Archives de catégorie : Formule de rimes

De l’autre côté de la rue — 1948 (1)

Roger VitracPoèmes délirants


Sonnet paresseux

De l’autre côté de la rue
Dans la fenêtre illuminée
L’ombre d’une femme accoudée
Projette une grande ombre nue,

Sur le trottoir où je t’ai vue
Et combien de fois désirée
Quand tu passais ensoleillée
Sous une ombrelle disparue

Dans l’arbre flambant dans le soir
Comme un lustre dans ton miroir
Penche sur ta tête attentive

Sous la lune en tes yeux doublée
Comment saurais-je Inconsolée
De quel désir tu es captive

Q15 – T15 -octo

Oh que de douleur abonde — 1947 (8)

Mélot du Dy in Jean Paulhan, Dominique Aury – Poètes d’aujourd’hui

Oh que de douleur abonde
Pour ne point nous enrichir
Sous un crâne qui se bombe
A force de réfléchir.

Et bientôt de par le monde,
Je le dis en vérité
Il n’y aura que des monstres
Douloureux d’énormité.

Où qui préfère la simple
Assurance d’une guimpe
A tout autre gonflement?

Où le penseur aux mains vides
Qui jubile s’il avise
Un sein modeste et charmant?

Q32 – T15 – 7s

Sur l’éparse viande des morts — 1947 (7)

Roger Gilbert-Lecomte in Jean Paulhan, Dominique Aury – Poètes d’aujourd’hui

Formule palingénésique

Sur l’éparse viande des morts
Jetez la poudre des griffons
Pour que d’un cadavre en haillons
Naisse un fantôme dont le corps

Veuf de sang orphelin d’eau-mère
Se sculpte au sel marin des pleurs
Dont le cristal d’essence amère
Mime le nombre de la fleur

De la fleur-serpent de l’abîme
Fleur du soleil noir qui fascine
Fleur-vertige des mondes creux

Cette fleur par son cœur de perle
Etant la fleur de ce nouvel
Intersigne et spectre-de-sel.

Q62 – ccx yee – octo

Un châle méchamment qui lèse la frileuse — 1947 (6)

André Breton in Jean Paulhan, Dominique Aury – Poètes d’aujourd’hui

L’an suave

Un châle méchamment qui lèse la frileuse
Epaule nous condamne aux redites. Berger
Tu me deviens l’à peine accessible fileuse.
(A l’ordinaire jeu ce délice étranger)

Qu’aimablement la main dissipe tout léger
Nuage vers ce front où la mèche boucleuse
N’aspire, avec les brins de paille, qu’au danger
De lune! Ai-je omis la nymphe miraculeuse;

Icare aux buissons neigeuse, tu sais, parmi
Les douces flèches (l’an suave quel ami!)
Et, criblé de chansons par Echo, le silence

Que déjà ton souhait de plumes, n’oscillant
Pour se moquer de grèbe en paradis, s’élance
(Ah! quel ami c’est l’an suave!) au toquet blanc?

Q11 – T14

J’ai fini de trébucher: adieu les essais — 1947 (5)

Henri ThomasLe monde absent

Homo faber

J’ai fini de trébucher: adieu les essais
De l’âge ingrat, je foule allègrement la terre,
Je vais, robot sacré, dans ma propre lumière,
Ecoutant bourdonner mes rouages secrets.

Mon cœur a son déclic, mon sexe est une roue,
comme l’eau d’un moulin le sang la fait tourner,
éveil, et l’engrenage interminable joue,
le poème est parfois un graphique léger.

Oscillant dans le vent d’automne je m’avance,
par trois ou quatre feuilles mortes poursuivi,
le moteur est bercé par sa propre cadence.

Les tôles du fossé, lamentables débris
ont beau parler du grand déglingage final,
tranquille et composant chaque pas, je souris,

étant certain qu’un jour une flamme magique
ou logique consumera la mécanique

Q15 – cdc dxd + ee – 16v

C’est moi le démon des trains dans le noir, — 1947 (4)

Henri ThomasLe monde absent

C’est moi le démon des trains dans le noir,
je fais s’étonner l’ouvrière lasse
qui regarde les lumières du soir
scintiller, danser, virer dans l’espace.

Les wagons seront comme des dortoirs
pour la fièvre, pour les images basses,
je tisonne dans les cœurs, je veux voir
un vieillard nerveux qu’une femme agace,

un adolescent qu’une main réveille,
et j’adore quand cet enfant s’allume
au vampire qui lui parle à l’oreille.

O les profondes chuchotantes nuits!
et quand l’aube vient, couleur d’amertume,
reboutonnez-vous, voyageurs surpris.

Q8 – T24 – tara

Céleste Ki-Tan-Fô, délivre de la cangue — 1947 (3)

Claude VidalLe cheval double

…. Jose-Maria de Heredia
L’offrande chinoise

Céleste Ki-Tan-Fô, délivre de la cangue
Le très indigne Pouh, fils de Rhâ, fils de Lin,
Et prends ce vase ouvré dans le pur kaolin.
Il est entre mes mains comme l’or dans la gangue.

Du céladon fleuri coule un reflet exsangue
Sur le flanc translucide à l’émail opalin,
Et le Dragon de sang au mufle de carlin
Y déroule sa croupe et fait saillir sa langue.

J’ai sculpté dans le cèdre un socle précieux.
Du langage Kou-Wen que préfèrent les Dieux
J’ai peint sur ses côtés les sacrés caractères.

Vois, j’accroche un lampion bleu pâle à chaque bout
Du triple toit cambré surplombant de ses ptères
Ta pagode laquée aux lattes de bambou.

Q15 – T14 – banv

Sur les drymides verts et sur les blancs clistax — 1947 (2)

Claude VidalLe cheval double


Bonheur  près de l’Apurimac

Sur les drymides verts et sur les blancs clistax
volète un cnétocampe, étrange rubicelle
vivante, et qu’un cinabre artistement ocelle.
Mais dans un psathyra guette un calothorax.

Le beau trochillidé lance un cri de crécelle,
Lissant son rostre fin sur l’or de son thorax.
L’insecte, butinant aux grappes d’un styrax,
brusquement est saisi dans l’experte précelle.

Gourmand, le colibri déguste l’abdomen
d’abord. Le corselet, gras comme un cérumen,
se déchiquète alors mieux qu’avec des quenottes.

Puis, les six pattes. Puis, les deux ailes. Et quand
Il a tout avalé le bombyx urticant,
du grand air de « Louise’ il siffle quelques notes.

Q16 – T15

Don Ruy Gomez, vieillard en fraise d’organdi, — 1947 (1)

Claude VidalLe cheval double

Le livre est un livre de parodies. Ici parodie au second ordre: de Hugo au moyen d’une parodie de Georges Fourest

Hernani

Don Ruy Gomez, vieillard en fraise d’organdi,
sa cape s’enroulant à sa coliche marde,
horrible de triomphe, insolemment brandit
le curare espagnol où grince la Camarde.

Dogna Sol s’est dressée, et son regard se darde
vers le sénile amant. Sa croix d’or resplendit.
Pâle de la terreur de cette nuit blafarde
elle ose protéger son ténébreux dandy.

Mourir! voilà son choix, et non vivre en veuvage.
( Pensif, et maudissant son absurde servage
Jean d’Aragon se cabre et claque un peu des dents.)

Mais arrachant la fiole avec un cri sauvage:
 » Qu’il est amer! dit-elle en buvant le breuvage,
Le vieux aurait bien pu mettre un sucre dedans! »

Georges Fourest

Q8 – T15

Des croix basques décoraient la maison — 1946 (6)

Armen Lubin Le passager clandestin

Sanatorium dans les Hautes -Pyrénées

Des croix basques décoraient la maison
Où des choses élevées étaient en danger de chute.
Les poitrinaires ne pensaient qu’à leurs minces cloisons
Des leurs membres étendus amortissant les disputes.

Au milieu d’une jeunesse restée à l’état larvaire
Les outils nobles avaient été posés de travers
Et tout se refusait. Absence complète
Dans le sentier réservé au passage du prophète.

Mais le pays d’automne bruissait le soir
Lorsqu’une mésange sur une poitrine en dentelle
Se posait avec sa confiance intacte.

Délicates ondes et bondissantes goutelettes
Nous rassuraient sur les intentions réelles des Pyrénées
Déjà presque seraines par endroit,
La boite à outils devenait visible au sommet de l’Ararat.

Q58 – T exc – m.irr – 15v