde à grands flots je m’abreuve.
Le sonnet, vase d’or, sculpté, riche, accompli,
Le beau sonnet vermeil, que l’artiste a rempli,
Maintenant brille et coule, abondant comme un fleuve.

J’aime l’ode, coursier aux longs crins vagabonds,
Qui va terrible et fière, et s’élance par bonds!
Mais le sonnet pompeux m’éblouit et m’enchante:

C’est une cloche où roule un écho de métal;
Une cage vibrante, et d’or et de cristal,
Où voltige un oiseau mélodieux qui chante!

Q15 – T15  – s sur s

Le soleil de mes jours a pâli de bonne heure ; — 1837 (6)

Krystyn Ostrowski La semaine d’exil


A Hélène

Le soleil de mes jours a pâli de bonne heure ;
A peine ayant goûté du bonheur enfantin
L’orage m’a surpris, et bientôt, ô destin !
J’irai me reposer dans la froide demeure.

La vie, ô mon enfant! n’est pas ce que je pleure :
Mais je n’ai pas cueilli les roses du matin,
Et le soir vient si tôt, mon gîte est si lointain,
Sans ami» sans espoir, il faut donc que je meure!

A toi, jeune fontaine, un rivage odorant,
Les bosquets du Gepustck, les demeures des anges ;
Laisse les noirs écueils aux ondes du torrent;
Et quand il va mourir eu entraînant ses fanges,
Permets, jeune ruisseau, que dit moins en mourant,
Sans ternir ton cristal, il dise tes louanges.

Q15  T15  disp 8+6

Les vagues à vos pieds, comme aux pieds de leur reine, — 1837 (5)

Raymond Du Doré Poésies d’un proscrit


Sonnet

Les vagues à vos pieds, comme aux pieds de leur reine,
Venaient, ô Julia ! se briser tour à tour :
L’azur tendre et profond de la voûte sereine
Se peignait à vos yeux plus brillans que le jour.

Sur votre front charmant, dans vos boucles d’ébène,
Des zéphirs arrivans jouaient avec amour,
Et l’effort indiscret de leur suave haleine,
Quelquefois trahissait un ravissant contour.

Le doux frémissement des arbres de la rive,
Les chants du matelot, l’oiseau, l’oiseau, l’onde plaintive,
Tout semblait rendre hommage à vos divins attraits,

Mais vous, sans regarder ni les flots ni la terre,
Pensive, vous teniez la main de votre mère,
Ah ! que vous étiez belle et combien je souffrais.

Q8  T15

Quand vous me reprochiez mon amère tristesse, — 1837 (4)

Auguste Cavé Mélancolies poétiques

A André Van Hasselt

Quand vous me reprochiez mon amère tristesse,
Quand mon cœur était plein et débordait sans cesse,
Que mon pâle regard se levait vers les cieux,
Emu, vous me disiez : – Fûtes-vous malheureux ?

Pourquoi de votre toit exiler l’allégresse ?
Pourquoi d’un mot d’espoir ne pas goûter l’ivresse ?
Pourquoi, tout jeune encor, êtes-vous déjà vieux,
Le front sombre et couvert comme un temps pluvieux ? –

Oh ! c’est qu’alors, ami, dans mon âme inquiète,
Je pensais à la vie, à la mort du poète,
Et j’étais froid de crainte et d’effroi tout à tour :

Car, il a beau chanter, l’ange de l’harmonie !
Sa gloire, bien souvent, s’envole avec sa vie,
Et son nom se ternit comme une étoile au jour !!

Q1  T15

Ah! quel que soit le deuil jeté sur cette terre — 1837 (3)

Auguste Barbier Oeuvres

L’adieu

Ah! quel que soit le deuil jeté sur cette terre
Qui par deux fois du monde a changé le destin,
Quels que soient ses malheurs et sa longue misère,
On ne peut la quitter sans peine et sans chagrin.

Ainsi, prêt à sortir du céleste jardin,
Je me retourne encor vers les cimes hautaines,
Pour contempler de là son horizon divin
Et long-temps m’enivrer de ses grâces lointaines:

Et puis le froid me prend et me glace les veines
Et tout mon coeur soupire, oh! comme si j’avais,
Aux champs de l’Italie et dans ses larges plaines,
De mes jours effeuillés le rameau le plus frais,
Et sur le sein vermeil de la brune déesse
Epuisé pour toujours ma vie et ma jeunesse.

abab  bcbc dede ff =sp – disp: 4+4+6

L’exemple d’Auguste Barbier est d’un grand intérêt pour l’histoire de l’influence anglaise sur la forme du sonnet français (dont le cas le plus important est celui de Mallarmé). La disposition des strophes, quoique un peu rare (4+4+6), n’a rien cependant de bien original. En revanche les rimes se distribuent en: abab  bcbc  dede  ff, où on ne manquera pas de reconnaître la disposition dit ‘spensérienne’ (dont l’inventeur est sans doute, au seizième siècle, Edmund Spenser). Elle a eu quelques adeptes au 19ème en Angleterre. (Alain Chevrier est ‘ l’inventeur ‘ de ce sonnet).

Ma soeur, t’en souvient-il? Un soir, sur la Morlande, – — 1837 (1)

Théodore Guiard Luccioles

Sonnet XV

Ma soeur, t’en souvient-il? Un soir, sur la Morlande, –
– La lune se levait derrière les Alleux,
Dans un ciel embrumé comme le ciel d’Irlande,
Nous regardions flotter un voile nébuleux.

Les étoiles pour nous, mieux que pour un Lalande,
Sous leur capuce brun découvraient leurs yeux bleus,
Cependant que Phoebé de ses reflets huileux
Durcit le vert gazon de la déserte lande. –

Et tous deux, frère et soeur, nous étions là, suivant
Les grisâtres vapeurs, que dispersait le vent,
Ou le pâle rayon, qui sur l’herbe tremblotte;

Et nos yeux, s’égaraient dans les champs de l’éther,
Et tu rêvais … et moi, je pensais à Werther
Chargeant l’arme fatale et priant pour Charlotte.

Q9 – T15

Ne pleurez pas long-temps pour moi, quand je serai
 mort : — 1836 (14)

François-René de Chateaubriand Mémoires d’Outre-tombe, t.1

Ne pleurez pas long-temps pour moi, quand je serai
 mort : vous entendrez la triste cloche, suspendue 
haut, annoncer au monde que j’ai fui ce monde vil,
 pour habiter avec les vers plus vils encore. Si vous
 lisez ces mots, ne vous rappelez pas la main qui les
 a tracés ; je vous aime tant que je veux être oublié
 dans vos doux souvenirs, si en pensant à moi vous
 pouviez être malheureuse. Oh ! si vous jetez un
 regard sur ces lignes quand peut-être je ne serai
 plus qu’une masse d’argile, ne redites pas même 
mon pauvre nom, et laissez votre amour se faner
 avec ma vie.

pr tr sh 70

par Jacques Roubaud