L’air noble, le taint mat d’une Jéorjiaine, — 1894 (2)

Lord-Orangis (= Gabriel Marfond) Aifemaire Amour – Sonnets écrits d’après une orthographe nouvelle –

Le portrait

L’air noble, le taint mat d’une Jéorjiaine,
De longs cheveus de jais tombans jusqu’aus jenous;
Le sémillant aisprit d’une pariziaine,
Sous de longs cils trais noirs des jolis yeus trais dous;

Un nom beau comme un chant de harpe aioliaine,
Ou come les refrains des pâtres andalous:
Voila ce quy vous vaut, belle muziciaine,
De tant de coeurs aipris tant d’homajes jalous!

D’autres peuvent avoir le ton chaud de l’oranje,
Des rôses sur leur lys, ou, sous la fine franje
De leurs cils capiteus, un euil noir plus ardant.

Mais, je puis l’avouer, sans forcer la louanje,
Je ne conus jamais, avant vous ô mon anje
D’atraits aucy divers un tout aucy charmant.

Q8 – T6

L’aile s’évanouit et fond — 1894 (1)

Mallarmé manuscrit


A Méry Laurent

L’aile s’évanouit et fond
Des Cupidons vers d’autres nues
Que celles peintes au plafond,
Prends garde! quand tu éternues –

Ou que ce couple qui jouait
N’interrompre sa gymnastique
Pour te décerner le fouet
Sur quelque chose d’élastique

Si (moi-même je reconnais
Comme avec à propos on t’aime
Pâlie en de petits bonnets)
Jamais tu gazouilles ce thème

Ancien: Z’ai mal à la gorze –
Pendant l’an quatre-vingt-quatorze.

shmall – octo

incise 1893

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Clair Tisseur Modestes observations sur l’art de versifier – «  Un bon sonnet, écrivait Chénier, n’a jamais eu un grand charme pour moi : c’est un genre de poésie que je n’aime point, même dans Pétrarque, et je ne sais pourquoi Despréaux l’enrichit d’une beauté suprême » … Comme à Chénier, le sonnet ne me semble pas en soi une de ces combinaisons poétiques enportant d’emblée l’enthousiasme. Le retour réitéré des rimes, si agréable lorsqu’il couronne un morceau, se produit ici tout au début, pour ne se plus retrouver. On aime en général à voir dans une pièce une distribution alternée … Ici, les deux quatrains se touchent et les deux tercets. Je ne sais pourquoi je suis tenté de disposer la pièce symétriquement : un quatrain, un tercet, un quatrain, un tercet. Et de fait, je me demande comment personne ne l’a tenté.

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O femmes, je vous aime toutes, là, c’est dit ! — 1893 (25)

Verlaine Dédicaces

Quatorzain pour toutes

O femmes, je vous aime toutes, là, c’est dit !
N’allez pas me taxer d’audace ou d’imposture.
Raffolant de la blonde douce ou de la dure
Brune et de la virginité bête un petit

Mais si gente et si prompte à se déniaiser,
Comme de l’alme maturité (que vicieuse !
Mais susceptible d’un grand cœur et si joyeuse
D’un sourire et savourant, lente, un long baiser)

Toutes, oui, je vous aime, oui, femmes, je vous aime
– Excepté si par trop laides ou vieilles, dam !
Alors je vous vénère ou vous plains. Je vais même

Jusqu’à me voir féru, parfois à mon grand dam,
D’une inconnue un peu vulgaire, rencontrée
Au coin … non pas d’un bois sacré ! qui m’est sucrée.

Q63  T23

O mes contemporains du sexe fort, — 1893 (24)

Verlaine Dédicaces

Quatorzain pour tous

O mes contemporains du sexe fort,
Je vous méprise et contemne point peu,
Même il en est que je déteste à mort
Et que je hais d’une haine de dieu.

Vous êtes laids, moi compris, au delà
De toute expression, et bêtes, moi
Compris, comme il n’est pas permis : c’est la
Pire peine à mon cœur et son émoi

De ne pouvoir être (si vous non plus)
Intelligent et beau pour rire ainsi
Qu’il sied, du choix qui me rend cramoisi

Et pour pleurer que parmi tant d’élus
A faire, ces messieurs aient entre tous
Pris Brunetière. O les topinambous !

Q59  T30  rimes masc.  octo

Le soleil tendre couve à travers le brouillard — 1893 (23)

Paul Delair La vie chimérique

Aux langes

Le soleil tendre couve à travers le brouillard
La terre que la neige enveloppe de langes
Et la terre vagit avec des pleurs étranges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

Il a souffle petit, grand besoin, plainte amère,
Mais il joue au soleil comme au sein de sa mère,
Têtant le bonne flamme aussitôt qu’elle a lui.

Ses sens dorment encor, mais les sillons augustes
Sentent prémir le germe et s’agiter en lui
‘âme de l’avenir, & l’espoir, pain des justes.

Oh ! passe t main d’or sous le pâle brouillard,
Soleil !, mère & nourrice, & berce dans ses langes,
Le dieu futur des blés et des saintes vendanges …
L’hiver est un enfant et non pas un vieillard.

QTTQ v14=v4

La vie est toute tracée — 1893 (22)

Paul Verola Les baisers morts

Scepticisme

La vie est toute tracée
Et, gondole sans rameur,
L’âme coule, harassée,
Amour, sifflet ou rumeur

A rien ne sert se débattre ;
Le cœur fuit, méchant ou bon :
Toujours noir est le charbon ;
Toujours blanc sera l’albâtre.

L’âme, toute embarrassée,
N’entraîne que ce qui meurt,
Baisers secs, fleur trépassée,
Bois mort et vaine clameur !

Elle va, troupeau sans pâtre
Et sans but, à l’abandon,
Broutant violette ou chardon,
Yeux bleus ou dégoût saumâtre.

Dans le cœur rien ne peut naître
Et tout ce qui y pénètre,
Y pénètre pour mourir,

De l’univers sanctuaire
Il n’est que l’obituaire
Changeant printemps en hiver ;

Larmes, cris, chants de victoire,
Il est le four crématoire
Incinérant l’Univers !

Quatre quatrains (abab a’b’b’a’ abab a’b’b’a’) et trois tercets ( ccd c’c’d’ eed’ ; la rime ‘d’ est quasi-orpheline)

Existe-t-elle encor, cette île — 1893 (21)

Paul Verola Les baisers morts

Evocation

Existe-t-elle encor, cette île
Où le baiser, toujours vainqueur,
S‘épanouit dans chaque cœur,

Où la moindre brise distille
Des arômes ensorceleurs
Sur les lèvres toujours en fleurs ?

Où, dans la luit pleine d’aveux,
La lune orgueilleuse démêle
L’or et l’argent de ses cheveux
Sur le flot gris qu’elle constelle ?

L’île où la fleur même a des lèvres,
La pierre, des pulsations,
Où l’Océan, pendant ses fièvres,
Rugit toutes nos passions ?

Où vers l’amour montent tous vœux ;
Où la rose, au papillon frêle
Tendant son front vierge et séveux
Lui murmure : arrête ton aile !

Cette île où l’âme la plus mièvre
A d’immenses éruptions,
Où la chair jamais ne se sèvre,
Où tout n’est que vibrations ?

Elle exista : nous y vécumes
Inondés d’azur et d’écume,
Enlacés à briser nos corps !

Oh ! retournons-y, car peut-être
Ce qu’on croit mort peut y renaître,
Et tu pourrais m’aimer encor.

double sonnet fait d’un sonnet renversé et d’un Q 59- T15, les quatrains sur les mêmes rimes. octo

Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses — 1993 (20)

Georges Fourest in L’Ermitage

Pour cueillir les narcisses
Mystérieux hanteurs aimés des tubéreuses (Joseph Declareuil)

O nymphes, j’ai flétri la fleur de Bételgeuse :
Nymphes, les nymphéas abhorrés de l’Amour !
Candide, j’ai cueilli vos corolles neigeuses,
Frigides nénuphars abhorrés de l’Amour !

Tel un glaïeul glissant au sanglot de l’eau glauque,
J’effeuille cette fleur qui fut l’enfant Narcisse ; –
Et le fleur descendait au sanglot de l’eau glauque
Et les blancs Corydons chantaient leurs Alexis !

Magdeleines, gardez pour les Jésus futurs,
Gardez le cinnamone et les philtres d’Amour.
Leurs cheveux essuieront tes pieds, ô Dieu futur !

Pour moi, dans le miroir sanglotant de l’eau glauque, –
Parmi les nymphéas abhorrés de l’Amour ;
J’effeuillerai la fleur qui fut l’enfant Naricsse !

Q59  cdc xdy y=x (d=b & x=a’ & y=b’)  mots-rimes et vers repris

Gin ! hydromel !! kümmel !!! wisky !!!! zythogala !!!!! — 1893 (19)

Georges Fourest in L’Ermitage

La mélancolie du dipsomane

Gin ! hydromel !! kümmel !!! wisky !!!! zythogala !!!!!
J’ai bu de tout ! parfois soûl comme une bourrique
L’Archiduc de Weimar, jadis, me régala
D’un vieux Johannisberg à très cher la barrique !

Dans le crâne scalpé du grand chef Ko-Gor-Roo-
Boo-Loo, j’ai puisé l’eau de fleuves d’Amérique !
Pour faire un grog vive l’acide sulfurique !
Tout petit je suçais le lait d’un kanguroo ! *

( Mon père est employé dans les Pompes funèbres :
C’est un homme puissant ! j’attelle quatre zèbres
A mon petit dog-cart, et je m’en vais au trot !)

Mais aujourd’hui, noyé de vermouths et d’absinthes,
Je meurs plus écoeuré que feu Jean des Esseintes :
Mon Dieu ! n’avoir jamais goûté de vespétro** !

Q38  T15 * un kanguroo femelle, bien entendu (Note de l’auteur)  **liqueur ancienne aux vertus carminatives reconnues, fabriquée à base d’eau-de-vie

par Jacques Roubaud