Archives de catégorie : Formule de rimes

Vous étiez du bon temps des robes à paniers, — 1844 (9)

Baudelaire in L’artiste (signé Privat d’Anglemont)

A Madame du Barry

Vous étiez du bon temps des robes à paniers,
Des bichons, des manchons, des abbés, des rocailles,
Des gens spirituels, polis et cancaniers,
Des filles, des marquis, des soupers, des ripailles.

Moutons poudrés à blanc, poëtes familiers,
Vieux sèvres et biscuits, charmantes antiquailles,
Amours dodus, pompons de rubans printaniers,
Meubles en bois de rose et caprices d’écaille,

Le peuple a tout brisé, dans sa juste fureur …
Vous seule avez pleuré, vous seule avez eu peur,
Vous seule avez trahi votre fraîche noblesse,

Les autres souriaient sur les noirs tombereaux,
Et, tués sans colère, ils mouraient sans faiblesse, –
Car vous seule étiez femme, en ce temps de héros !

Q8  T14

Poête, dans les cœurs mettre un écho sonore, — 1844 (8)

Ch.Louis Mollevault La langue française

Ambition, sonnet

Poête, dans les cœurs mettre un écho sonore,
Remuer une foule avec ses passions.
Écrire sur l’airain ses moindres actions,
Faire luire son nom sur tous ceux qu’on adore;

Courir en quatre pas du couchant à l’aurore,
Avoir un peuple fait de trente nations,
Voir la terre manquer à ses ambitions,
Être Napoléon, être plus grand encore!

Que sais-je ? être Shakspeare, être Dante, être Dieu!
Quand on est tout cela, tout cela, c’est bien peu
Le monde est plein de vous, le vide est dans votre âme.

Mais qui donc comblera l’abime de ton cœur?
Que veux-tu qu’on y jette, ô poëte, ô vainqueur?
Un mot d’amour tombé d’une bouche de femme !

Q15  T15

Il élevait au ciel sa tête solennelle, — 1844 (7)

Ch.Louis Mollevault La langue française

Sonnet à Mr Bescherelle aîné

Il élevait au ciel sa tête solennelle,
Cet arbre de la langue à l’ombrage enchanteur,
Mais le fou romantique a dressé sa prunelle,
Et frappé son beau sein d’un glaive contempteur.

L’arbre, sans chanceler sur sa base éternelle,
Repousse fièrement votre fer destructeur,
Et vous, en attaquant sa sève maternelle,
Vous attaquez, ingrats, son bienfait protecteur.

Affermissez au loin sa racine profonde,
Bescherelle, sur vous ce fertile arbre fonde
Et ses fleurs, et ses fruits, d’attraits toujours nouveaux.

Vous qui voulez atteindre à son superbe faîte,
Du savant grammairien que ma lyre aime et fête,
Méditez à loisir les utiles travaux.

Q8  T15

Nous nous battons les flancs et toi tu te reposes ; — 1844 (6)

Pierre Dupont Les deux anges

A mon ami Théodore de Banville

Nous nous battons les flancs et toi tu te reposes ;
Nous t’accusons tout bas : n’aurais-tu pas raison ?
Les lueurs sont encor vagues à l’horizon ;
On n’a pas de fruits mûrs, ni de moissons écloses.

Nous sommes condamnés à célébrer les roses,
Le retour, le déclin de la belle saison:
L’hiver nous fait rentrer des champs à la maison
Où nous perdons nos vers à de petites choses.

Tu rêves cependant. Ta muse attend le jour
Où ceux de notre temps seront grands à leur tour,
L’heure lente à venir des futures mêlées

Que nos aiglons d’hier soient des aigles demain,
Je laisserai tomber la plume de la main
Pour applaudir au vol de tes strophes ailées.

Q15  T15

Quand j’étais plus enfant, mon cœur était joyeux — 1844 (5)

Henri Chevreau & Léon Laurent-Pichat Les voyageuses

A Madame M***J***

Quand j’étais plus enfant, mon cœur était joyeux
De vous voir dans mon rêve ou bien dans ma pensée
Repasser à la place où vous étiez passée !
Je vous aimais alors en silence et des yeux !

Quand ma timidité première fut passée,
Que mon œil fut compris par vos regards soyeux,
Sur mes lèvres mon âme errait en insensée,
Vous deviniez déjà ; je n’en aimais pas mieux !

Plus tard, je vous contai, dans un jour de folie
Le secret déjà su de ma mélancolie ;
Je vous aime aujourd’hui de l’âme et de la voix !

Si vous ne venez pas en aide à mes alarmes,
Un jour, bientôt peut-être, un jour, et, je le vois,
J’ai peur de vous aimer de souffrance, et de larmes !

Q17  T14

Quand Pétrarque révait à la beauté, Madame, — 1844 (4)

Louis Ullbach Gloriana

Sonnet à Madame M***J***

Quand Pétrarque révait à la beauté, Madame,
Comme un diamant pur il taillait un sonnet,
En faisait une coupe, y répandait son âme,
Et Laure souriant de ses mains la prenait.

Oh ! ce poète heureux sur lequel une femme,
Dans un ciel azuré saintement rayonnait ,
Me disputant ces vers que votre voix réclame,
Il vous les offrirait, hélas ! s’il revenait.

Mais de vous obéir, moi, je me sens indigne.
Il faudrait, pour oser ce que votre œil désigne,
A moi plus de talent, à vous mains de vertu !

Car vous, à qui le ciel, harmonieux mélange !
Mit une âme d’artiste avec un regard d’ange,
Vous pourriez être Laure, et Pétrarque n’est plus !

Q8  T15  s sur s

Reine au manteau d’azur, dont l’époux est un Dieu, — 1844 (3)

Jules Pichon Les cyprès de l’Iran

La Vierge Marie

Reine au manteau d’azur, dont l’époux est un Dieu,
Ton nom est rayonnant de mystères étranges,
Ton front est plus brillant que tous les fronts des anges,
Il exhale un parfum qui charme chaque lieu.

Tel qu’un astre qui luit sous le firmament bleu,
Tu passes parmi nous sans toucher à nos fanges,
Ton cœur, trône immortel de vertus sans mélanges
Passa par le malheur comme l’or par le feu.

Avec un doux souris, glissant sur son visage,
La mère à son enfant montre ta chaste image
Et le petit Jésus que tu nourris de miel.

Pendant que sur ton sein ton divin fils repose,
Elle effeuille sur toi sa couronne de rose
Et s’enivre à tes pieds des voluptés du ciel.

Q15  T15

J’aurais aimé Mignon, que Goethe a célébrée, — 1844 (2)

Hippolyte Lucas Heures d’amour

Sonnet

J’aurais aimé Mignon, que Goethe a célébrée,
Fille de bateleur, au corps svelte et charmant,
Dont la voix est si pure en chantant la contrée
Où fleurit l’oranger sous un ciel si riant ;

Clémentine cherchant sa raison égarée ;
Béatrice, ange pur, que Dante allait priant ;
Mais surtout Ophélie, en un fleuve attirée,
Comme un saule pleureur, près du bord se noyant.

Enfin, pour dire mieux, je déteste les femmes
Aux regards assurés, aux orgueilleuses âmes,
Roses de trop d’éclat éblouissant mes yeux.

Mais j’aime les beautés aux paupières baissées,
Fleurs pareilles à toi, sur leur tige affaissées,
Dont le parfum est près de s’enlever aux cieux !

Q8  T15

Dans mon coeur, sombre abîme, où, sous le pont du doute, — 1844 (1)

Pétrus Borel in L’Artiste

30 septembre

Dans mon coeur, sombre abîme, où, sous le pont du doute,
A flots silencieux coule l’impiété,
Où toute passion a son anxiété,
Où le rire poursuit ce que l’homme redoute,

Comme sur un rocher aride et culbuté,
Où jamais le chevreuil ne se suspend et broute,
Parmi les noirs débris de son épaisse croûte,
Au fond d’une profonde anfractuosité,

Depuis bientôt six ans une herbe humble et craintive,
Mais vivace, a grandi. Son front est soucieux,
Sa tige est pâle et frêle. Elle souffre captive!

Pourtant comme le chêne elle irait jusqu’aux cieux;
Pourtant, si vous vouliez, de cette chétive herbe,
Madame, vous feriez l’arbre le plus superbe!

Q16 – T23

Nos violons français, l’Europe les préfère ; — 1843 (28)

Charles Lefeuve Nouvelles poésies

A P.

Nos violons français, l’Europe les préfère ;
Mais leur école, habile aux contrastes saillants,
Aimant à transposer les tons, les caractères,
Exécute le mieux les mouvements brillants.

Ton violon sait seul, artiste germanique,
Nous rappeler de Spohr les prolongés accens.
De la ballade ayant l’horizon poétique,
Il chante, et jusqu’au drame il atteint par instants.

Dire que par delà les nombreuses nuances
Des temps et du talent, comptent comme distances,
L’esprit des nations perce en tout et toujours !

Chez toi l’adagio, plein d’amoureuses grace,
Paraît tout un roman ; et notre allegro passe
Comme un bon mot, valeur des françaises amours.

Q38  T15