Archives de catégorie : Formule de rimes

Prions! De ses vertus une vierge parée, — 1824 (4)

Hippolyte Thomas
Sonnets

La prise d’habit

Prions! De ses vertus une vierge parée,
Chaste épouse du Ciel à la paix consacrée,
S’avance, et le front calme, aux pieds de l’éternel,
Prononce avec transport un serment immortel.

Simple fille des champs, par la grâce abreuvée,
Sur un riche avenir ta foi s’est élevée
Sublime est ta prière, ô touchante Israël;
De ses parfums pieux elle embaume le Ciel.

Athée, ah! Loin de moi va traîner ta souffrance,
Laisse-moi le bonheur, laisse-moi l’espérance:
Jusques à tes bienfaits épouvantent mon coeur.

Douce immortalité, que ma jeune pensée
Laisse aux regrets mortels sa dépouille glacée,
Trompe-moi, j’y consens: je chéris mon erreur.

Q27 – T15

‘parée’ et ‘abreuvée’ ne riment pas classiquement

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre — 1824 (3)

Hippolyte Thomas Sonnets

Napoléon

Vaste Napoléon, plus d’un jeune Alexandre
Envîra tes débris, et consacrant tes fers,
Et ton courage encor plus grand que tes revers,
Des pleurs de l’héroïsme ira baigner ta cendre.

O cygne harmonieux des rives du Méandre!
Renais de ton génie et vole au sein des mers,
Où ta valeur absente effrayait l’univers.
Quelle gloire à chanter! quelles pleurs à répandre!

A ses affreux destins rien n’a pu l’arracher!
Trop serré dans l’Europe il meurt sur un rocher.
Ce siècle à Vaterlo s’arrête avec sa gloire.

Des passions en feu l’apôtre et le martyr,
Sur tes vastes débris consommant ta victoire,
C’était à Vaterlo que tu devais mourir.

Q15 – T14 – banv

Monsieur Thomas joint ‘pleurs’ à ‘amours, délices et orgues’. Cela est courant encore à l’époque.

Louis montait au ciel; son frère sans défense, — 1824 (2)

Hippolyte Thomas Sonnets

Louis XVIII et Madame

Louis montait au ciel; son frère sans défense,
Loin de la tombe, hélas! où dorment ses aïeux,
Traînant de rois en rois une oisive espérance,
Sur des malheurs sans crime interrogeait les Cieux.

Partout du désespoir le douloureux silence!
Tel, dans la Grèce antique, un sort injurieux
De coupables remords effrayait l’innocence
Et dévouait Oedipe aux caprices des dieux.

Fille du roi-martyr, dans ces longs jours d’orages,
Devant l’éternité, cette mer sans rivages,
Tu dépouillas la gloire à l’ombre des autels!

Là, sous un deuil pieux, dans une vie austère,
Cultivant du Thabor la palme solitaire,
Ta vertu vengea Dieu du mépris des mortels.

Q8 – T15

De la gloire du Christ a grandi l’horizon. — 1824 (1)

Hippolyte Thomas Sonnets

C’est le premier exemple que j’ai trouvé, au dix-neuvième siècle, d’un livre de poésies, publié à Paris, ayant Sonnets pour titre et constitué entièrement et uniquement de sonnets. Il y en a 42, divisés en deux livres (20+22). De ce Thomas là, je ne sais rien et ne suis parvenu à rien savoir. Cinq ans avant le coup d’éclat tant vanté de Sainte-Beuve, il mérite de figurer ici, indépendamment de son talent, maigre.

Fénelon – A un jeune abbé.

De la gloire du Christ a grandi l’horizon.
Que j’aime Fènelon, ce prélat doux, facile,
Qui rajeunit l’Eglise au lait de l’Evangile,
Et console le coeur sans blesser la raison.

Il apprit l’Elysée à ma jeune saison:
Oui, l’homme est sans patrie où Dieu n’a plus asile;
Il meurt sans avenir, et la vertu fragile
Reduit au joug des lois sa stérile moisson.

En vain de ce bon prêtre on proscrit l’éloquence:
Il parle, et naît des Dieux l’infaillible espérance,
Où régnait du chaos le silence éternel.

Des secrets du chrétien sage dépositaire,
Il ramène la paix sur un front adultère,
Et l’athée à sa voix s’avoûrait immortel.

Q15 – T15

La mort de mon père est mon plus grand malheur — 1823 (2)

J.B. Gougé Le rossignol ; nouvelles chansons et poésies diverses (ed.1826)

Sonnet-acrostiche, en Bouts Rimés, formant un sens

La mort de mon père est mon plus grand malheur
Grand Dieu ! combien mon âme à cet arrêt suprême
Ose blâmer la Parque en voyant ma douleur
Ulcérer mon sujet de ma tristesse extrême.

Guide encore mes pas au chemin de l’honneur
Ecoute ma prière, accepte un diadème
Au printemps je viendrai t’apporter quelque fleur
Souvent avec amour je prîrai pour toi- même

O toi ! Soleil brûlant, adoré du païen
Ne souffre pas qu‘on souille un sépulcre chrétien
Protège les cyprès qui croissent près sa tombe

Entrailles de la terre, humains, nature, tout
Respectez sa dépouille : il faut que je succombe
En attendant la mort, je te pleure partout

«  gravé sur la tombe de mon Père à Chevilly (Loiret) en 1823 ». Le vers 1 n’ que 11 syllabes.

Q8  T14 acr b.rimé

—————————————————————————————————————————————

Le Trésor poétique dédié à Madame la Duchesse de Berri, contient plusieurs sonnets (du dix-septième siècle surtout)

—————————————————————————————————————————————-

jeune, tu nous offrais la rose près d’éclore — 1823 (1)

F(idèle) Delcroix Poésies

Sonnet du Tasse
Negli anni acerbi tuoi …

Jeune, tu nous offrais la rose près d’éclore
Qui timide, élevant son bouton virginal,
De sa verte prison s’échappe, et n’ose encore
Entr’ouvrir sa corolle au zéphyr matinal.

Ou mieux, tu ressemblais à la vermeille Aurore,
Qui, du jour aux humains donnant l’heureux signal,
Sous un ciel pur, sourit aux monts qu’elle colore,
Et fait briller les prés d’un liquide cristal.

Le Temps à ta beauté n’a fait aucune injure:
Une vierge, empruntant tout l’art de la parure,
A ton seul négligé le cèdera soudain.

Telle est, dans son éclat, la rose épanouie;
Tel encore, à midi, plus ardent qu’au matin,
L’oeil du jour étincelle à la vue éblouie.

Q8 – T14  – tr

De l’antique Sonnet les grâces surannées — 1822 (1)

Comte François de Neufchateau in L’Album, Journal des arts, des modes et des théâtres

Sonnet

Sur le genre du Sonnet même

De l’antique Sonnet les grâces surannées
L’ont presque fait bannir du Parnasse français
Les ballades aussi semblent abandonnées,
Et le Rondeau, lui seul, trouve encor quelque accés.

Hélas, je vis jadis, dans mes tendres années,
Le Sonnet plus en vogue, et j’y réussissais.
Des Bouts-Rimés gênants remplir les lois données
Ne fut qu’un jeu pour moi dans mes premiers essais.

Osè-je y revenir? c’est une rude tâche!
Mais voilà deux Quatrains: allons! point de relâche;
Ajoutons deux Tercets, et ce sera fini.

Contre un peu d’amour-propre on n’a point de défense:
Voyez! pour un Sonnet, je me crois rajeuni,
Ou pour dire encor mieux, je retombe en enfance.

Q8 – T14 – s.sur.s

Le thème est indiqué dans le titre. Il commence par les plaintes habituelles sur la décadence de la forme; puis se transforme, dans les tercets, pour rejoindre la variante traditionnelle du sonnet en train de s’écrire. L’histoire de cette variété curieuse de l’espèce sonnet est encore à faire. Je n’en connais pas d’italien; le premier recensé est espagnol, du milieu du seizième siècle (Diego Hurtado de Mendoza); il est passé ensuite en France, dans l’école de Voiture. La Fontaine en a transposé le principe à la ballade. (Le sonnet sur le sonnet du protestant Pierre Poupo (1590) n’appartient pas à la même sous-espèce, étant un poème sur l’art du sonnet).

Les miracles du Christ ont étonné Solyme, — 1821 (2)

Pierre Lamontagnede Lançon –  Sur le pardon que Monseigneur le Duc de Berry, en mourant, a accordé à son assassin

Sonnet

Les miracles du Christ ont étonné Solyme,
Et la Nature en lui voyait son Souverain;
Mais ses imitateurs, que son esprit anime,
Montrent de son pouvoir un effet plus certain.

Est-ce toi que j’entends, ô Royale victime!
Priant pour un coupable en mourant de sa main?
Tu veux que du cercueil où te plonge son crime,
Ta voix s’élève encor pour sauver l’assassin.

Ton coeur saisi du froid dont le trépas le glace,
Mais brûlant d’un feu pur allumé par la grâce,
Renouvelle les voeux par ta bouche exprimés.

Le chrétien qui pardonne alors qu’on l’assassine,
Fait bien plus reconnaître une vertu divine,
Que le soleil éteint et les morts ranimés.

Q8 – T15

La fille du soleil, sur un char de lumière, — 1821 (1)

Louis Bonnet (aîné) Poésies

La Bergère sur le point d’aimer. Sonnet.

La fille du soleil, sur un char de lumière,
Rougissait de ses feux les portes du matin:
L’étang réfléchissait un ciel pur et serein,
Et la reine des nuits achevait sa carrière:

Abandonnant déjà l’étable hospitalière,
Io des prés connus reprenait le chemin:
Déjà l’agneau paissant le cytise et le thym
Le long des clairs ruisseaux errait sur la bruyère:

Quand j’entendis ces mots  » D’où viennent mes douleurs?
D’où vient qu’au nom d’Hilas je sens naître mes pleurs?
Pourquoi suis-je sans lui triste, sombre et rêveuse?  »

Ainsi sans voir Hilas, ainsi parlait Iris.
« Aime, ma douce amie, et tu seras heureuse »,
Lui répond le berger  caché dans un taillis.

Q15 – T14 – banv

Dans l’ordre naturel de la création, — 1820 (7)

–  Lazare Carnot Opuscules Poétiques

LA RELIGION

Dans l’ordre naturel de la création,
L’homme est par sa raison au faîte du système:
Mais aux dogmes sacrés de la religion,
Il doit de s’élever au-dessus de lui-même.

Des êtres corporels quittant la région,
Son âme reconnait une essence suprême;
Et sentant qu’elle en est une émanation,
Son immortalité ne peut être un problême.

L’espoir en un Dieu juste est d’un peuple moral
Le trésor le plus pur, le lien social,
La consolation et le frein salutaire.

Mais l’hypocrite en fait un tissu de noirceurs,
Le superstitieux, l’objet de ses terreurs,
Le fanatique, un monstre inique et sanguinaire.

Q8 – T15

Quatre sonnets de Lazare Carnot terminent ce ce premier chapitre. (On remarquera, au vers 10 de 7, un bel hémistiche à deux diérèses). Pour l’écolier, autrefois, Carnot était ‘L’Organisateur de la Victoire’, la victoire des armées de la République sur celles des rois de l’Europe coalisée contre elle. Lisant aujourd’hui la passionnante biographie de Nicole et Jean Dhombres, on découvre le savant des Lumières, le mathématicien admirateur de d’Alembert, l’ingénieur, le penseur des canons, l’officier de l’Ancien Régime, le républicain, le conventionnel, le Montagnard, le survivant de Thermidor, du Consulat, le général de l’Empire, le proscrit de Magdebourg. On imagine sa rencontre avec Hegel, (qui n’a pas, hélas, laissé de traces autres que le fait qu’elle a eu lieu), le dialogue non de deux sourds mais de deux têtes pensantes éclairées de lueurs irréductiblement différentes.

On lit ces lignes écrites peu avant sa mort (1822), à l’annonce de la mort de Napoléon.  » J’ai été affecté plus que beaucoup d’autres peut-être par la grande éclipse dont vous me parlez . On ne voit pas sans émotion tomber un colosse. Mais je vous avoue que généralement en politique, les individus sont peu de choses pour moi. Je ne les considère que sous le rapport du bien et du mal qu’ils font à leur pays; et sans parler de ses désastres militaires, peu d’hommes ont exercé une influence plus funeste que Napoléon sur le sort de leur patrie, malgré les moyens prodigieux, un coup d’oeil perçant, un caractère inflexible, une âme forte et quelquefois magnanime.  »

Dans ses courtes dernières années, Il composa puis rassembla divers poèmes publiés en 1820 sous le titre Opuscules Poétiques du Général Carnot.

L’ouvrage contient 26 sonnets.