Archives de catégorie : Disposition strophique

La disposition ordinaire 4+4+3+3 n’est pas signalée.

Mère …. il est un enfant à la pensée austère — 1843 (20)

– Marie-Laure Grouard Les églantines

A la ville de Paris

Mère …. il est un enfant à la pensée austère
Qui naquit dans tes murs, quitta le sol natal,
Et, cachant son chagrin dans son cœur virginal,
S’en fut grandir au loin, sur quelque coin de terre.

On devinait en elle un douloureux mystère,
Mais nul ne put savoir le secret de son mal.
Alors, sans plus fouiller dans son passé fatal
Le monde lui donna pour nom : la solitaire.
Car jamais un ami n’accompagnait ses pas…
Le front baissé, toujours on la voyait, hélas !
Seulle dans le vallon, seule dans la campagne,

Pourtant, si quelque jour elle venait vers toi,
Ne la repousse point, car cet enfant, c’est moi,
Mère … et, pour toi, bientôt je fuirai la montagne.

Q15  T15  disp 4+3+4+3 (mais la succession des rimes est habituelle)

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor — 1841 (4)

Aloysius Bertrand Oeuvres (ed.Poggenburg)


A Victor Hugo, poète. Sonnet

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor
Gloire à toi dont les vers, sublime poésie,
Se nourrissent de sang, de miel et d’ambroisie,
D’une colombe éclose dans le nid du condor!

Non, tu ne joutes point comme le picador
Qu’aux tournois de taureaux, chers à l’Andalousie,
Un sourire amoureux enivre et rassasie
Sous les balcons tendus de fleurs, d’ivoire et d’or.
Depuis Napoléon nul qui soit de ta taille
Au siècle n’a joué plus immense bataille –
Poète qui combats avec un luth de fer!

Et nul de ton soleil que la gloire environne
Ne t’a précipité sans vie ou sans couronne
Comme Napoléon ou comme Lucifer.

Q15 – T15 – disposition notable : 4+7+3 – césure épique au vers 4

Je vais quitter Paris, ville de ma douleur, — 1841 (3)

Paul Ackermann Chants d’amour

sonnet

Je vais quitter Paris, ville de ma douleur,
Où l’amitié, l’amour, ont épuisé mes pleurs:
Mon esprit accablé sur soi-même retombe.

Emma, Louis, doux noms qu’enferme cette tombe,
En vous voyant tracés, mon coeur saigne et succombe;
Vous étiez mon repos, ma joie et mon bonheur.

Souffrir, voilà la vie! Et l’ardeur de l’étude
Ne calme pas le coeur. Ah! c’est chose bien rude

De repousser la mort! car il est dans les Cieux
Un amour infini, plus que tout précieux.

aab bbc dd ee – disp: 3+3+2+2 – 10v

un essai de ‘sonnet court’

Rien n’est grand qu’avec Dieu; sa pensée est l’essence — 1840 (5)

Auguste Barbier Rimes Héroïques


Christophe Colomb

Rien n’est grand qu’avec Dieu; sa pensée est l’essence
Des nobles actions, des sublimes exploits;
Il élargit la tête, et donne la puissance
Aux plus frêles humains qui marchent à sa voix:
Heureux l’homme qui fonde en lui son espérance,
Et qui pour lui s’embarque en une tâche  immense!

C’est Dieu qui t’inspira, magnanime Génois,
Quand ton esprit rêvait une nouvelle terre.
C’est lui qui ranima ton courage aux abois
Dans l’ouragan sans fin de la rude misère;
C’est lui qui chez les rois d’un orgueil saint et beau,
T’arma contre la vie et son lâche troupeau.

En vain autour de toi l’Océan en colère
Roula sa verte écume et ses montagnes d’eau,
Dieu te fit sans terreur traverser l’onde amère,
Et rencontrer le monde enfant de ton cerveau.

babaa bcbcdd cdcd – disp: 6+6+4 – 16v

Auguste Barbier fait preuve d’audace en ajoutant deux vers plats au premier quatrain (faisant écho aux premiers vers habituels des tercets). Les critiques l’ont incité à ramener le poème à plus de sagesse ; ce qu’il fit dans une édition ultérieure.

J’ai voulu d’un sonnet régaler mes amis — 1839 (17)

M. Courtois Mes petits moments

Sonnet dédié aux amateurs

J’ai voulu d’un sonnet régaler mes amis
– Tout beau ! dira quelqu’un ; a-t-il eu tant d’audace ?
– Hé ! pourquoi, cher lecteur ? ne m’est-il pas permis
De vous faire, à mon tour, si je puis, une grâce ?

– Comment ! quatorze vers ! à la règle soumis ? …
– Chacun aura son lieu, j’en ai mis six en place.
Et les huit autres ? – Bah ! sans trop laide grimace
Mes deux quatrains sont faits ; heureux s’ils sont admis !

– Mais les tercets ?  – Voilà le plus fort de l’affaire.
– Vous ne saurez jamais ni l’un ni l’autre faire ;
Vous en aurez la honte, à notre grand plaisir.

– Nicolas, aide-moi ! tu nous a dit toi-même
Qu’un sonnet sans défaut vaut seul un long poème
Si le mien n’en a qu’un je n’ai plus de désir.

Q9  – T15  – sns  – s sur s

Ah! quel que soit le deuil jeté sur cette terre — 1837 (3)

Auguste Barbier Oeuvres

L’adieu

Ah! quel que soit le deuil jeté sur cette terre
Qui par deux fois du monde a changé le destin,
Quels que soient ses malheurs et sa longue misère,
On ne peut la quitter sans peine et sans chagrin.

Ainsi, prêt à sortir du céleste jardin,
Je me retourne encor vers les cimes hautaines,
Pour contempler de là son horizon divin
Et long-temps m’enivrer de ses grâces lointaines:

Et puis le froid me prend et me glace les veines
Et tout mon coeur soupire, oh! comme si j’avais,
Aux champs de l’Italie et dans ses larges plaines,
De mes jours effeuillés le rameau le plus frais,
Et sur le sein vermeil de la brune déesse
Epuisé pour toujours ma vie et ma jeunesse.

abab  bcbc dede ff =sp – disp: 4+4+6

L’exemple d’Auguste Barbier est d’un grand intérêt pour l’histoire de l’influence anglaise sur la forme du sonnet français (dont le cas le plus important est celui de Mallarmé). La disposition des strophes, quoique un peu rare (4+4+6), n’a rien cependant de bien original. En revanche les rimes se distribuent en: abab  bcbc  dede  ff, où on ne manquera pas de reconnaître la disposition dit ‘spensérienne’ (dont l’inventeur est sans doute, au seizième siècle, Edmund Spenser). Elle a eu quelques adeptes au 19ème en Angleterre. (Alain Chevrier est ‘ l’inventeur ‘ de ce sonnet).

Hâtes-toi de parler, ô ma lyre d’ivoire ! — 1835 (10)

J-B Claray de Crest-Volland Sonnet à son Altesse Royale Monseigneur le Duc de Bordeaux

Hâtes-toi de parler, ô ma lyre d’ivoire !
Entonne un chant sublime au pur sang de Berri ;
Nations, mes accords, précurseurs de l’histoire,
Révèlent à vos yeux les destins de Henri.
Jeune, il saura des arts éterniser la gloire,
Formé dans la vertu par un autre Henri.
Et, si l’honneur le guide aux champs de la victoire,
Rappeler les héros de Bouvine et d’Ivri.
De la religion dont le zèle l’enflamme,
Il fera près des lis arborer l’oriflamme.
Nemours, Colbert, Rousseau* renaîtront sous ses lois.
Au temple de mémoire, en traits ineffaçables,
Neuf soeurs, vous graverez ces mots impérissables :
DIEU-DONNÉ FUT L’AMOUR DE L’EMPIRE GAULOIS.

* Jean-Baptiste

Q8 T15  acr.  sns  disp droite

Crest-Volland prend bien soin de signaler en note que son ‘Rousseau’ n’est pas l’horrible ‘Jean-Jacques’ !

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs — 1834 (8)

Leon de Wailly in Revue des Deux Mondes, t4

Moi mort, ne me pleurez que tant qu’au sein des airs
La cloche, à la voix sombre, annoncera qu’une âme
Au céleste foyer a rapporté sa flamme
Qu’un cadavre de plus habite avec les vers.
Par pitié pour tous deux ! si vous lisez ces vers,
Oubliez-en l’auteur : on le raille, on le blâme ;
Et combien j’aime mieux l’oubli que je réclame,
Que si penser à moi rendait vos jours amers !O
ui, si vous les lisez, ayez bien soin de taire
Un nom qui doit dormir avec moi dans la terre ;
Que je sois par la mort de votre amour exclus ;
Car j’aurais trop de peur qu’épiant chaque larme
Ce monde si sensé de moi se fît une arme
Pour vous blesser au cœur quand je n’y serai plus.

Q15 T15 trad sh 70 – sns

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne, — 1833 (6)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

Le déclin de la vie

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne,
Où la feuille jaunit, où l’on voit tous les jours
Le bois perdre un fragment de sa belle couronne:
Temple où le rossignol soupirait ses amours.
Temple en ruine, hélas! – Voici venir cette ombre
Qui couvre l’univers, quand le soleil s’enfuit;
Quand la terre et les cieux attendent la nuit sombre,
Image de la mort, cette éternelle nuit!
Sur le foyer éteint, les cendres de ma vie,
Je rêve tristement. J’aimai, je fus aimé;
Quelques instants encor, ma carrière est remplie:
Ce feu qui m’a nourri m’aura donc consumé!
Tes yeux voyent pâlir le flambeau de ma vie,
Et tu m’aimes toujours, mon ange! Ah! Sois bénie!

Q59 – T19 – sns – sh –

Ces traductions des sonnets 29 (When in disgrace with fortune and men’s eyes) et 73 (The time of year thou mayst in me behold) de Shakespeare sont les premières (et de longtemps les seules) à reproduire la disposition des rimes (abab  cdcd  efef  gg) et la non-séparation des strophes, caractéristiques de cette sous-espèce de la forme-sonnet.

D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent; — 1833 (5)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

La consolation
D’un regard sans pitié les hommes me flétrissent;
Seul, rebuté du monde et maudissant mon sort,
Mes inutiles cris dans les airs retentissent:
Le ciel est sourd: je pleure, et désire la mort.
D’autres ont des amis, d’autres ont la richesse;
Ils ont reçu du ciel, le repos, d’heureux jours,
Les honneurs, la beauté, la gloire, la sagesse;
Inestimables biens qui me fuiront toujours.
Dans ces pensers amers, quand tout mon coeur se noie,
Je pense à toi! – Mon âme heureuse en son réveil,
S’élance et fait jaillir l’hymne ardent de sa joie,
Comme part l’alouette au lever du soleil.
Doux souvenir! amour! mon bonheur! ma couronne!
Tu suffis à ma vie, et tu vaux mieux qu’un trône.

ababcdcdefefgg – sns – sh – La formule de rimes est celle des sonnets de shakespeare