Archives de catégorie : Formule de rimes

Dans les roseaux le printemps se balance. — 1970 (1)

Lanza del Vasto Le Viatique, II


Printemps sur le marais

Dans les roseaux le printemps se balance.
Par-dessus les buissons, sur l’étang plat
La nue est plate avec de blancs éclats,
Le vent se lève et retombe en silence.

Le pas est mou, dans les joncs emmêlés,
Le sol mouillé, jetant sous les chaussures,
Un cri d’oiseau, glisse à la pourriture,
Un brouillard vêt les saules mutilés.

L’étang est plat, l’air veuf de voix humaines
Même de cloche, et sans une félure,
Et le regard à nul arbre ne mène

Nous marchons vite et cherchons les vrais champs
Car le printemps est mort ici: nature
Chante en ces lieux toute seule son chant.

Q63 – T24 – déca

Avec ces mots choisis, ces points de suspension — 1969 (10)

Thiéri Foulc Vingt écrits

L’aigrefin

Avec ces mots choisis, ces points de suspension
Qui ne signifient rien peut-être, ou pas grand chose,
Mais qu’en industrieux plein de ruse il dispose
Pour feindre de poser des interrogations,

Il joue à extirper des abominations
Qui aient l’air de saigner au cœur papier des roses
Et à clamer des whâââh qui sonnent grandi-oses
Mais sont bulles de l’âme et de l’élocution.

Sa machine à écrire est l’outil qui perpètre
Ses voltiges dorées dans les tringles de l’être
Avec complicité des jolis circonflexes.

Mais il se peut qu’un jour une tringle se casse …
« Retour-arrière ! x,x ! » il en périra presque,
Empêtré qu’il sera dans ses lignes – vraie nasse !

Q15  T20  Les titres des 20 sonnets de la plaquette sont des variations sur le titre général : ça vous fait mal que j’écrive, hein ?Le nègre vintLe vin aigre ….

C’est donc au tout-profond que (points de suspension) — 1969 (8)

Thiéri Foulc Vingt écrits

L’écrit vain

C’est donc au tout-profond que (points de suspension)
Il y a (point, point,point) peut-être quelques chose,
Mais je ne sais (point, point, ouvrez la parenthèse)
(Ou bien(deux points) : ne veux ? (point d’interrogation)

Ou extirper crûment l’a(vraie)bomination,
Faire gicler le sang dans le cœur de ma rose,
Dire (point, point, pâté, tache) ce que nul n’ose,
Caillou au fond de l’âme & de l’élocution.

Ô machine à taper, accents, chiffres & lettres,
Râclage du chariot dans les tringles de l’être,
Encre qui dérubanne un vol de circonflexes,

Pages, lignes lancées (espace,espace, espace)
Retour arrière, x, x, : méditation perplexe :
Papier, tout est papier (point, point, point) quoi qu’on fasse.

Q45  T14

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère. — 1969 (7)

Joseph Djirian Kaléidoscope

L’écume

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère.
Calme, calme la mer d’un bleu étourdissant,
Teinté par le soleil ; elle brasse le sang ;
Et mon âme s’émeut d’un parfum d’éphémère.

L’instant ce n’est qu’écume éjectée en dentelles
Qui se répand comme l’heur entravé. L’ardeur
De s’exalter ainsi que ces flots en fureur
Se pourchassant, hélas !, mais sans croiser leur zèle.

Tout bouillonne à souhait dans ce chaos sans bornes.
Ses crêtes se touchant, la frange qui les borne
Tisse le pavillon d’un royaume inconnu

Disputé par les flots. Illusion solitaire
Où baigne ma vigueur, qui teinte à son insu
L’élan fallacieux que la vie exaspère.

Une trouée en l’eau, la colombe s’immole
Quand d’ériger dessus, mon âme se console.

Q63  T14  -ff    16v

Ainsi suis-je le riche qu’une sainte clé — 1969 (6)

Jean Rousselot ShakespeareSonnets trad.

52

Ainsi suis-je le riche qu’une sainte clé
Peut conduire à son doux trésor bien enfermé,
Lequel il ne va pas regarder à toute heure
De craindre d’émousser l’aigu de son bonheur.

Si les fêtes sont solennelles et prisées,
C’est qu’au long cours de l’an rarement elles viennent;
Comme pierres de prix, elles sont espacées,
Ou bien, dans un collier, les joyaux capitaines.

Ainsi le temps où êtes clos dans ma cassette,
Comme en la garde-robe une robe est cachée,
Fait, d’un instant à part, particulière fête,

En libérant cette splendeur emprisonnée.
Soyez béni, vous si parfait que vous donnez:
Présent, à triompher; absent, à espérer.

Q56 – T23 – disp: 4+4+4+2 – tr

Un corps noir tranchant un flamant au vol bas — 1969 (5)

Georges PerecLa disparition

d’un compagnon d’Oulipo

La disparition

Un corps noir tranchant un flamant au vol bas
un bruit fuit au sol (qu’avant son parcours lourd
dorait un son crissant au grain d’air) il court
portant son sang plus loin son charbon qui bat

Si nul n’allait briller sur lui pas à pas
dur cil aujour’d’hui plomb au fil du bras gourd
Si tombait nu grillon dans l’hors vu au sourd
mouvant bâillon du gris hasard sans compas

l’alpha signal inconstant du vrai diffus
qui saurait (saisissant (un doux soir confus
ainsi on croit voir un pont à son galop)

un non qu’à ton stylo tu donnas brûlant)
qu’ici on dit (par un trait manquant plus clos)
l’art toujours su du chant-combat (noir pour blanc)

Q15 – T14 – 11 s – Lipogramme en ‘e’

Amants brûlants d’amour, savants aux pouls glaciaux — 1969 (4)

Georges PerecLa disparition

Nos chats

Amants brûlants d’amour, savants aux pouls glaciaux
Nous aimons tout autant dans nos saisons du jour
Nos chats puissants mais doux, honorant nos tropots
Qui, sans nous, ont trop froid, nonobstant nos amours.

Ami du Gai Savoir, ami du doux plaisir
Un chat va sans un bruit dans un coin tout obscur
Oh Styx, tu l’aurais pris pour ton poulain futur
Si tu avais, Pluton, aux Sclavons pu l’offrir!

Il a, tout vacillant, la station d’un hautain
Mais grand Sphinx somnolant au fond du Sahara
Qui paraît s’assoupir dans un oubli sans fin;

Son dos frôlant produit un influx angora
Ainsi qu’un diamant pur, l’or surgit, scintillant
Dans son noir nictitant divin, puis triomphant.

Un fils adoptif du Commandant Aupick.

Q60 – T23 -lipogramme en ‘e’

A noir (un blanc), I roux, U safran, O azur : — 1969 (3)

Georges PerecLa disparition

Trois sonnets lipogrammatiques en ‘e’; les deux premiers des traductions en ‘français sans ‘e’.


Vocalisations

A noir (un blanc), I roux, U safran, O azur :
Nous saurons un jour dit ta vocalisation:
A, noir carcan poilu d’un scintillant morpion
Qui bombinait autour d’un nidoral impur,

Caps obscurs; qui cristal du brouillard ou du taud,
Harpons du fjord hautain, rois blancs, frissons d’anis?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu’un lis
Dans la punition d’un courroux, d’un sanglot;

U, vibrations, ronds divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d’animaux, paix du fin
Sillon qu’un fol savoir aux grands fronts imprima;

O, finitif Clairon aux accords d’aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvana;
– O l’omicron, rayon violin de son Voir

Arthur Rimbaud.

Q63 – T14 lipogramme en ‘e’

Aller chercher au fond des mers les trésors piratés — 1969 (2)

Raymond QueneauFendre les flots


Aller chercher au fond des mers

Aller chercher au fond des mers les trésors piratés
aller chercher au fond des mers les perles noires immenses
aller chercher au fond des mers les algues enrichissantes
aller chercher au fond des mers les coquillages contournés

aller chercher au fond des mers les rares substances
aller chercher au fond des mers les poussières balayées
aller chercher au fond des mers les feuilles volantes
aller chercher au fond des mers l’eau des fleuves asséchés

aller chercher au fond des mers les raretés lyriques
aller chercher au fond des mers les mots hyperboliques
aller chercher au fond des mers les débris des saisons

aller chercher au fond des mers les monstres épiques
aller chercher au fond des mers les secrets clastiques
c’est ce qu’on peut fait en vain ou bien avec raison

abb’a bab’a – T6 – m.irr

Il ne faut pas siffler entre ses dents la nuit — 1969 (1)

Raymond QueneauFendre les flots


La voie du silence

Il ne faut pas siffler entre ses dents la nuit
on risque d’attirer à soi une sirène
voilà un fait divers qui en ferait du bruit
il vaut bien mieux se taire et tenir son haleine

en longeant le rivage au bas de la falaise
il ne faut pas non plus proférer quelque cri
on risque d’attirer à soi la terre glaise
s’écroulant du sommet entraînant les débris

de quelque château fort en sa période ultime
il ne faut pas non plus en ce lieu maritime
imiter de la bouée un triste beuglement

on risque d’attirer à soi l’infirmerie
et de se voir jeter en un puits de folie
il vaut bien mieux mugir silencieusement

Q59 – T15