Archives de catégorie : Formule de rimes

Après avoir morné tant de robustes piques — 1899 (11)

Laurent Tailhade A travers les grouins

Vieille dame

Après avoir morné tant de robustes piques
– Heureux vaincu de ce combat qui lui fut cher –
Et poussé dans le plus intime de sa chair,
« Les dragons chevelus, les grenadiers épiques »,

Ma tante Jean Lorrain signe le boniment
Coppéen par qui va fleurir la Paix almée:
Sans nul autre désir que prouver à l’Armée
Son amour en détail et collectivement.

Palpitant des viols subis avec ivresse,
Il imbibe les régiments de sa caresse,
Donne aux tringlots des noms de princes fabuleux.

Son coeur est grand ouvert à leurs jeux délétères,
Patriote comme chausson! Les cordons bleus
Et les vieilles catins aiment les militaires.

Q63 – T14

Elle laissa tomber près du lit sa chemise, — 1899 (10)

Jules MoulinRefuges

Quand même

Elle laissa tomber près du lit sa chemise,
Et m’apparut alors dans toute sa splendeur:
Superbe, elle m’offrait sa chair, Terre Promise;
– Je ne vis sur son front nul signe de rougeur.

Je l’avais rencontrée, au soir, dans une église.
Elle venait ainsi prier avec ardeur,
Chaque jour que Dieu fait, et c’était sans surprise,
Qu’elle avait accepté mon hommage et mon coeur.

Elle fut en tous points très bien, je dois le dire,
Et j’allais m’assoupir amplement satisfait,
Heureux d’avoir trouvé Sapho ‘Toute la Lyre »,

Quand je sentis glisser son corps qui m’étreignait:
A genoux, près du lit, je la vis très austère:
Elle avait oublié de faire sa prière!

Q8 – T23

– ‘ Depuis que les Titans, punis de leur outrage, — 1899 (9)

Léopold DauphinCouleur du temps

La Tour Eiffel vue de haut
à Alphonse Allais

– ‘ Depuis que les Titans, punis de leur outrage,
Se tordent aux Enfers, l’homme, quoique malin,
S’élève vainement:  il reste à son déclin,
Vaincu par l’anémie et veuf du fier courage.

Or, moi, monsieur Homais, je crie: au gaspillage!
Et blâme hautement notre impuissant Vulcain
D’avoir – pour nous forger ce chef d’oeuvre mesquin –
Mis le fer stimulant et tonique au pillage! ‘

Puis, cet avis donné, sagement, sans détour,
Le grand pharmacien, les lèvres dédaigneuses,
Triture au mortier ses drogues ferrugineuses

Et, sous le lourd pilon croyant revoir la Tour,
Suppute, l’oeil rêveur, les bienfaisants pécules
Qu’on aurait à rouler tout ce fer en pilules.

Q15 – T30

Les seigneurs blancs couchés dans leurs corsets de marbre, — 1899 (5)

Remy de Gourmont

Le soir dans un musée

Les seigneurs blancs couchés dans leurs corsets de marbre,
Larves que le soleil mène à l’éternité?
Ces colonnes vêtues de lierre comme des arbres,
Ces fontaines qui virent sourire la beauté?

Les évêques de cire à la mitre de cuivre,
Les mères qu’un enfant fait penser au calvaire,
L’angoisse de l’esclave, l’ironie de la guivre,
Diane, dont les seins se gonflent de colère?

Cette femme aux longues mains pâles et douloureuses?
Ces beaux regards de bronze, ces pierres lumineuses
Qui semblent encore pleurer un amour méconnu?

Non, soumis au désir qui m’écrase et me charme,
Je ne voyais rien dans l’ombre pleine de larmes
Qu’une main mutilée crispée sur un pied nu.

Q59 – T15 – m.irr

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres, — 1899 (4)

Paul RomillyMuse & Musette

Apostrophe

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres,
Suer sans repos, me battre les flancs,
Hanneton rêveur, pondre des vers blancs,
Denués de sens autant que les vôtres.

Vous m’auriez crié « Te voilà des nôtres! »
Dupes volontiers de mes faux-semblants.
Prêtres maladifs aux cultes troublants,
Vous l’auriez compté parmi vos apôtres.

Mais je ne veux pas de ces lâchetés.
Vos suffrages sont trop cher achetés:
J’écarte la main que vous m’alliez tendre.

Hiboux clignotant d’un oeil hébété,
Nous ne sommes pas faits pour nous entendre:
Vous préférez l’ombre, et moi la clarté.

Q15 – T14 – banv –  tara

Préface de G. Vapereau (auteur du Dictionnaire des Contemporains) – Après deux siècles environ de discrédit, notre génération littéraire a ramené, pour le sonnet, une ère de faveur et d’éclat. L’école romantique, se souvenant qu’il remonte, par delà le règne trop longtemps célébré des maîtres classiques, à l’époque moins démodée de la Renaissance, l’avait repris comme l’étendard de la Pléiade. On s’y est attaché pour les prétendues difficultés de sa forme, pour les contrastes de mots ou d’images que sa concentration met en relief, pour ses effets de prosodie, je dirai presque d’acoustique, pour ses harmonieuses sonorités! Quelques-uns l’ont adopté, sans prétention ni arrière-pensées, comme le cadre le plus favorable d’une noble idée et d’un sentiment délicat. Grâce à ces diverses aspirations, les sonnets se sont de nouveau multipliés, et plusieurs ont paru digne de survivre. Une pensée d’amour mystérieux et discret, dans le ‘sonnet d’Arvers’, a suffi pour sauver le nom et le souvenir d’un poète voué, sans cet éclair, à un entier oubli. D’autres, comme Joséphin Soulary, ont produit des sonnets avec assez de continuité pour en former ses recueils, et, malgré leur travail acharné de ciselure littéraire, ils ne survivent auprès de la postérité, qui a commencé pour eux, que par l’ingéniosité du trait et la délicatesse du sentiment. Quant aux prosodistes qui cherchent avant tout, dans le sonnet, le mérite de la difficulté vaincue, comme celui qui a fait l’un des siens en quatorze syllabes, ils réalisent des bizarreries sans intérêt, et, s’il reste un souvenir de leurs tours de force, on a bientôt oublié les noms des acrobates des lettres qui les ont accompli.
M. Paul Romilly n’est pas de ces derniers. Malgrè sa facilité à tourner la stance, quatrain ou tercet, il affranchit le sonnet de quelques-unes de ses puériles exigences; mais il ne cesse d’y voir ce petit cadre savant qui fait ressortir en pleine lumière la pensée ou le sentiment, augmente l’éclat ou nuance la grâce. ….

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet; — 1899 (3)

Paul RomillyMuse & Musette

Le sonnet

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet;
Je me laisse bercer à son rythme qui chante,
Que sa note résonne ironique ou touchante,
Nocturne rossignol ou joyeux sansonnet;

Et, comme quelquefois de l’air la chanson naît,
Il advient, écartant une rime méchante,
Que l’on fasse, d’un mot à tournure approchante,
Jaillir un sens nouveau qu’à peine on soupçonnait.

D’ailleurs, c’est à mes yeux l’habit qui fait le moine:
Un blanc dominicain plaît mieux qu’un gras chanoine;
Le flacon ciselé fait goûter la liqueur.

Enfin, sonnet galant, en ta forme que j’aime,
N’es-tu pas, mousquetaire, élégant et vainqueur,
Même avec des défauts, moins long qu’un court poème?

Q15 – T14 – banv – s sur s

Jadis je n’aimais point ce doux lit de Procuste — 1899 (2)

Joseph Serre Les sonnets intimes

Le sonnet

Jadis je n’aimais point ce doux lit de Procuste
Qui se nomme sonnet. Pourquoi meurtrir ainsi
La céleste pensée, en sa fraîcheur auguste,
Dans les mailles d’argent d’un filet rétréci?

Que ne la laisses-tu voltiger sans souci
Comme le papillon, grandir comme l’arbuste,
Comme l’aigle planer dans sa liberté fruste,
Loin des chaînettes d’or de ce cachot transi?

Mais non. Ce fut jadis au milieu des entraves,
Dans les chaînes d’airain, sur la croix des esclaves,
Que l’homme libre a pris son essor vers les cieux.

La douceur fait notre âme et plus vaste et plus fraîche,
Tu sors d’une prison, papillon gracieux.
Et l’Infini lui-même est plus grand dans la Crèche!

Q10 – T14 – s sur s

Une stèle de marbre au seuil d’un Bois Sacré — 1898 (23)

– Jean Royère L’exil doré

Epigraphe à Puvis de Chavannes

Une stèle de marbre au seuil d’un Bois Sacré
Portera dignemen ta mémoire, ô Poète ;
L’artiste y gravera ton nom et, sur le faîte,
L’indice matériel de ton rêve incréé.

Auprès du temple clair, par le soleil doré,
Les cieux te garderont une belle retraite,
Et, pour récompenser leur unique interprète,
Les Muses te voudront dans leur intimité.

Les déesses, tes sœurs, dans la paix souveraine,
Laveront ton autel des ondes d’Hippocrene
Et te couronneront d’harmonie et d’azur.

Et Phébus Apollon ornera ta statue
Des rayons éternes, ravis à l’éther pur
D’une extase céleste et jamais révolue.

Q15  T14 – banv

Dans les trompes d’argent, ô fanfares, sonnez ! — 1898 (22)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Sonnetistes, à l’œuvre !

Dans les trompes d’argent, ô fanfares, sonnez !
Qu’à vos bruyants appels ne résiste personne,
Car les épis sont mûrs et la moisson foisonne ;
Sonnetistes, à l’oeuvre ! Allez et moissonez !

Prenez tous votre essor, ô chantres des sonnets,
En rhythme éolien que le luth d’or résonne
L’essaim ailé des vers autour de vous frissonne,
Dans deux quatrains égaux l’un à l’autre enchaînés.

Au cliquetis joyeux de leur double cadence,
Secouant les grelots de la rime qui danse,
Les tercets accouplés chantent à l’unisson

Sonnetistes, laissez s’accoupler vos pensées,
Avec des nœuds de fleurs l’une à l’autre enlacées,
Et mariez toujours l’idée avec le son.

(J.B.Gaut)

Q15 T15  s sur s