Archives de catégorie : Formule de rimes

Au fond des bois, sous l’humide feuillée, — 1863 (11)

Alexandre Toupet Vieux péchés

Emma Livry

Au fond des bois, sous l’humide feuillée,
Tout gazouillait de badines chansons,
Des bruits joyeux montaient de la vallée,
Et dans leurs nids chantaient les oisillons.

Un papillon avait pris sa volée !
Sylphe rapide, il faisait sa moisson
D’un beau jardin parcourant chaque allée,
Se promenant de la fleur au buisson.

Comme une abeille, ô mutine sylphide,
Tu voltigeais, sans craindre l’avenir
Qui t’entrainait d’un sourire perfide.

Car sans songer qu’un jour tout doit finir,
Tu vins frôler une funeste flamme
Qui dans l’azur fit s’envoler ton âme

Le 15 novembre 1862, pendant une répétition sur la scène de l’Opéra, la gracieuse artiste chorégraphique, qui allait reprende le rôle de Fenella, dans La muette de Portici, s’étant imprudemment mise sur un praticable, placé près d’une herse de gaz, se vi soudainement entourée d’un réseau de flammes.

Q8  T23  déca  bi

Tandis que pour trouver, tous deux, la bonne étoile, — 1863 (10)

Charles Sorbets Poésies

A MON FRERE

Tandis que pour trouver, tous deux, la bonne étoile,
Mon frère, nous portons nos regards vers l’azur,
A tes yeux attendris un astre se dévoile
Brillant aux doux reflets du firmament si pur.

Une étoile! insensé, j’ai cru trouver la mienne;
Une femme au coeur d’ange, un trésor que j’aimais!..,
Quelle autre destinée est égale à la tienne!
Que ton bonheur, ami, ne s’éloigne jamais,

Ah! pour moi le bonheur est une étrange chose.
Une fleur qui s’entr’ouvre et meurt à peine éclose ;
Une ombre qui me fuit quand je crois la saisir.

Le ciel que tu cherchais t’apparaît sans nuages.
Moi, je n’ai rencontré que de trompeurs mirages,
J’oubliais que mon sort est de toujours souffrir.

Q59  T15  bi

Si dédaigneuse un jour de ma pauvre maison, — 1863 (8)

Auguste Lestourgie Rimes limousines

Sonnet

Si dédaigneuse un jour de ma pauvre maison,
Ma muse veut partir et quitter son poète ;
Ah ! qu’elle entende bien que, sans tourner la tête,
Sans regarder ses pas marqués sur le gazon,

Sans voir sa robe blanche au bout de l’horizon,
Je la retrouverai, car je sais sa retraite !
Non ! non ! je n’irai point d’elle me mettre en quête,
Ô, cités, dans vos murs, vaste et noire prison !

Ni sur vos bords fleuris, beaux fleuves d’Italie,
Mer d’Ischia, si chère à la mélancolie,
Ni même sur les tiens, Rhin aux flots indomptés !

Car la muse que j’aime, et que j’ai pour compagne
Naquit un jour de mai sur la haute montagne
Au bord de ces lacs bleus que Wordsworth a chantés !

Q15  T15

L’air était au bonheur et soufflait à la joue — 1863 (6)

– Léon Valade & Albert Mérat Avril, Mai, Juin

Un artiste

L’air était au bonheur et soufflait à la joue
Des effluves de paix, d’espérance et d’amour.
Par ces soleils féconds où le printemps se joue
On est heureux d’ouvrir les yeux, de voir le jour.

La vie est une amante au sang riche, au teint rose :
On se pend à son col avec enivrement.
Le sombre essaim des maux s’envole en un moment
Loin des gouffres de l’âme où le passé repose.

Par un de ces beaux jours de joie et de lueur
J’allais heureux, avec des clartés plein de cœur ;
J’aperçus chancelant, le dos contre une borne,

Un vieillard abruti de faim, front bas, l’oeil morne.
Un monsieur qui passait, d’un air indifférent
Et d’un ton très-poli, me dit : « Quel beau Rembrandt ! »

Q60  T13

Un jour, je rencontrai dans une brasserie, — 1863 (5)

Antonio Zingaro Sonnets et autres rimes

Les chanteurs du Tyrol

Un jour, je rencontrai dans une brasserie,
Mélancoliquement attablés et mangeant
Un raifort qu’ils piquaient dans un peu de sel blanc,
Deux pâtres du Tyrol ; plus en leur compagnie

Une très belle fille en corset de velour,
Chapeau de feutre noir et galon d’or autour.
Ils avaient fort grand air, et plus d’une Duchesse,
Aurait de cette fille envié la noblesse.

J’approchai d’eux mon verre et je bus, en causant :
Ils étaient de Carlssteg et s’en allaient, chantant.
Quand je leur demandai s’ils étaient sœur et frère,

Tous trois, d’une même cœur, entrechoquant leur verre,
Et partageant en trois un gâteau de maïs,
Me dirent seulement : nous sommes du pays.

Q61  T13

Des dons du ciel ce beau pays comblé, — 1863 (4)

Antonio Zingaro Sonnets et autres rimes

Lucerne

Des dons du ciel ce beau pays comblé,
N’est, après tout, qu’un grand hôtel meublé!
Que Dieu nous garde, ô rêveurs, de Lucerne!
Le lac est bleu, mais la ville est bien terne.

Le Schweizerhof est peu corinthien,
Malgré son porche et sa grecque ordonnance,
Et c’est en vain que l’Hof de La Balance,
Veut se donner un air vénitien.

Les ponts, flanqués de peintures d’auberge,
Ont des Holbein couleur de jus d’asperge;
Mais dans le bourg, où l’on boit du gros vin,

L’Art a pourtant posé son pied divin,
Et Thorwaldsen a taillé dans la roche,
Un fier Lion, sans peur et sans reproche.

Q57 – T13 – déca

Ils ont chassé de l’antique Munster, — 1863 (3)

Antonio Zingaro Sonnets et autres rimes

Bâle, sonnet

Ils ont chassé de l’antique Munster,
Les Saints nimbés, la Vierge rayonnante;
Où fleurissait la rose flamboyante
On voit fleurir la trogne de Luther.

Erasme est là sous un pilier gothique;
Il va la nuit, voir le cloître ogival,
Où le portrait byzantin, de Saint Gall;
Avec Holbein, le peintre catholique.

Erasme raille et d’un crayon mordant,
Son compagnon dessine le tympan,
Où les dormeurs, surpris par la trompette

De Josaphat, oubliant l’étiquette,
Ne songent plus à nouer leur braguette,
Et courent, nus, au dernier jugement.

Q63 – T11 – déca

Elle, aux bras de cet homme! oh! non, mon Eugénie — 1863 (2)

J. Ernault Les préludes

First Love VI

Elle, aux bras de cet homme! oh! non, mon Eugénie
Est, et sera toujours fidèle à son amant;
De n’aimer que moi seul elle a fait le serment:
Elle, aux bras de cet homme! injure! Calomnie!

Oh! c’est que, voyez-vous, son amour, c’est ma vie:
Amis, si vous saviez quel sourire charmant
M’accueille, et quand je pars quel regard enivrant…
Vous diriez comme moi: cette chose est folie!

Elle, aux bras de cet homme! Est-ce que le vautour
S’unit à la colombe? Est-ce que par amour
La gazelle voudrait du tigre être la femme?

L’abeille épouse-t-elle un insecte hideux?
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Q15 – ccd e – sonnet interrompu par la stupeur indignée

Tu veux faire un Sonnet? Prends garde, jeune auteur, — 1863 (1)

Henri Rossey Mélanges poétiques

Le Sonnet
A mon jeune ami Eugène Huvé de Garel

Tu veux faire un Sonnet? Prends garde, jeune auteur,
Ecoute auparavant Boileau qui te conseille.
Ce poëme est, dit-il, une pure merveille
Et du Pinde français sera toujours l’honneur.

Mais de mille écrivains il a trompé l’ardeur,
Il fuit toute licence, au choix des mots il veille;
Il faut qu’en deux quatrains de mesure pareille,
La rime, avec deux sons, huit fois plaise au lecteur.

Puis un double tercet, qu’un sens complet partage,
Doit finir dignement ce difficile ouvrage
Dont Apollon dicta les rigoureuses lois.

Si ton talent n’est pas un éclair qui t’abuse,
Poursuis; mais lis ces vers où je t’offre à la fois
Des règles, un exemple, utiles à ta muse.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Parce que de la viande était à point rôtie — 1862 (11)

Mallarmé in  Oeuvres complêtes – Poésies

Parce que de la viande était à point rôtie
Parce que le journal détaillait un viol,
Parce que sur sa gorge ignoble et mal bâtie
La servante oublia de boutonner son col,

Parce que d’un lit, grand comme une sacristie,
Il voit, sur la pendule, un couple antique et fol,
Ou qu’il n’a pas sommeil, et que, sans modestie,
Sa jambe sous les draps frôle une jambe au vol,

Un niais met sous lui sa femme froide et sèche,
Contre ce bonnet blanc frotte son casque-à-mèche
Et travaille en soufflant inexorablement:

Et de ce qu’une nuit, sans rage et sans tempête,
Ces deux êtres se sont accouplés en dormant,
O Shakspeare et toi, Dante, il peut naître un poète!

Q8 – T14