Archives de catégorie : Formule de rimes

Le parfum des lilas ruisselle de folie, — 1875 (2-3)

Camille ChaigneauLes mirages – sonnets-réflexe –

Nuit d’Avril

Le parfum des lilas ruisselle de folie,
Les couchants empourprés hallucinent les yeux,
J’entends mille baisers dans l’air silencieux,
L’espoir jette des fleurs sur la mélancolie.

Qui passe, c’est l’amour sur la terre embellie!
Qui passe? c’est la femme au front mystérieux:
Viens, mon coeur est ouvert, et l’amour fait les dieux!
Comme le ciel est près! Aime! je t’en supplie!

Tant que nous entendrons le chant du rossignol,
Tant que le vent des nuits répandra sur ton col
Son haleine embaumée et sa chaude caresse,

Courons dans les forêts, les foins et les blés d’or!
Et, lorsque tournoîront les feuilles en détresse,
Pour l’espace étoilé nous prendrons notre essor!

Pour l’espace étoilé nous prendrons notre essor,
Oh! ne comprends-tu pas cette sublime ivresse?
Aime! sur mes cheveux laisse flotter encor

Ton haleine embaumée et ta chaude caresse!
Pourquoi fuir? …. qui t’emporte? …. Arrête au moins ton vol
Tant que nous entendrons le chant du rossignol! ….

Pour les bois d’orangers cherches tu l’Italie?
Ou l’Espagne? – Où vas-tu? … Connais-tu d’autres cieux
Où l’âme soit plus blanche, où l’on s’adore mieux?
Pourquoi m’avoir souri, s’il faut que je t’oublie? ….

Qui jettera des fleurs sur ma mélancolie?
J’entends mille baisers dans l’air silencieux,
Les pourpres de l’aurore hallucinent les yeux,
Le parfum des lilas ruisselle de folie.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc baab baab – banvIl s’agit tout simplement de couples d’un sonnet suivi de son équivalent renversé, sur les mêmes rimes (et parfois les mêmes mots-rimes d’ailleurs) et même parfois les mêmes vers. Les textes sont presque réversibles.
« Un fol espoir nous éclaire le coeur. Ce n’est d’abord qu’une ombre vague et brumeuse, bientôt l’astre s’élève, les vapeurs se dispersent, la douce lumière nous envahit, le zénith triomphal semble nous appeler à lui. mais l’astre baisse, l’espoir s’éloigne, et le coeur frissonne pendant que s’abattent les pénombres messagères de la nuit, c’est le désespoir. Tels passent les rêves, les éclairs d’amour, les visions de splendeur et de félicité, tous ces mirages de la vie individuelle et collective.N’y-a-t-il pas là comme un drame composé de deux actes dont le second serait le reflet du premier? – C’est dans cette pensée que j’ai cherché une forme poétique capable d’un redoublement scénique, d’une réflexion manifeste. J’ai choisi le sonnet, parce qu’il est en lui-même complêtement dépourvu de symétrie, et parce que son dernier vers, jaillissant comme une flèche, superbe comme un aigle, semble conquérir les faîtes dont nos illusions vont crouler. – Le premier quatrain, et son image qui termine le petit poème, ont tout le vague des horizons où commencent et finissent les rêves humains. Des rappels de vers semés harmoniquement contribuent à la cohésion de l’ensemble … »

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée — 1875 (1)

Adrien Brun Sonnets

Au Sonnet

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée
Je t’obéis pourtant, je t’aime malgré moi.
Car la Muse est esclave en se livrant à toi,
Et de ton despotisme elle est presque offensée.

Quand vers son idéal elle s’est élancée,
Tout obstacle l’irrite, et la met en émoi,
Puis elle cède enfin à ta sévère loi;
Dois-je espérer, au moins, l’en voir récompensée?

Ainsi découragé d’avance, j’hésitais:
Dans mon timide essor soudain je m’arrêtais;
Ma main, plus d’une fois, avait jeté la plume.

Mais, pour me rassurer, le Sonnet repartit:
Achève, ami, crois-moi, ton modeste volume;
On passe dans la foule en se faisant petit.

Q15 – T14 – s sur s

Un boudoir en désordre : effet de l’art. Hercule — 1874 (24)

Emile Dodillon Les écolières

Oraison funèbre
Madame se meurt ! Madame est morte !

Un boudoir en désordre : effet de l’art. Hercule
Aux pieds d’Omphale est peint sur le tapis ouaté.
Sur les meubles en bois de rose agrémenté,
Tous ces riens rococo d’un charmant ridicule.

Ces parfums de pays où bout la canicule
Changent en un creuset d’où sourd la volupté
Tous les trous de la peau. Le rideau velouté
Fait des plus francs soleils un adroit crépuscule.

Camélia se meurt. Et sa mère calcule
L’argent qu’elle fera de l’autel tant vanté :
Ce lit bas, sous l’alcôve, autour duquel, tenté
De s’y pamer encore, un jeune homme circule.

Il pleure, et sur le front de la chère beauté
Que le froid décolore, il essaye, irrité,
De rafraîchir un peu son front que l’amour brûle.

Pauvre enfant ! il avait pour elle tout quitté,
Et voilà qu’il lui faut, remis en liberté,
Etre autre chose, hélas !, qu’un roquet sans scrupule.

3Q abba  – T6  – y=x:c=b & d=a

4 exemples de sonnets à 3 quatrains en ‘abba’, 1 de quatre quatrains, tous sur deux rimes

Aussi, la créature était par trop toujours la même, — 1874 (23)

Verlaine Parallèlement

Le sonnet de l’homme au sable

Aussi, la créature était par trop toujours la même,
Qui donnait ses baisers comme un enfant donne aux lois,
Indifférente à tout, hormis au prestige suprême
De la cire à moustache et de l’empois des faux-cols droits.

Et j’ai ri, car je tiens la solution du problème :
Ce pouf était dans l’air dès le principe, je le vois ;
Quand la chair et le sang, exaspérés d’un long carême,
Réclamèrent leur dû, – la créature était en bois.

C’est le conte d’Hoffmann avec de la bétise en marge,
Amis qui m’écoutez, faites votre entendement large,
Car c’est la vérité que ma morale ; et la voici :

Si, par malheur, – puisse d’ailleurs l’augure aller au diable
Quelqu’un de vous devait s’emberlificoter aussi,
Qu’il réclame un conseil de revision préalable.

Q8  T14  14 s.

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux, — 1874 (22)

Gustave Mathieu in Revue du monde nouveau

Héléna changée en sonnet

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux,
Lustrait ses cheveux roux !!! sous leurs touffes vermeilles
Plongeant ses doux rayons, le soleil, amoureux,
Des ses beaux seins mouvants titillait les merveilles.

Tout en fenêtre en face, un poëte envieux
La guettait l’œil en feu, du sang dans les oreilles !!!
Lors, des vers susurrant sous son cerveau fiévreux,
De s’élancer vainqueurs, essaimant comme abeilles …..

Les voilà s’acharnant à leur proie ; et le soir
L’astre jaloux, avant de s’abîmer, put voir
Lorgnant obliquement de la rive orangée,

Sous les baisers pourprés de quatorze grands vers,
Héléna, renversée et les yeux à l’envers,
Se tordre convulsive, en un sonnet changée.

Q8  T15  s sur s  (traitement assez étrange de ce thème)

Près des lilas blancs fleurissent les roses, — 1874 (21)

Adrien Dézamy in L’Artiste

Trianon Sonnet-réflexe

Près des lilas blancs fleurissent les roses,
Le soleil d’avril sourit dans les cieux,
Et vers Trianon s’envolent joyeux,
Dames et seigneurs, tout blancs et tout roses.

C’est fête : on se rit des esprits moroses.
Les bergers Watteau, d’un air précieux,
Tendant le jarret et clignant des yeux,
Chantent galamment d’amoureuses choses.

Un Tircis azur au regard vainqueur,
Le poing sur la hanche et la joie au cœur,
Danse avec la reine en simple cornette …

La foudre, soudain, fait explosion,
Et, dans un éclair, Marie Antoinette
Lit avec horreur : RÉVOLUTION
————————-
A ce mot nouveau : REVOLUTION,
Le trône trembla. Marie-Antoinette
Sentit s’accomplir la prédiction.

Jetant aussitôt rubans et houlette,
Et pressant l’enfant royal sur son cœur,
La reine devint reine de douleur …

Et, depuis ce temps, plus de moutons roses,
De bergers Watteau, de mots gracieux,
Ni, sur le gazon, de soupers joyeux ;
Plus d’échos disant d’amoureuses choses !

Malgré la tempête et les jours moroses,
Trianon survit – nid silencieux –
Et, quand le soleil sourit dans les cieux,
Près des lilas blancs fleurissent les roses

Q15  T14  + s.rev.  tara – banv

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers — 1874 (20)

Léon Duvauchel in L’Artiste

Sur le sonnet
Ma foi, c’est fait ! (Rondeau de Voiture)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers
Trop court pour contenir en entier ma pensée :
Alors, comme une barque au hasard balancée,
Elle chavire ou va, boiteuse, de travers.

Elle voudrait aussi pour bornes l’univers,
Lorsqu’aux mondes lointains elle s’est élancée,
Lorsqu’à la fiction je la vois fiancée,
Qu’elle s’est mis au front des diadèmes verts.

Souvent, hélas ! poète impuissant, infertile,
Le sonnet est trop long, et je n’ai pas rimé
Deux beaux quatrains jouant sur un sujet aimé ;

Et je te fâche alors d’un désir inutile,
Muse, tu ne veux pas ces jours-là m’écouter…
Pourtant j’en ai fait un … presque sans m’en douter !

Q15  T30  s sur s

Vous restez au pays de l’éternel printemps, — 1874 (19)

Dubosc de Pesquidoux in L’Artiste

Vous restez au pays de l’éternel printemps,
Et je fuis le rivage. Adieu mes belles fées !
En chantant avec vous la chanson des Orphées,
J’ai cueilli par vos mains les roses au beau temps.

Vous êtes l’idéal, et versez l’ambroisie
Avec l’urne des dieux aux âmes de vingt ans,
Vous êtes la jeunesse et ses rayons flottants :
La jeunesse ! Je pars, et ne l’ai pas saisie … )

Cependant le vaisseau m’entraîne en pleine mer,
Et comme Desgrieux, dans sa douleur sauvage,
Je dis aux matelots : Retournons au rivage.

Car j’ai mis au tombeau, sur le rivage amer,
Mon amour le plus cher, ma maîtresse adorée :
La jeunesse divine. Adieu, belle éplorée !

Q52  T30

C’était dans son costume aux vulgaires couleurs — 1874 (18)

Jules Vicaire in L’Artiste

Rencontre

C’était dans son costume aux vulgaires couleurs
Un matelot. Mes mains blanches et bien soignées
Eurent peine à serrer les siennes goudronnées.
– Un ami d’autrefois, pensant aux temps meilleurs.

Mais lui, tout en marchant, comme on cueille des fleurs
Cueillant des souvenirs dans nos jeunes années,
Me rappela la lande et les amours fanées ,
Et les amours perdues et les jeux querelleurs.

Il avait dû quitter sa mère seule et vieille.
Etant pauvre, et n’ayant pu se placer là-bas,
Il s’était au service engagé de la veille.

Sa voix en me parlant était pleine de larmes ;
Je chassai mon orgueil et ses sottes alarmes
Et je lui dis : « Ami, si tu prenais mon bras ? »

Q15  T25 cette disposition de rimes des tercets, rare (fréquente dans le sonnet italien) interdit le respect de l’alternance des rimes

Des croquis de concert et de bals de barrière — 1874 (17)

Joris-Karl Huysmans Le drageoir à épices

Le hareng saur

Des croquis de concert et de bals de barrière
La reine Marguerite, un camaïeu pourpré
Des naïades d’égout au sourire éploré,
Noyant leur long ennui dans des pintes de bière,

Des cabarets brodés de pampre et de lierre,
Le poète Villon, dans un cachot, prostré,
Ma tant douce tourmente, un hareng mordoré,
L’amour d’un paysan et d’une maraîchère,

Tels sont les principaux sujets que j’ai traités:
Un choix de bric-à-brac, vieux médaillons sculptés,
Emaux, pastels pâlis, eau-forte, estampe rousse,

Idoles aux grands yeux, aux charmes décevants,
Paysans de Brauwer, buvant, faisant carrousse,
Sont là: les prenez-vous? à bas prix je les vends.

Q15 – T14 – banv