Archives de catégorie : Formule de rimes

Cette fois, je ne puis vous écouter sans rire. — 1883 (23)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Une fille à un vieux

Cette fois, je ne puis vous écouter sans rire.
Continuez, très cher, vous avez de l’esprit
Qui dans votre cerveau de soixante ans fleurit
Comme au sein d’un poète éclorait une lyre.

Vous m’appelez sirène, et vous osez me dire,
Vous, vieillard impuissant, usé, blasé, flétri,
Fruit rongé par les vers ainsi qu’un fruit pourri,
Que pour mes yeux, ce qui vous sert de cœur soupire.

C’est vraiment à se tordre ! et vous pensez que moi,
Jeune, jolie encor, dans Paris faisant loi,
Ayant toutes mes dents pour croquer les fortunes,

J’irai vous adorer …. – Ah ! tais-toi donc, mon vieux,
Si je couche avec toi, ce n’est pas pour des prunes,
C’est que tu passes pour un miché sérieux.

Q45 ? (‘esprit’ ne rime pas avec ‘flétri’) T14

Je vous ai parcourus, bords aimés de l’Isère, — 1883 (20)

L.Rémy Simple passe-temps

Auprès des Alpes

Je vous ai parcourus, bords aimés de l’Isère,
J’ai contemplé souvent, à l’aube printanière,
Cette onde qui mugit aux pieds des hauts sommets
Où s’égare notre oeil, sans se lasser jamais.

Fronts neigeux de géants dont la tête altière
Se cache dans les cieux, miroirs où la lumière
Des astres nuit et jour étincelle en reflets,
Eternels Glaciers que les pas inquiets

Du mortel n’ont osé fouler, et ma pensée
Contemplant de si haut le néant infini,
De l’être dont l’orgueil est chaque jour grandi,

Et l’immense bonté, l’insondable grandeur
De Celui qui prodigue au monde sa splendeur,
Je me suis écrié: l’homme est une fumée!

Q1 – T35 – Formule des tercets, cdd eec, très rare et ne respectant pas la règle d’alternance.

Il siège au coin du feu, les paupières mi-closes, — 1883 (19)

Hippolyte Taine Douze sonnets sur les chats

A 3 chats, Puss, Ebène et Mitonne, … ces douze sonnets sont dédiés par leur ami, maître, et serviteur

IV
Les souvenirs

Il siège au coin du feu, les paupières mi-closes,
Aspirant la chaleur du brasier qui s’éteint;
La bouilloire bouillonne avec des bruits d’étain.
Le bois flambe, noircit, s’effile en charbons roses.

Le royal exilé prend de sublimes poses;
Il allonge son nez sur ses pieds de satin;—
Il s’endort, il échappe au stupide destin,
A l’irrémédiable écroulement des choses.

Les siècles en son coeur ont épaissi leur nuit,
Mais au fond de son coeur, inextinguible, luit
Comme un flambeau sacré, son rêve héréditaire:

Un soir d’or, le déclic empourpré du soleil,
Des fûts noirs de palmiers sur l’horizon vermeil,
Un grand fleuve qui roule entre deux murs de terre

Q15 – T15

Il est, dit-on, un puits éternellement vide, — 1883 (18)

René de Labry Premiers et derniers poèmes

Les Danaïdes

Il est, dit-on, un puits éternellement vide,
Un puits où l’on versa, sans pouvoir le combler,
Des flots qui, nuit et jour, ne cessent de couler,
Et qui, jamais rempli, sera toujours aride.

Les Anciens le plaçaient dans l’empire des morts,
Moi, j’en sais un second plus sombre et plus aride
Que celui qui verra la triste Danaïde
Jusqu’à la fin des temps se pencher sur ses bords.

Celui-là, c’est mon coeur: morne et désespérée,
La pâle passion dans le gouffre sans fond
Epanche chaque jour son flot large et profond,

Sans étancher la soif de mon âme altérée,
Et sans qu’il reste rien dans l’abîme béant,
Que l’implacable oubli, frère aîné du néant.

Q52 – T30

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune — 1883 (17)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

L’homme d’Etat

Là-bas, dans la tiédeur et la lumière brune
De l’alcove où l’air âcre aigrit les odorats,
Un cul parlementaire enfle l’ampleur des draps,
Et large s’arrondit comme une pleine lune.

Dans les fesses qu’il fit, Rubens n’en fit aucune
De majesté plus noble et de contours plus gras;
Obéron ne saurait le tenir dans ses bras,
Et Vénus Callipyge en garderait rancune.

Si vertueux qu’on soit et malgré la pudeur,
Rien qu’à voir cette ferme et virile rondeur,
On sent lever en soi des désirs monastiques.

On contemple: on voudrait; et le rêve mutin
Flotte alentour, avec des langueurs extatiques;
Cependant que le cul chante un hymne au matin.

Q15 – T14 – banv

Madame, vous avez une tête de mort. — 1883 (16)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Madrigal
Sonnet.

Madame, vous avez une tête de mort.
Votre front vaste et jaune et votre face glabre
Vos pommettes que l’âge ossifie et délabre
Vont me hanter la nuit, comme hante un remords.

Quand votre bouche rit, soupire chante ou mord,
Le triangle effrayé de votre nez se cabre,
Et le reflet vitreux d’une danse macabre
Tremble en vos yeux falots où sommeille la Mort.

Sur un ventre fumeux que ravinent les rides,
Vos seins pendants et longs comme deux gourdes vides
Balottent flasquement au moindre de vos pas;

Et Satan aurait peur de s’écorcher la langue
Si Vénus lui prêtait, pour y planter son cas
Le sourire tanné de votre vulve exsangue.

Q15 – T14 – banv

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître, — 1883 (15)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Voeu

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître,
Ce n’est point aujourd’hui le coït impuissant
Qui fouille un peu de chair et verse un peu de sang
Au bord d’une blessure où sa langueur pénètre.

Je veux, ô femme entrer tout entier dans ton être:
Il hurlera d’amour, ton ventre bondissant,
Comme hurle, trop pleine, une mère qui sent
L’effort intérieur d’un géant qui va naître.

C’est mon rêve: Je veux dans ton torse en débris,
Sentir mes os broyés et mes muscles meurtris
Sous les spasmes vengeurs de ta chair envahie.

Et dans le rut suprême et ses derniers élans,
Je veux pour féconder ta vie avec ma vie,
T’éjaculer mon âme et mourir dans tes flancs!

Q15 – T14 – banv

Source vénérienne ou vont boire les mâles! — 1883 (14)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

La Source

Source vénérienne ou vont boire les mâles!
Fissure de porphyre où frise un brun gazon,
Qui, fin comme un duvet, chaud comme une toison,
Moutonne dans un bain de senteurs animales.

Quand un homme a trempé dans tes eaux baptismales,
Le désir turgescent qui troublait sa raison
Il en garde à jamais la soif du cher poison
Dont s’imprègne sa peau dans ses lèvres thermales.

O Jouvence des coeurs! Fontaine des plaisirs!
Abreuvoir ou descend le troupeau des désirs
Pour s’y gorger d’amour, de parfums & d’extase.

Il coule de tes flancs, le nectar enchanté.
Elixir de langueur, crême de volupté …
Et pour le recueillir, nos baisers sont des vases!

Q15 – T15