Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

C’est moi le démon des trains dans le noir, — 1947 (4)

Henri ThomasLe monde absent

C’est moi le démon des trains dans le noir,
je fais s’étonner l’ouvrière lasse
qui regarde les lumières du soir
scintiller, danser, virer dans l’espace.

Les wagons seront comme des dortoirs
pour la fièvre, pour les images basses,
je tisonne dans les cœurs, je veux voir
un vieillard nerveux qu’une femme agace,

un adolescent qu’une main réveille,
et j’adore quand cet enfant s’allume
au vampire qui lui parle à l’oreille.

O les profondes chuchotantes nuits!
et quand l’aube vient, couleur d’amertume,
reboutonnez-vous, voyageurs surpris.

Q8 – T24 – tara

Céleste Ki-Tan-Fô, délivre de la cangue — 1947 (3)

Claude VidalLe cheval double

…. Jose-Maria de Heredia
L’offrande chinoise

Céleste Ki-Tan-Fô, délivre de la cangue
Le très indigne Pouh, fils de Rhâ, fils de Lin,
Et prends ce vase ouvré dans le pur kaolin.
Il est entre mes mains comme l’or dans la gangue.

Du céladon fleuri coule un reflet exsangue
Sur le flanc translucide à l’émail opalin,
Et le Dragon de sang au mufle de carlin
Y déroule sa croupe et fait saillir sa langue.

J’ai sculpté dans le cèdre un socle précieux.
Du langage Kou-Wen que préfèrent les Dieux
J’ai peint sur ses côtés les sacrés caractères.

Vois, j’accroche un lampion bleu pâle à chaque bout
Du triple toit cambré surplombant de ses ptères
Ta pagode laquée aux lattes de bambou.

Q15 – T14 – banv

Sur les drymides verts et sur les blancs clistax — 1947 (2)

Claude VidalLe cheval double


Bonheur  près de l’Apurimac

Sur les drymides verts et sur les blancs clistax
volète un cnétocampe, étrange rubicelle
vivante, et qu’un cinabre artistement ocelle.
Mais dans un psathyra guette un calothorax.

Le beau trochillidé lance un cri de crécelle,
Lissant son rostre fin sur l’or de son thorax.
L’insecte, butinant aux grappes d’un styrax,
brusquement est saisi dans l’experte précelle.

Gourmand, le colibri déguste l’abdomen
d’abord. Le corselet, gras comme un cérumen,
se déchiquète alors mieux qu’avec des quenottes.

Puis, les six pattes. Puis, les deux ailes. Et quand
Il a tout avalé le bombyx urticant,
du grand air de « Louise’ il siffle quelques notes.

Q16 – T15

Don Ruy Gomez, vieillard en fraise d’organdi, — 1947 (1)

Claude VidalLe cheval double

Le livre est un livre de parodies. Ici parodie au second ordre: de Hugo au moyen d’une parodie de Georges Fourest

Hernani

Don Ruy Gomez, vieillard en fraise d’organdi,
sa cape s’enroulant à sa coliche marde,
horrible de triomphe, insolemment brandit
le curare espagnol où grince la Camarde.

Dogna Sol s’est dressée, et son regard se darde
vers le sénile amant. Sa croix d’or resplendit.
Pâle de la terreur de cette nuit blafarde
elle ose protéger son ténébreux dandy.

Mourir! voilà son choix, et non vivre en veuvage.
( Pensif, et maudissant son absurde servage
Jean d’Aragon se cabre et claque un peu des dents.)

Mais arrachant la fiole avec un cri sauvage:
 » Qu’il est amer! dit-elle en buvant le breuvage,
Le vieux aurait bien pu mettre un sucre dedans! »

Georges Fourest

Q8 – T15

Des croix basques décoraient la maison — 1946 (6)

Armen Lubin Le passager clandestin

Sanatorium dans les Hautes -Pyrénées

Des croix basques décoraient la maison
Où des choses élevées étaient en danger de chute.
Les poitrinaires ne pensaient qu’à leurs minces cloisons
Des leurs membres étendus amortissant les disputes.

Au milieu d’une jeunesse restée à l’état larvaire
Les outils nobles avaient été posés de travers
Et tout se refusait. Absence complète
Dans le sentier réservé au passage du prophète.

Mais le pays d’automne bruissait le soir
Lorsqu’une mésange sur une poitrine en dentelle
Se posait avec sa confiance intacte.

Délicates ondes et bondissantes goutelettes
Nous rassuraient sur les intentions réelles des Pyrénées
Déjà presque seraines par endroit,
La boite à outils devenait visible au sommet de l’Ararat.

Q58 – T exc – m.irr – 15v

Quelques dalles de marbre éparses dans un champ — 1946 (5)

André Rolland de Rèneville La nuit l’esprit

Le pays de toujours

Quelques dalles de marbre éparses dans un champ
Ebauchaient un chemin tendu vers le mystère
Que fomentait la rouille immense du couchant.
Des animaux buvaient dans un cercueil de pierre.

Celui qu’on n’attend plus chassait dans la clairière
Sur un cheval de brume échappé de l’étang,
L’invisible gibier dont les taches de sang
Tressaient une couronne ardente pour la terre.

La basilique en mouvement dans la forêt
Déserte, célébrait un office secret
Dans une plainte océanique à peine ourdie.

Perceptible à mon coeur, invisible à mes yeux,
Un cortège muet me poussait vers les cieux,
De la vie à la mort, de la mort à la vie.

Q10 – T15

Les barrages rompus, l’esprit combla l’espace — 1946 (4)

André Rolland de Rèneville La nuit l’esprit

L’heure en dehors du temps

Les barrages rompus, l’esprit combla l’espace
Et disparut en tant qu’esprit, – comme une mer,
Après avoir crevé l’horizon qui l’enlace,
S’oublierait comme plat et comblerait l’éther.

Il gonfla dans le noir une sphère de glace
Dont le creux monument rougissait de l’éclair
Qu’à sa mort le soleil, pris dans la carapace,
Lançait en noircissant comme un boulet de fer.

Tout rentrait dans la bouche effroyable du maître.
La dernière forêt retrouvait son ancêtre
Dans le centre terrestre ouvert jusqu’au charbon.

La chevelure et l’eau, les membres et les branches
Tournaient comme une pâte à nourrir le Dieu bon:
Moi – puisque c’était moi, ce mangeur d’avalanches.

Q8 – T14

La pâleur des gestes sous la lune — 1946 (3)

Jean CayrolPoèmes de la nuit et du brouillard

Demeure de l’ancien temps

La pâleur des gestes sous la lune
la soie d’un visage ancien qui se dévoue
la blanche demeure des sentiments à genoux
une bouffée d’étoiles qui meurt sous la dune

la nuit à la démarche lente des pleurs les appétits
calmés sans l’avoir connu le goût du pain
l’eau repos de l’insecte tout petit
qui remonte le long des tiges sous la main

l’offrande d’un regard où brille un dieu muet
te souviens-tu je l’ai aimé depuis longtemps
le vieux code de la misère

la vie la vie qui plaît
qui se brise soudain comme un verre
et répandu sur la mort le vin de l’Ancien Temps.

Q62 – T37 – m.irr

Réglés en hâte au bruit des pas de la mémoire — 1946 (2)

Pierre Emmanuel Tristesse ô ma patrie

Couvre-feu

Réglés en  hâte au bruit des pas de la mémoire
ils s’étaient égarés sur leurs traces d’hier,
Le couvre-feu tombé soudain sur leur histoire,
Leur nuit sans un radeau se peupla d’icebergs

Serrés, feutrant leurs voix, n’osant tâter le noir
(crainte d’y rencontrer le froid d’un revolver)
se fussent-ils plaqués au mur, de désespoir,
un quartier d’ombre eût basculé le ventre en l’air

Sitôt cette patrouille au large évanouie,
une autre résonnait dans leur cœur. Sous la pluie
les bottes arrachant au pavé leurs ventouses

laissaient le sol retomber flasque sur ses morts.
– Ouïr à vif toute une éternité jalouse
croître puis s’éloigner la ronde des remords!

Q8 – T14

Ce qui sera bientôt ne sera plus ; — 1945 (10)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Derniers vers

Il disperato

Ce qui sera bientôt ne sera plus ;
Demain se meurt au cœur de ce jour même :
Derrière moi, qui perdrai ce que j’aime,
Du temps futur s’enfuit vraiment le flux.

Jours qui viendrez, vous êtes révolus,
Gens qui naîtrez, enfants que l’amour sème
Dans l’avenir aux couleurs de poème,
Vous êtes morts qui vivrez superflus.

La vie est riche en fausse pierrerie ;
S’il t’arrivait que l’heure te sourie
Tiens l’espérance une vieille catin :

Vois sous son fard l’éternelle grimace,
Garde ta bouche, ou crains demain matin
Qu’elle ait baisé quelque immonde limace.

Q15  T14  déca