Archives de catégorie : Q16 – abba baab

Je vous dois quelques mots de préface, ô lecteur, — 1878 (4)

Marius Bonnefoy La Provence

Un mot de préface

Je vous dois quelques mots de préface, ô lecteur,
J’entreprends de chanter notre belle Provence ;
Chanter ? … c’est, je l’avoue, un grand mot que j’avance.
Que du sujet ma voix se trouve à la hauteur,

Croyez-le bien ; ce n’est pas là ce que je pense.
Je ne viens point ici me poser en auteur ;
Mais si pour mon pays je fais battre un seul cœur,
Je ne demanderai pas d’autre récompense.

En peignant ses héros, ses monuments divers,
Ses villes et ses chants tantôt secs, tantôt verts,
J’aurais pu me servir du poëme ou de l’ode ;

J’ai choisi le sonnet, comme étant plus commode,
Familier, circonscrit dans ses quatorze vers ;
Et puis, autre raison, c’est qu’il est à la mode.

Q16  T14  s sur s

Sur la grande galère à quatre rangs de rames, — 1876 (2)

Catulle Mendès Les Poésies

Calonice

Sur la grande galère à quatre rangs de rames,
Calonice ramène une fille d’Asie
Qui, nue et frissonnante et belle s’extasie
De fouler des tapis de pourpre aux rouges trames!

« O vierge, dit la grecque, entre toutes choisie
Pour apaiser mon coeur percé de mille lames,
Tu connaîtras le sens des longs épithalames,
Et de mon amitié la chaste hypocrisie! »

Dans l’air, à ce moment, on vit deux hirondelles
Caresser les cheveux épars des fiancées
Et la brise chantait: Hyménée! autour d’elles.

Mais la lune baisa les vagues balancées,
Et tu parus, le front couronné d’asphodèles,
Ô nuit, ô blanche nuit, ô nuit mystérieuse ….

Q16 – cdc dcx – Deux particularités: – le sonnet est entièrement en rimes féminines – Le mot-rime du dernier vers n’a pas d’écho.

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ; — 1875 (9)

Bernard Bonafoux Les nouveaux sonnets de Provence

Sonnet & chanson

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ;
J’en suis très-satisfait, et ce serait louable
Si comme nos aïeux on essayait, à table,
De le faire mousser à la fin du menu !

Il voulut déserter, – ce fut très-regrettable :
De se perpétuer il n’était pas tenu,
Mais puisqu’il nous revient comme un hôte connu,
Tachons que son succès soit à jamais durable.

La Chanson n’a pas craint de faire comme lui :
Elle nous a quitté, à bon droit elle a fui
Nos cœurs trop asservis à la vile matière.

Reviendra-t-elle un jour ? Ne désespérons pas
D’entendre nos enfants joindre, dans leurs ébats,
Le Sonnet amoureux à la Chanson guerrière.

Q16 T15  s sur s

Je connais, à la Croix du ciel, un humble abri. — 1872 (47)

Amiel Journal

Sonnet

Je connais, à la Croix du ciel, un humble abri.
Autour de lui, le mal rugit ou se lamente,
Mais du monde à ses pieds expire la tourmente
Et la maison de paix dans l’orage a souri.

Dans la maison de paix l’atmosphère est clémente,
L’âpre hiver s’y transforme en printemps attendri,
Qu’on y porte une peine on en revient guéri
Un rayon la protège et la maintient charmante.

Douce maison de paix, le talisman vainqueur
Qui te fait trompher de ce monde moqueur
Quel est-il ? la gaîté, le pardon, la tendresse ?

Le goût pur ? le devoir & sa noble rigueur ?
La foi qui sait prier ? la pitié qui s’empresse ?
C’est tout cela fondu dans un trèfle de cœur.

Q16  T14

C’est un sonnet, pardonnez-moi. — 1872 (29)

Albert MillaudPetite Némésis


Quatorze vers

C’est un sonnet, pardonnez-moi.
En librairie il est d’usage
De mettre en tête d’un ouvrage
Une profession de foi.

Ces propos de première page
Font, – je n’ai jamais su pourquoi –
Chez le lecteur naître l’effroi …
On les lit peu – c’est bien dommage.

Mon avant-propos me gênait.
Pourtant il faut que je le fasse.
On peut me lire sans grimace.

Je suis très-court, très-bref, très-net ….
– Mais c’est toujours une préface!
Pardonnez-moi, c’est un sonnet.

Q16 – T28 – octo – s sur s

Après ses longs travaux du jour, monsieur Homais, — 1872 (17)

Album zutique


Soleil couchant

Après ses longs travaux du jour, monsieur Homais,
Pharmacien-droguiste, est au seuil de sa porte
Pour respirer l’air pur qu’un vent d’ouest apporte.
Il rêve, son esprit ne reposant jamais.

Et, par-delà la lande où toute graine avorte,
Avide de verdure et de spectacles frais,
Son regard ému plonge aux vases du marais
Où fleurit la sangsue aimable sous l’eau morte.

Il bénit la Nature! – Et, comme le soleil,
Qui se couche, rougeoie et fait, tison vermeil,
Loucher sinistrement la prunelle des bouges,

Le bon Homais croit voir, son oeil s’arrêtant sur
Des nuages pourprés parmi le glauque azur,
Un céleste bocal peuplé de poissons rouges…

Q16 – T15

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles, — 1872 (9)

Rimbaud


Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glacier fiers, rois blancs, frissons d’ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
– O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux!

Q16 – T15

C’était un pied mignon, – pied de vierge, sans doute, – — 1871 (5)

Joséphin Soulary


Des pas sur le sable

C’était un pied mignon, – pied de vierge, sans doute, –
Mutin, cambré, naïf, se posant finement;
Pour trouver Cendrillon au bout, le roi Charmant
Aurait suivi ce pied cent ans, de route en route.

Un pied! non; c’en était la marque seulement.
 » Je verrai Cendrillon, » dis-je; et, coûte que coûte,
Me voilà sur sa trace; et chaque pas ajoute
A la fée idéale un nouvel ornement.

Je suivis cette empreinte, ainsi, durant deux lieues,
Tant qu’enfin j’arrivai près du lac aux eaux bleues:
Le joli pied s’était arrêté juste au bord.

De retour, nul indice; – à droite, à gauche, impasse!
Cendrillon s’était-elle envolée en l’espace?
Le lac profond dormait, muet comme la mort!

Q16 – T15

Je chevauche à travers la nuit; ma sueur coule. — 1870 (7)

Paul Delair Les nuits et les réveils


En retard

Je chevauche à travers la nuit; ma sueur coule.
Un vent lugubre tord les bras de la forêt;
Voici que dans le ciel ruisselant apparaît
Une tour à créneaux qui se lézarde et croule.

Les serviteurs portant des flambeaux, qu’on dirait
Tous âgés de mille ans, me reçoivent en foule;
Et sous les hauts plafonds ténébreux leur voix roule:
 » N’êtes vous pas celui qu’on attend. Il est prêt. »

Sous le dais noir tressaille un grand vieillard farouche.
Sa fille est immobile et chaste dans sa couche,
Et j’ai beau la chauffer de baisers: elle dort.

 » Pourquoi ne puis-je pas ressusciter mon ange,
O vieillard? » Il répond avec un rire étrange:
 » Comment le pourriez-vous, puisque vous êtes mort?  »

Q16 – T15