Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Depuis que le duc son mari — 1905 (6)

Willy Anches et embouchures

La mandoline

Depuis que le duc son mari
Est au loin parti pour la guerre,
Dona Linda ne quitte guère
Le balcon de jasmins fleuri.

Ce soir, en le parc assombri
Mais que parfois la lune éclaire,
Un mandoliniste accélère
Son libidineux pot-pourri.

Dans la pénombre intermittente,
Linda, lascive et palpitante,
Du joueur contemple les mains.

Et, soudain folle, elle s’incline,
Délirant parmi les jasmins :
« Je veux être une mandoline ».

Q15 – T14 – banv – octo

J’admire, en mes beaux projets d’art, — 1905 (3)

Léon Duvauchel Poésies

Le sonnet

J’admire, en mes beaux projets d’art,
Ce moule parfait de l’idée:
Coupe élégamment évidée
Dans laquelle buvait Ronsard.

Parfois, payé par le regard
D’un démon, peut-être Asmodée?
L’âme de désirs excédée
J’y brûlai l’encens et le nard.

Larmes, baisers, douleur ou joie,
Ceux qu’on rebute et ceux qu’on choie
Y versent le sang de leur cœur.

Qu’exige-t-il de qui l’inspire,
Et veut épuiser sa liqueur? ….
A peine le temps d’un sourire.

Q15 – T14 – banv – octo – s sur s

Ma sœur, ce seraient des jours de silence — 1904 (4)

Charles Derennes – L’enivrante angoisse

Ma sœur, ce seraient des jours de silence
Et, sur le penchant bleuté des collines,
Argentines et cristallines
Les clochettes du troupeau dense.

Des jasmins flétris que le vent balance
Et, peut-être, loin, des chansons câlines,
– Mandolines sous les glycines; –
Et peut-être quelque souffrance.

Quelque nuage au bleu du jour,
Un peu de rêve, un peu d’amour,
Quelque parfum trop lourd de fleur;

Quelque souvenir, quelque pleur,
Trop de langueur lassant le cœur,
Ou, peut-être, trop de bonheur ….

Q15 – T12  m.irr

Faire un sonnet semble chose facile; — 1903 (6)

L.D. Bessières Mes trois sansonnets

Le sonnet

Faire un sonnet semble chose facile;
L’alexandrin et le versiculet
S’y prêtent, mais, fait ou non d’un seul jet,
Le réussir en tout est difficile.

Il n’y faut mettre un seul mot inutile,
Lui bien donner la couleur du sujet;
Qu’il soit mordant, amoureux, indiscret,
Extravagant, sérieux, ou futile.

Mais commencer, avant d’avoir rien fait,
Par composer le deuxième tercet;
S’il est bon, c’est la moitié de l’ouvrage.

Car là devra se porter tout l’effet,
Le coloris, la plus puissante image
Qui doit former la chute du sonnet.

Q15 – T14 – banv –   – s sur s  déca

Le soir est imprégné de nard et de santal. — 1903 (5)

Paule RiversdaleEchos et reflets

Sonnet vénitien

Le soir est imprégné de nard et de santal.
Lève sur moi tes yeux stagnants de Dogaresse,
Tes yeux que l’ennui vert des lagunes oppresse,
Las d’avoir contemplé la moire du canal.

Autour de toi s’affirme un silence automnal;
Le dangereux  parfum des bâtardes caresses
Ton front sans véhémence, ô fragile Maîtresse,
Dont le souffle ternit à peine le cristal.

Le roux vénitien des tes cheveux anime
La solitude où traîne un sanglot de victime.
Tragique, le couchant te prête son décor.

Tu portes le fardeau d’une antique infortune,
Quand tu fuis vers le sable où la Mer aux pieds d’or
Pleure sous le baiser stérile de la lune.

Q15 – T14 – banv

O mois tant célébré, décrit, peint et chanté — 1903 (3)

Jacques NormandLes visions sincères

Mai

O mois tant célébré, décrit, peint et chanté
En d’innombrables vers et d’innombrables proses,
Mois des baisers d’amour sur les lèvres mi-closes,
Je hais ton vain renom et ta vulgarité.

En toi tout est rancœur, tout est banalité,
Banals tes doux zéphyrs et banales tes roses,
Et sous ton nom banal, à mes rimes en oses ,
S’accouple la fadeur de mes rimes en .

Aussi, quand on te voit à travers les peintures
Et les refrains poncifs et les littératures,
Plus d’un, pareil à moi, se moque-t-il un peu …

Mais d’un premier rayon dès que tu nous effleures,
Nos regards attendris montent vers le ciel bleu …
Et les vieilles chansons nous semblent les meilleures!

Q15 – T14 – banv

Cheveux gaîment taillés et qu’un coup de vent fouette — 1902 (15)

– Jules Jouy in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

Coquelin cadet

Cheveux gaîment taillés et qu’un coup de vent fouette
Nez en l’air, adorant la nue avec ferveur ;
Œil naïf, effaré, comiquement rêveur,
Qui semble suivre, au ciel, le vol d’une alouette.

Saluez, bons bourgeois ; c’est l’ami Pirouette :
Vif croquis d’un talent de fantasque saveur ;
Eau-forte d’un jet large, osé, dont le graveur
Sur le convenu plat culbute et pirouette.

Qu’il cisèle l’esprit, geigne le Hareng Saur,
Vive sa gaîté franche au juvénile essor !
Hilare comme un Fou, grave comme un problème,

Hanlon ganté de frais, ô clown en habit noir !
J’aime le rire anglais peint sur la face, blême
Comme une lune ovale au faîte d’un manoir.

Q15  T14 – banv –  La loi du rasoir d’Hanlon (William James ?) s’énonce ainsi :« Ne jamais attribuer à la malignité ce que la stupidité suffit à expliquer. »

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe — 1902 (14)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

La mort en dentelles

III

Madame de Méryan repose en paix. Sa tombe
Se dresse au fond du parc, proche le boulingrin.
Quatre saules, courbant leur vieux torse chagrin,
S’inclinent, courtisans pleureurs, quand le soir tombe.

La tour du colombier domine, où la colombe
Et le ramier s’en vont se gaver de bon grain.
Du village lointain, la chanson d’un crincrin
Soupire, et rit, et crie, et nasille, et succombe.

Vêtu d’ombre, pensif, monsieur l’abbé Griseul
Auprès du monument vient s’agenouiller seul.
«  La marquise, ayant fait son sourire à saint Pierre,

Est au ciel ! … » se dit-il. Mais soudain il pâlit :
Lui rappellant les deux colombes du grand lit,
L’oiseau du Saint-Esprit est sculpté dans la pierre !

Q15  T15

Madame de Méryan est morte. Ce n’est plus — 1902 (13)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons

La mort en dentelles

II

Madame de Méryan est morte. Ce n’est plus
Qu’un cadavre fluet que le froid violace.
L’abbé Griseul (il fut beau comme Lovelace)
Marmonne au pied du lit des rythmes superflus.

Ils se sont adorés à quinze ans révolus ;
Ensemble on les surprit, lui timide, elle lasse,
Ce qui divertit fort parmi la populace
Filles de cabarets et bourgeois goguelus.

Ce souvenir, qu’il veut rejeter en arrière,
Trouble perversement l’abbé dans sa prière.
Sur le pastel il voit les lèvres de jadis ;

Il baisse le regard sous l’éclair des prunelles,
Et craignant pour tous deux les flammes éternelles,
Mêle un confiteor à son De Profundis.

Q15  T15  goguelu (TLF) Pop., vieilli. Synon. de vaniteux, présomptueux

Madame de Méryan va mourir. Désirant — 1902 (12)

– Hughes Delorme in Léon de Bercy : Montmartre et ses chansons


La mort en dentelles
I

Madame de Méryan va mourir. Désirant
Entrer au Purgatoire en digne et noble allure,
Elle a fait crêpeler au front sa chevelure.
Des engageantes en dentelle à triple rang

Sortent des frêles bras d’un laiteux transparent.
Un couple de ramiers s’ébat sur la moulure
Du grand lit clair où l’or brode sa ciselure …
Elle oppose au trépas le dédain conquérant

De ceux qui savent bien lui ravir quelque chose ;
Car, hautain, son regard fixe au mur le pastel
Où Liotard le Turc a su rendre immortel

Le bonheur de sa lèvre immuablement rose …
Dans un hoquet discret Madame de Méryan
Sourit à son sourire, et meurt en souriant.

Q15  T30