Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri, — 1835 (4)

Emile PehantSonnets

A mon recueil

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri,
De prendre ta volée enfin l’heure est venue;
L’air manque au nid étroit qui t’a servi d’abri,
Tandis qu’un large ciel rit à ta bienvenue.

Pars, duc, mais sois modeste, ô mon sonnet chéri;
Dieu, ne t’a pas créé pour affronter la nue;
Des efforts excessifs t’auraient bientôt flétri:
Ne monte pas qui veut à la sphère inconnue.

Reste près des gazons, effleure les ruisseaux,
Mêle ta voix légère à la voix des oiseaux,
Baigne ton aile au fleurs dont avril se parsème.

Pour être humble, ton sort n’en sera pas moins doux:
Le roitelet n’est guère admiré, mais on l’aime …
Heureux roitelet! l’aigle en est parfois jaloux.

Q8 – T14 – s sur s

mr Pehant a l’audace d’intituler son livre ‘sonnets’. Il est le premier, semble-t-il, au 19ème siècle, à en offrir plus d’une centaine (108). Il introduit l’hexasyllabe dans le champ (n°5) et ne manque pas de composer un ‘sonnet sur le sonnet’.

En ce temps-là, dit la vieille chronique, — 1835 (3)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

XIV

En ce temps-là, dit la vieille chronique,
Dont les récits, féconds en merveilleux,
Charment encor ma muse sympathique,
Comme ils charmaient nos crédules aïeux;

En ce temps-là, bien loin de l’Amérique,
La mer vomit un serpent monstrueux,
Dont la fureur, sur la plage hibernique,
Infestait l’air et de soufre et de feux.

De son oeil noir la prunelle sanglante
Dardait l’éclair, et nulle âme vivante
N’eût affronté ce rapide fléau,

Des glaives nus hérissaient ses écailles;
Chaque matin, ses profondes entrailles
De cent chrétiens devenaient le tombeau.

Q8 – T15 – déca

Mais sur le rocher énorme — 1835 (2)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

X

Mais sur le rocher énorme
Se dresse un second rocher!
Du sommet qu’il rend difforme
Hâtons-nous de l’arracher.

Pour unir la plate-forme
Qu’embellira mon clocher,
Un pied sur la masse informe
Suffit pour le détacher;

Non le sentier des chansons,
Non la sandale des mères,
Non l’éperon triomphant,

Ni la soque de l’Ibère,
Ni la mule du Saint Père;
Mais le pied nu d’un enfant.

Q8 – xcd ccd – 7s

J’ai passé de Sicy le bois mystérieux. — 1835 (1)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

I

J’ai passé de Sicy le bois mystérieux.
Sous le couteau sacré le sang d’une victime
Inondait le granit pour consulter les cieux:
Ainsi l’on préludait au jugement d’un crime.

Pendant que le druide est l’organe des dieux,
Je gravis en tremblant ta montagne sublime,
Bélinus. Car je viens pour acquitter des voeux,
Qui naguère ont sauvé mon vaisseau de l’abîme.

Ami de la nature, ô soleil, dieu du jour,
Je me dois tout entier à tes saintes prêtresses.
Leur javelots puissants m’ont valu mon retour.

Qu’un rayon de tes feux circule en mes caresses,
Et sur ce roc, enfin, tes belles druidesses
Recevront un mortel digne de leur amour.

Q8 – T21

Belinus : roi des Bretons, d’après Geoffroy de Monmouth

incise 1834

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A de Beauchesne – Toute préface se résume ainsi : « Sonnet … c’est un sonnet » Il m’en coûte de redire cet hémistiche au lecteur, toujours prêt à répondre : « Monsieur, nous verrons bien ».

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Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs — 1834 (8)

Leon de Wailly in Revue des Deux Mondes, t4

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs
La cloche, à la voix sombre, annoncera qu’une âme
Au céleste foyer a rapporté sa flamme
Qu’un cadavre de plus habite avec les vers.
Par pitié pour tous deux ! si vous lisez ces vers,
Oubliez-en l’auteur : on le raille, on le blâme ;
Et combien j’aime mieux l’oubli que je réclame,
Que si penser à moi rendait vos jours amers !O
ui, si vous les lisez, ayez bien soin de taire
Un nom qui doit dormir avec moi dans la terre ;
Que je sois par la mort de votre amour exclus ;
Car j’aurais trop de peur qu’épiant chaque larme
Ce monde si sensé de moi se fît une arme
Pour vous blesser au cœur quand je n’y serai plus.

Q15 T15 trad sh 70 – sns

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France — 1834 (7)

Emile Péhant in Revue de Paris

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla long-temps sécher comme un arbre en souffrance,
Et ne produisit plus que des fleurs sans odeurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance,
Et le fait reverdir comme aux temps les meilleurs ;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance,
Et balancer au vent son front chargé de fleurs.

Vous de toutes ces fleurs vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour voler au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, pour mon bouquet, hélas ! je ne recueille
Que celles qu’au gazon le vent parfois effeuille ;
Aussi, pauvre bouquet, il sèchera bientôt.

Q8  T15  s sur s

Chantre des saints amours, céleste Lamartine, — 1834 (6)

Charles Ducros Premières pensées

Sonnet à M. de Lamartine

Chantre des saints amours, céleste Lamartine,
Tes accens sont plus doux que l’encens vaporeux
Qui s’échappe en flocons de cette urne divine,
Qu’au temple un jeune enfant fait monter vers les cieux.

Oh ! que j’aime tes chants, tes chants harmonieux,
Qui laissent entrevoir ton âme qui te mine,
Ton cœur, volcan sublime, éparpillant ces feux
Qui bouillonnent en toi comme l’or de l’usine !

Et cependant ton front est pur et paternel,
Ah ! qui t’as donc donné ce calme solennel
Cette main qui pour tous est une main amie ?

C’est le doigt du Seigneur qui protège tes jours,
Pour te garder des cieux les éternels séjours,
Où doit se reposer ton immortel génie.

Q11  T15

Mon ami, quelquefois avez-vous vu le lierre — 1834 (5)

Charles Ducros Premières pensées

Sonnet à M. Victor Hugo

Mon ami, quelquefois avez-vous vu le lierre
Se cramponner au chêne et vivre en paix dessous ?
Avez-vous vu l’agneau suivre joyeux sa mère ?
C’est ainsi, mon ami, que je suis près de vous.

Et pour me regarder, vous voilez la lumière
Qui jaillit de votre œil, et votre œil devient doux
Comme un faible rayon qui dort dans la clairière ;
Ce regard, s’il brillait, nous consumerait tous.

Oh ! que vous êtes bon ! et quelle douce vie,
Que vivre auprès de vous ! contente est mon envie
Quand je suis avec vous, causant, vous regardant

Vous dont la voix sublime ébranle au loin la terre,
Vous dont les jours sont purs comme un lac solitaire,
Vous dont le cœur est tendre, et le génie ardent.

Q8  T15

Pour t’aimer, ô mon Dieu, me faut-il l’espérance — 1834 (4)

Firmin Didot Poésies

A Jésus crucifié

Pour t’aimer, ô mon Dieu, me faut-il l’espérance
Du ciel que m’a promis ton immense bonté ?
Me faut-il de l’enfer l’avenir redouté,
Pour défendre à mon cœur de te faire une offense ?

Je ne vois rien que toi. C’est ta longue souffrance,
Ton corps, percé de clous, suspendu, tourmenté,
Ta croix, ce sang divin sortant de ton côté,
C’est là ce qui me touche, ô Dieu plein de clémence.

Le bonheur de t’aimer a pour moi tant d’appas,
Que je t’aurais aimé si le ciel n’était pas ;
S’il n’était pas d’enfer, je t’aurais craint de même,

Ce cœur qui te chérit ne veut rien en retour.
Dans ta grace, sans doute, est mon espoir suprême !
Mais, sans aucun espoir, j’aurais autant d’amour.

Q15  T14  – banv – tr (Sainte Thérèse – A Cristo Crucificado)

par Jacques Roubaud