Archives de catégorie : Formule de rimes

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne — 1953 (1)

Luc EtienneTriptykhon

 » Avertissement – Il ne s’agit pas ici de poésie, mais de science. Les sonnets qu’on va lire ont pour unique objet de démontrer la proposition suivante.
Théorème: Quatorze rimes absolument quelconques étant données à l’avance dans un ordre déterminé, il est toujours possible d’écrire sur ces rimes un sonnet cohérent, respectant les règles de la métrique et traitant un sujet également donné à l’avance.
Mais à quoi sert cette démonstration? Elle ne sert à rien, et cette inutilité qui en fait la valeur scientifique: la vraie science est désintéressée.
Nous ne sommes pas de ceux qui rompent des lances en faveur de la Liberté de l’Art. Et simplement parce qu’on ne saurait en pareil exercice imposer trop de conditions aux paramètres du problème, nous pensons qu’il est élégant de s’astreindre à traiter le sujet donné, surtout s’il ne s’y prête pas, dans un esprit de discrète obscénité.
C’est du moins ce que nous avons cru devoir faire, dans l’innocence de notre cœur.
Rimes données: friponne, tabouret, minaret, harponne, carbone, furet, couperet, trombone, urinoir, entonnoir, bigote, fourrageur, redingote, voltigeur
Sujets donnés: I le PLAISIR II APOLOGIE DE LA GENDARMERIE III IMPORTANCE DES PONTS SUSPENDUS

I – Le plaisir
Le chef d’orchestre à la fille de bar

Ha! ha! c’est du plaisir que vous voulez, friponne
Veuillez descendre un peu de ce haut tabouret
Afin que mon engin, plus droit qu’un minaret
Tisonnant votre chair, vous fouille et vous harponne

Comme un pic de mineur creuse dans le carbone
Comme dans le terrier se glisse le furet
Ou comme dans la nuque entre le couperet
Ma coulisse entrera dans ton petit trombone

A pleins bords, mon superbe instrument d’urinoir
Saura te déverser, généreux entonnoir
La brûlante liqueur qui fait fuir la bigote

Cependant qu’au tempo du bâton fourrageur
Pour scander ton plaisir, mon pan de redingote
Sur mes fesses battra, papillon voltigeur

Q15 – T14  – banv – bouts-rimés

Deux quatrains, deux tercets, jamais plus, jamais moins. — 1952 (2)

Jean-Victor Pellerin Les aveux – LXIV sonnets –

L

Deux quatrains, deux tercets, jamais plus, jamais moins.
– D’aucuns alors de me traiter de maniaque,
D’autres d’aller jeter ce volume au cloaque,
Tous de prendre l’Olympe et Pégase à témoin!

Certains même, au grand cœur, de pleurer dans un coin,
Craignant que l’âpre tâche à laquelle je vaque
Ne m’épuise assez vite et qu’hélas je ne claque
Plus tôt que décemment il n’en serait besoin.

Allez, trop bons amis, bannissez toute crainte:
J’obéis dans la douleur aux sévères contraintes
Qu’impose à ses tenants la forme du sonnet.

Et point n’ai-je regret de me couvrir de honte
En osant rendre hommage à la muse d’Oronte,
– Et si je m’en repens, ce n’est qu’un tantinet.

Q15 – T15 – s sur s

Innover à tout prix, sans trêve, à chaque instant, — 1952 (1)

Jean-Victor Pellerin Les aveux – LXIV sonnets –


III

Innover à tout prix, sans trêve, à chaque instant,
Bousculer la métrique ainsi que la grammaire,
Condamner le durable au nom de l’éphémère,
C’est là suivre une mode – et c’est perdre son temps.

A quoi bon s’encombrer d’un nouvel instrument
Quand celui sur lequel ont excellé nos pères
N’attend que notre amour et notre savoir-faire
Pour vibrer de nouveau mélodieusement?

Le vieil alexandrin à la stricte césure
Peut aussi bien chanter que tel vers sans mesure
L’angoisse et la douleur des hommes d’aujourd’hui;

A nous de l’accorder au ton de nos poèmes,
A nous de l’inspirer, à nous d’être nous-mêmes
Et de l’aimer assez pour nous fier à lui.

Q15 – T15 fières paroles, mais fait rimer le singulier avec le pluriel ce qui aurait sans aucun doute horrifié ‘nos pères’

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal — 1951 (3)

Henri Durup in Gums

Les errants

Comme un vol de gerfauts hors du rocher natal
Fatigués de traîner leurs guêtres dans la plaine
De la place Maubert, Gumiers une soixantaine
Partaient ivres de raids héroïques et fatals

Ils allaient conquérir le farouche animal
Que Caucasse nourrit sur ses cimes hautaines
Et les dahus fuyaient de leur marche incertaine
Aux flancs mystérieux du monde occidental

Chaque soir attendant la bête satanique
Le voile opalescent de la Lune ironique
Enchantait leur sommeil d’un mirage doré

Et ponctuant un schuss d’une chute cruelle
Ils regardaient monter dans un ciel ignoré
Du fond de la poudreuse des étoiles nouvelles. »

Q15  T14  pastiche Alexandrins bien incertains

Or dans quelle ombre, à peine ouverte, — 1951 (2)

Henri de Lescoët Dix sonnets occultes

Nuit du 2 août 1947

Or dans quelle ombre, à peine ouverte,
Pointe un oiseau, s’engage un vers?
Le ciel mélange un cri pervers
Aux fils défaits des mains inertes.

Une vague qui pousse, perd
Ici la raison d’être verte.
Plus bas du vent qui déconcerte,
Au bord de l’oeil, plus près des chairs,

Comme le sang pensé, le rêve
Le temps altère aux divers coeurs
Les gestes vrais, la seule ardeur.

Quel vieux soupçon cependant crève
A travers le mot nu de froid
D’un jour, cent fois maudit, pourquoi?

Q16 – T30 – octo

L’attente aux pieds plats, aux orteils vastes — 1951 (1)

Armen Lubin Sainte patience

Nougats et fumées

L’attente aux pieds plats, aux orteils vastes
L’attente au bord de la route bêtement chaste,
L’attente aux oreilles diaphanes devant ces terres pelées
Que le temps ne débite pas, n’ayant pas su les morceler.

Nul signe de vie, aucune visite, rien de rien!
Ma cigarette qui fume dans la direction bleutée
Prouve que le ciel cède toujours d’un seul côté
Il cède du côté des rêves anciens.

Ah! que l’affaire des chevau-légers vienne sur le tapis.
Que l’affaire des roues de rechange vienne sur le tapis,
Et celle des barreaux de prison devenus nougats,

Sous l’action chaleureuse d’un feu de joie,
Qui n’est plus que le désir incandescent du prisonnier,
Le surplus de temps se déverse dans mon cendrier.

Q57 – T13 – m.irr

Rappelle-toi les longs métros sous le ciel gris — 1950 (3)

Henri Thomas Nul désordre

Hammersmith, hiver

Rappelle-toi les longs métros sous le ciel gris
Vers Ealing, et Soho dérisoire et magique,
(Notre beau chat, qu’est-il devenu? Famélique,
Il doit roder là-bas dans les jardins transis).

Le brouillard éclairé par la fenêtre basse,
La cendre amoncelée à la fin des veillées …
Il me semble, ce soir, que nos fantômes passent
Là-bas, en ce moment, dans la rue embrumée.

Ils parlent de la vie à venir, de l’été,
De la mer; le brouillard est semé de clartés;
Je suis heureux d’avoir ton bras contre le mien.

Ce roulement profond, c’est Londres dans la nuit.
Descendons les quelques marches – tu te souviens?
– Voici déjà bientôt dix ans qu’ils sont partis.

Q62 – T14

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise, — 1950 (2)

Henri Thomas Nul désordre

Victoria

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise,
Je suis monté dans un compartiment désert
(Ce Grec enfin lâché) du train qui roule vers
Londres. Fumons en paix la dernière Gauloise.

Celui qui reste pur, attentif, énergique,
D’une ville à venir sera le géomètre,
Elle vient, la voici, c’est la cité de briques
Eparse dans le noir pendant vingt kilomètres.

Gares disparaissant avant d’avoir un nom,
Visages éclairés par des feux de charbon,
Entrepôts interminables en contrebas,

Un bus! Il m’a peut-être garé l’an dernier;
Des éclairages verts. Voici mon ici-bas,
Spiritualisons-le, quartier par quartier.

Q62- T14

Médite, l’œil fixé sur ce centre, la mort, — 1950 (1)

Georges JuéryJeux de mots en enfer

Inscriptions gnomiques

Médite, l’œil fixé sur ce centre, la mort,
Attente de la vie et de quoi? de la mort.
Tu seras libéré quelque jour par la mort,
Mais tu voudrais te sentir libre avant la mort.

Devenir libre enfin, mais non grâce à la mort
Surmonte tout désir: c’est prévenir la mort,
C’est alléger la vie en couronnant la mort.
Suicidé vivant, sache vivre ta mort.

Soupir de délivrance à finir cette vie
Et regret déchirant d’être privé de vie,
Qu’on tienne à tant de maux à cause de la vie!

Ce clin d’œil qui se veut éternel, c’est la vie.
Quelle folle se croit raison de tout? la vie.
O fille du chaos, son héritière, ô vie!

aaaa aaaa bbb bbb a: mot-rime ‘mort’ – b:mot-rime ‘vie’ Résurgence imprévue d’une vieille variante du sonnet pétrarquiste, où les mots-rimes alternants sont vita et morte.

Mon Baudelaire aimé verse son Chant d’automne — 1947 (11)

Armand Godoy Sonnets pour l’aube

VII

Mon Baudelaire aimé verse son Chant d’automne
Dans celui qu’aujourd’hui va remplacer l’hiver,
Et je revois soudain la chère mer bretonne
Qui sut prendre mon cœur mieux que nulle autre mer.

A-t-elle reflété ces yeux dont m’abandonne
Parfois le souvenir ? et de quel univers
Seraient-ils revenus, par ce soir monotone,
Me dire s’ils étaient jadis bleus, noirs ou verts ?

Là-bas, l’arbre transi dépose sa couronne,
L’hirondelle est partie, et le gazon frissonne.
D’autres ailes, ailleurs, frôlent le ciel couvert.

Le lierre pâlissant s’accroche à la colonne
D’un vieux temple détruit, et l’Angélus résonne
Tendrement … Etaient-ils, ces yeux, bleus, noirs ou verts ?

Q8  T15  y=x :c=a & d=b