Archives de catégorie : Formule de rimes

L’or des bandeaux, la fraise de la bouche, ces — 1889 (5)

Le Décadent

?

La caissière

L’or des bandeaux, la fraise de la bouche, ces
Bluets captifs aux rais adorables des cils,
Le jeu du doigt dompteur d’une boucle indocile:
Mais pourquoi ces brillants comme si ça poussait?

Neige des mains, braises des bagues et vos conques,
Ongles où meurt le carmin tendre des oeillets,
Et la lumière de la joue où sommeillait
Le rêve de ce clair visage un peu quelconque.

Quelconque un peu, mais si charmant et tant amène..
Lueur du front! Rythme du sein! Et pas de doute,
Rien de méchant sur ce visage tant amène…

Et ces purs doigts, ces yeux de songe, et toute, et toute!
C’est ton ciboire, ô soif d’un coeur épris d’hymen,
Ta chope aussi pour le régal de l’avoir Toute!

Q49 – T20 – Le vers 2 a une rime masc, le v.3 fem

« Nota – Voici des vers d’un de nos sympathiques et illustres amis, d’un des maîtres incontestés de l’Art moderne, que des circonstances indépendantes de sa volonté avaient tenu éloigné de nous. Tous les lettrés reconnaîtront sa marque sans seconde. « 

Je rêve d’être sous ton corps — 1889 (4)

Le Décadent

Jules Renard

Morvandelle

Je rêve d’être sous ton corps
Une barque fragile et neuve.
Tu ne vivras qu’entre mes bords
Plus solitaire qu’une veuve.

Tu tiendras toute entière en moi,
Car ma poitrine t’a saisie
Comme une prison; j’ai pour toi
De couler à ta fantaisie.

Ma rame bat avec langueur
Sur la mesure de ton coeur.
Puis, las d’amour, j’aurai la joie

Avec un simple tour de reins
De faire voir aux riverains
Comme une maîtresse se noie!

Q59 – T15 – octo

Il hurlait: « mon nombril est un chryzobéril, — 1889 (3)

Le Décadent

Métrophane Crapoussin (Georges Fourest)

Quatorzain pour aller à Bicêtre

Il hurlait: « mon nombril est un chryzobéril,
Mon corps est serti de feldspaths et d’argyroses
Ma couche est le pistil déhiscent d’une rose
Et c’est d’or pur que Zeus fit mon Membre Viril.

Mon père – clérical – et ma mère, l’étoile
Gamma du Petit Chien dorment sur le Liban
Et c’est pourquoi je hais l’infâme Caliban.
A quatorze ans, j’entrai chez un marchand de toile

Peinte. Ce gaillard-là ne fut qu’un propre à rien.
Nabuchodonosor! O quel assyrien:
Moi, j’ai des cornes d’antilope dans la bouche.

Gazelles d’Andrinople, aux Juillets pluvieux! »
– Or, comme il se taisait, le médeçin, un vieux
Rasé, dit au gardien: « qu’on le mène à la douche »

Q63 – T15

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre — 1889 (2)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

Remède

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre
Qui nous ronge le coeur, ainsi qu’un vieux remord?
Pouvons nous étouffer le doute qui nous mord,
Quand nous avons tout lu: la Nature et le Livre?

Pouvons-nous assurer le fier combat que livre,
En nous l’espoir vivace à la peur de la Mort?
Pouvons-nous espérer, vils esclaves du Sort,
Une autre liberté qu’un trépas qui délivre?

Pouvons-nous demander à l’exil un séjour
Où l’on oublie, au soir, les fatigues du jour?
Non, si notre esprit faible est ivre de matière;

Oui, si l’amour du Beau nous est toujours plus cher,
Si nous lui consacrons notre existence entière,
Oui, si l’extase nous affranchit de la chair.

Q15 – T14 – banv

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore, — 1889 (1)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

A Stéphane Mallarmé, au poète de l’azur et des fleurs, ce livre est dédié.
Le poème’, publication mensuelle – Cette publication a pour objet de donner chaque mois un poème inédit. Son but n’est pas de plaire au plus grand nombre, mais de satisfaire aux exigences littéraires d’une élite.
Je tente une épreuve difficile; j’entreprends une lourde tâche, lourde surtout parce qu’il me faut porter le poids d’un orgueil obligatoire. Au milieu du fracas de la mêlée humaine où tous les égoïsmes se confondent en un heurt furieux de combat, soldat dédaigneux de ma faiblesse et fort de mon courage, j’embouche la trompette à sonner l’idéal. S’il est des échos qu’ils en vibrent; s’il est des voix amies, qu’elles répondent.
Exilés, nous parlerons de la patrie absente; en des chants de gloire ou de tristesse, nous attesterons de la vitalité de nos âmes; et, guidés par nos aspirations divines, nous goûterons l’immense joie de marcher vers la réalisation de nous-mêmes.

25 mars 1889.
tirage à 500 exemplaires; n° 308

Suggestion

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore,
A la rose sanglante, au lys immaculé,
Que j’irai demander le symbole voilé
Qui, dans l’esprit voyant, te ferait vivre encore.

Je n’obtiendrais ainsi qu’un reflet incolore,
Auprès du clair soleil que tu m’as révélé.
Non, pour dire ta voix dont l’accent m’a troublé,
Je ne parlerai pas d’un chant doux et sonore;

Mais je rappellerai comment, devant la mer,
Devant la nuit sublime, après le jour amer,
Et devant toi, mon coeur goûta la même extase.

Alors, on te verra dans le sentiment pur,
Dans la Forme soustraite au Réel qui l’écrase,
Plus loin que le regard et plus haut que l’azur.

Q15 – T14 – banv

Tes doigts sont merveilleux ! leur moindre mouvement — 1888 (35)

?

Le décadent

Indue mutation

Tes doigts sont merveilleux ! leur moindre mouvement
Fait sourdre sur ma peau des sons comme des sources.
Toute part de mon être imite un instrument :
Viole ou musette un peu charmeuse des Ourses.

Les boules d’or de mes bras bruns ont l’agrément
Des piastres sonnant clair dans les mailles des bourses
Et même je détiens, quelque part, les ressources
De la flute où s’abouche un rêve, goulument.

Le clavier de mes dents sait l’air qu’on se recorde
Et mon ventre en façons de lyre tétracorde
S’enfle et s’abaisse avec des bruits délicieux.

Parfois en éructant le gravier roux des tombes
Quand l’aube rose étend son linge pâle aux cieux
Je claironne, effarant l’essaim fin des colombes
(Arthur Rimbaud (sic))

Q9  T14

Très rousse, aux longs yeux verts damnablement fendus!… — 1888 (34)

– Théodore Hannon Rimes de joie

Sonnet biblique

Très rousse, aux longs yeux verts damnablement fendus!…
Je la suivis chez elle, et bientôt, sans chemise,
Sur mon lit de bataille elle se trouva mise,
Offrant à mes ardeurs tous les fruits défendus.

Le chignon inondait de sa fauve avalanche
Le torse aux grands prurits de cette Putiphar ;
Le nombril incrustait sa fleur de nénuphar
Aux lobes de son ventre : un gâteau de chair blanche.

Ses tétins étaient d’ambre effilés de carmin
Et tenaient tout entiers dans le creux de ma main,
Elle entr’ouvrit le centre unique où tout converge…

Son poil roux brasillait de flambes me dardant…
– Moïse, c’est à vous, dans ce buisson ardent,
Que je songeais, frappant le doux roc de ma verge!

Q63 – T15

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre — 1888 (33)

Paul-Jean Toulet in Oeuvres complêtes

sonnets exotiques, III
à l’âme de Dumollard

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre
Où la cupide Mort met ses joyaux de prix,
Où les corps tant aimés par son ombre surpris
Gardent encor leur grâce en perdant la lumière.

Amant inassouvi des chairs de cimetières,
Consolateur des morts, toi seul plein de mépris
Pour les corps où le sang met son tendre pourpris,
Tu gardais tes baisers aux pâleurs de la bière.

Je voudrais bien savoir, poète méconnu,
Ceux que tu préférais de ces corps mis à nu:
Le linceul soulevé de la vierge encor fraîche

Ou la chair trentenaire et que mûrit l’amant
Et que mûrit la mort encore plus savamment,
Très molle avec des bleus, comme une vieille pêche?

Q15 – T15

Mais lorsque MataMoréas — 1888 (32)

Jean Ajalbert in Le Figaro

« Un de nos spirituels auteurs explique le style bistourné des symbolo-décadents par ce fait qu’ils écrivent de la main gauche. Le duel morganatique de cette semaine prouvent qu’ils se battent de la même. Il s’agit du combat – singulier – entre le barine Rodolphe Darzens (de Carcassonne) et le klephte Papadiamantaupoulos dit: Jean Moréas (de Clichy-la-Garenne). Combat motivé par une altercation survenue à la Nouvelle-Athènes. Ce dernier réclamait l’épée – de Damoclès; mais on ne put s’entendre sur le choix de la couleur du cheveu. La rencontre a donc eu lieu avec de vulgaires épées, chez M. Fleuret, propriétaire à Villèle – près Médan.  »

Mais lorsque MataMoréas
Dans les bois fleuris de Villèle,
En grave danger se vit l’aile,
Le monocle ou le pancréas,

Se souvenant que chez Zola
Il est attendu, que c’est l’heure,
Avant que le fer ne l’effleure,
Pense à y mettre le holà!

Alors avec calme, il écarte
Le redouté contre de quarte
De son adversaire anormal

– Qui sérieusement l’agresse –
Et, nouveau sage de la Grèce,
Dit: VOUS ALLEZ ME FAIRE MAL!

Q63 – T15 – octo

L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir, — 1888 (31)

Alfred Jarry Ontogénie

Misère de l’homme, I

L’homme est seul, l’homme est faible. Il doit, pour se nourrir,
Asservissant le sol aux moissons réfractaire,
Diriger la charrue et cultiver la terre,
Sinon, le pain lui manque, et l’homme doit mourir.

Il ensemence un champ, et le blé salutaire
Germe dans les sillons qu’il commence à couvrir.
Mais le soleil ardent fane et fait se flétrir
Chaque épi mûrissant, qui se courbe et s’altère.

Ou la grêle s’abat et fauche la moisson;
Ou la gelée arrive, et suspend un glaçon
A chaque grain de blé qui tremble au bout du chaume.

Tout est perdu, tout est anéanti. Mais l’homme,
S’il ne meurt de la faim, trouve la mort auprès
Des fauves monstrueux qui hantent les forêts.

Q16 – T13