Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Quand la pêche a rempli sa hotte et ses filets, — 1832 (4)

Fulgence Girard Keepsake breton

Spleen

Quand la pêche a rempli sa hotte et ses filets,
Le mareyeur lassé regagne le rivage,
Fait sécher au soleil sa seine sur la plage,
Et puis, en attendant le soir, s’endort auprès.

Une fois qu’il arrive au terme de sa course,
Sans attendre en marchant la chute de la nuit,
Le voyageur s’arrête, et dans l’eau d’une source,
Délasse, en les lavant, ses pieds, … et tout est dit.

Je les imite moi: que m’importe si l’ombre
Sur ma tête inclinée étend son crêpe sombre,
Ou si dans son midi mon soleil luit aux cieux?

Comme eux, j’ai parcouru la traite de la vie,
J’ai souffert, j’ai pleuré: ma tâche est accomplie;
Mon salaire est gagné; je veux dormir comme eux.

Q62 – T 15

Les rimes du deuxième quatrain sont ici différentes de celles du premier, normalement embrassées: abba  a’b’a’b’ . Exemple de violation de ce que Gautier (par exemple) désigne comme ‘règle de la quadruple rime’ (chaque rime des quatrains doit y figurer quatre fois). Contrairement aux affirmations péremptoires de mr Graham Robb, ce n’est nullement Baudelaire qui a introduit le sonnet ‘libertin’ dans la poésie française du 19ème siècle

v.3 : ‘seine’ –Terme de pêche. Sorte de filet qu’on traîne sur les grèves. ; il a souvent un sac dans son milieu. (d’après HN : Héloïse Neefs : les disparus du Littré)

Silence. Taisez-vous, éternels discoureurs! — 1832 (3)

A. Mathieu dans l’Almanach des Muses

Sonnet.
Belgique, 29 février 1831

Silence. Taisez-vous, éternels discoureurs!
Comment sonder le fond de cet abîme immense?
Si la guerre civile en un état commence,
Qui peut marquer son terme et prévoir ses horreurs?

Mais quand un peuple entier bondit comme en démence
Quand hurlent des combats les cris avant-coureurs
Heureux qui des vertus conservant la semence,
Reste pur, comme avant, des coupables erreurs!

Sans parti jusqu’ici dans ces partis extrêmes,
Toujours, ô mes amis! Cloîtrons-nous en nous-mêmes;
Marchons enveloppés dans un même manteau.

Pour ce duel effrayant que le sort nous apprête,
Qu’importe, si la mort a marqué notre tête,
Que le brave ait un glaive et le lâche un couteau?

Q17 – T15

synérèse de ‘duel’ (v.12)

Blâmeras-tu, Philis, l’audace de ces vers … — 1832 (2)

Léger Noël Mes premières amours

A Philis

Blâmeras-tu, Philis, l’audace de ces vers …
Tu peux les lire, au moins, sans que ton front rougisse.
Je ne viens point pleurer sur un bien que je perds;
Et ton bonheur m’arrache un cruel sacrifice.

Quoiqu’en proie à l’amour, et captif dans tes fers,
Ne crains plus que mon coeur t’expose mon supplice;
Si de mes maux encor il faut que je gémisse,
Mes larmes couleront dans l’ombre des déserts.

J’ose te demander ton immortel suffrage.
Tu me tins lieu de muse; Amour fut l’Apollon
Qui conduisait mes pas dans le sacré vallon,

Sur les bords d’Hippocrene, au pied de l’Hélicon,
Tu m’inspiras ces vers; et je t’en dois l’hommage;
Daigne d’un doux sourire accueillir ton ouvrage.

Q9 – T31

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile, — 1832 (1)

J-B. Claray de Crest-VollandSonnet … à M. C.L. Mollevault

Poëte ingénieux, ta muse, au vol agile,
De la double colline a franchi les hauteurs.
Anacréon, Properce, et Tibulle, et Virgile
Revivent dans tes vers, applaudis des lecteurs.

Tu ne cueillis jamais une palme fragile;
Le mérite t’appelle au trône des auteurs;
Tant que vivra le goût sur ce globe d’argile,
Nos neveux rediront tes accords enchanteurs.

C’est à toi d’emboucher la trompette héroïque,
De chanter un grand roi, philosophe stoïque,
Qui fit régner Minerve où régnait le Dieu Mars.

Dans un hameau charmant, moderne Lucrétile,
Où tu sais marier l’agréable à l’utile,
Tu consacres ta vie au culte des beaux-arts.

Q8 – T15 – y=x : e=a

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ; — 1831 (4)

Charles Lassailly in L’Almanach de Muses

Hommage

A toi, qui descendis, jeune encor, dans l’arène ;
Méprisant le vulgaire aveugle et ses bravos,
Loin de l’ornière antique où la foule se traîne,
D’une gloire précoce étonnes tes rivaux ;

A toi que, tout enfant, une belle marraine
Initiait en songe à des secrets nouveaux ;
A toi, dont le génie est un cheval sans rêne,
Car une voix t’a dit : Je sais ce que tu vaux !

A toi, qui juge seul le conquérant avide
Dont la chute ébranla son siècle encore vide.
A toi qui pouvais prendre un glaive au lieu d’un luth ;

Puis à toi, qui chantas tes chants comme un prophète,
Avec son dieu qui parle, à toi, le grand poète ;
A toi qui seras roi, Victor Hugo, Salut !

Q8  T15

Si des siècles mon nom perce la nuit obscure, — 1831 (3)

Alfred de Vigny (d’après l’éd. Pléiade)

Si des siècles mon nom perce la nuit obscure,
Ce livre, écrit pour vous, sous votre nom vivra.
Ce que le temps présent déjà tout bas murmure,
Quelqu’un dans l’avenir, tout haut le redira.

D’autres yeux ont versé des pleurs, une autre bouche
Dit des mots que j’avais sur vos lèvres rangés,
Et qui vers l’avenir (cette perte nous touche)
Iront de voix en voix moins purs et tout changés.

Mais qu’importe! – après nous ce sera peu de chose;
La source en jaillissant est belle, et puis arrose
Un désert, de grands bois, un étang, des roseaux.

Ainsi jusqu’à la mer où va mourir sa course.
Ici destin pareil. Mais toujours à la source,
Votre nom bien gravé se lira sous les eaux.

Q59 – T15

Dédicace manuscrite d’un exemplaire de sa pièce La Maréchale d’Ancre à Marie Dorval

Sur le ciel bleu du soir où l’étoile étincelle — 1831 (2)

Théodore Carlier – in Annales Romantiques

A une jeune fille

Sur le ciel bleu du soir où l’étoile étincelle
Jamais le pâle éclair ne traîne de lueur;
Jamais, ô belle enfant, la rêveuse douleur
Sur un front de quinze ans n’ose poser son aile.

Et pourtant sérieuse, à vos yeux infidèle,
Fuyant, comme un témoin, cette bruyante soeur
Dont le rire enfantin poursuit votre rougeur,
Vous allez aussi douce, aussi naïve qu’elle,

Retrouver votre mère et lui dire en pleurant,
Que l’on souffre beaucoup alors qu’on a quinze ans.
Oui, certes, vous souffrez, car votre regard brille;

Oui, certes, vous souffrez, car votre sein de lis
Palpitant sous la robe en enfle tous les plis;
Oui, vous souffrez … qui donc aimez-vous, jeune fille?

Q15 – T15

On dit que sur le roc où le grand empereur, — 1831 (1)

J.J. Hosemann & P. BoucherPoésies évangéliques

Napoléon – Sonnet

L’Eternel a en abomination tout homme hautain de coeur – Prov. xvi,5

On dit que sur le roc où le grand empereur,
Jouet des trahisons, fut jeté à l’envie,
Regardant en arrière il pleura dans son coeur,
Aux amers souvenirs de sa géante vie.

Alors se présentant devant son créateur,
– Oh! que cela soit vrai! – d’une âme réfléchie,
Le pauvre prisonnier, plein d’une humble douleur,
Fit du héros tombé la morale autopsie.

L’homme comprit la loi que le roi méconnut;
Il sentit vaguement le besoin d’un salut:
Et ce volcan humain, qui remua la terre, –
Ce soldat sans égal, devant qui tout fléchit,
Son front pyramidal courbé dans la poussière,
Près la mort – qui dit vrai, – se reconnut petit!

Q8 – T14

Votre génie est grand, Ami; votre penser — 1830 (16)

Sainte-Beuve Consolations

A V.H.

Votre génie est grand, Ami; votre penser
Monte, comme Elisée, au char vivant d’Elie.
Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie.
Votre souffle en passant pourrait nous renverser.

Mais vous prenez bien garde, Ami, de nous blesser;
Noble et tendre, jamais votre amitié n’oublie
Qu’un rien froisse souvent les coeurs et les délie.
Votre main sait chercher la nôtre et la presser.

Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d’armes,
S’il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes,
Il le met dans son casque et le porte en chemin;

Et de son gantelet  le touche avec caresses:
La nourrice serait moins habile aux tendresses;
La mère n’aurait pas une si douce main.

Q15 – T15

Pleurnichard hypocrite, et hypocrite flatteur, Sainte-Beuve finit de prendre date et de s’imposer à la postérité comme l’initiateur de la sonnet-manie qui, encore timidement, se prépare.

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie, — 1830 (15)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet
imité de Wordsworth

Les passions, la guerre ; une ame en frénésie,
Qu’un éclatant forfait renverse du devoir ;
Du sang ; des rois bannis, misérables à voir ;
Ce n’est pas là-dedans qu’est toute poésie.

De soins plus doux la Muse est quelquefois saisie ;
Elle aime aussi la paix, les champs, l’air frais du soir,
Un penser calme et fort, mêlé de nonchaloir ;
Le lait pur des pasteurs lui devient ambroisie.

Assise au bord de l’eau qui réfléchit les cieux,
Elle aime la tristesse et ses élans pieux ;
Elle aime les parfums d’une ame qui s’exhale,

La marguerite éclose, et le sentier fuyant,
Et, quand Novembre étend sa brume matinale,
Une fumée au loin qui monte en tournoyant.

Q15  T14 – banv