Archives de catégorie : Q17 – abba baba

Frondeur, ta thèse est fausse, et le fait te dément ; — 1856 (3)

Henry Weger Vibrations lyriques

Le sonnet au 19è siècle
A M. l’abbé Suchet

Frondeur, ta thèse est fausse, et le fait te dément ;
Cette fleur qui nous vint des champs de l’Ausonie,
Du Parnasse français n’a pas été bannie,
Elle est encor des luths le plus riche ornement.

La muse de Barbier, pleurant sur l’Italie,
Pour la cueillir fait trève à son gémissement,
Et Delatour, qu’inspire un gracieux génie,
Au bleu myosotis la mêle élégamment.

Sainte Beuve suspend ce beau fleuron étrusque
Au fauteuil d’Academe, et nul ne s’en offusque ;
Et Gauthier l’entrelace aus trèfles de sa Tour.

Oui, le SONNET est cher aux lyres de la France :
Chaque printemps, aux jeux qu’institua Clémence,
Il brille au front des rois du gai savoir d’amour

Q17  T15  s sur s

Maintenant la vapeur est à l’ordre du jour. — 1848 (3)

Jules VernePremier cahier

La vapeur

Maintenant la vapeur est à l’ordre du jour.
Tout marche par son aide! Est-ce un bien pour le monde?
Pour bien choisir sur terre où toute chose abonde,
Faut-il donc se hâter, lorsqu’on en fait le tour?

On vole désormais sur la terre et sur l’onde;
On fait sans y penser l’aller et le retour;
On singe le soleil qui, lorsqu’il fait sa ronde,
Mesure en une nuit le céleste séjour.

Ce ne peut-être un bien que dans ces temps de guerre,
Où vont s’anéantir ces hommes qui naguère
Marchaient contre la mort san reproche et sans peur,

Si trompant l’ennemi par sa subtile ruse,
Refaisant des guerriers autant que l’on en use,
L’amour toutes les nuits marchait à la vapeur!

Q17 – T15 s. pris dans les  poésies inédites

Quand j’étais plus enfant, mon cœur était joyeux — 1844 (5)

Henri Chevreau & Léon Laurent-Pichat Les voyageuses

A Madame M***J***

Quand j’étais plus enfant, mon cœur était joyeux
De vous voir dans mon rêve ou bien dans ma pensée
Repasser à la place où vous étiez passée !
Je vous aimais alors en silence et des yeux !

Quand ma timidité première fut passée,
Que mon œil fut compris par vos regards soyeux,
Sur mes lèvres mon âme errait en insensée,
Vous deviniez déjà ; je n’en aimais pas mieux !

Plus tard, je vous contai, dans un jour de folie
Le secret déjà su de ma mélancolie ;
Je vous aime aujourd’hui de l’âme et de la voix !

Si vous ne venez pas en aide à mes alarmes,
Un jour, bientôt peut-être, un jour, et, je le vois,
J’ai peur de vous aimer de souffrance, et de larmes !

Q17  T14

Mesdames et Messieurs, oh ! vous ne savez pas — 1843 (24)

Louis de Léon La tragédie du monde

Sonnet

Mesdames et Messieurs, oh ! vous ne savez pas
Ce que c’est pour son art que l’ardeur du poète,
C’est un marteau d’horloge à grands coups dans la tête,
Qui vous bat le tympan et fait un grand fracas.

Quelque chose dans l’air dont la voix inquiète,
Qui saute sur l’esprit, qui le prend par le bras,
Et le faisant marcher, lui dit dès qu’il s’arrête :
Réveille-toi bien vite, oiseau, tu chanteras.

C’est ce qui de nouveau va m’armer de la plume,
Et puis j’avais promis de vous faire un volume.
Un vice inaperçu tout à coup m’apparaît.

Groom, mon papier vélin, mes lunettes, de l’encre.
C’est bien, – donc à la voile, et levons vite l’ancre,
On ne vogue que mieux après un temps d’arrêt.

Q17  T15

Si j’avais sous la main un jardin de Lenôtre, — 1840 (7)

Victor Hugo Théâtre en liberté (Maglia)

(sonnet)

Si j’avais sous la main un jardin de Lenôtre,
Je vous l’arpentrais du soir jusqu’au matin ;
Si j’avais sous la main un vieux psautier latin,
J’y courrais, comme un loup, dire ma paternôtre ;

Si j’avais sous la main mon épée ou la vôtre,
J’en percerais dix fois ma veste de satin ;
Si j’avais sous la main la maîtresse d’un autre,
Je l’aimerais, pour faire enrager ma catin !

Hier sur ce cheval que tout le monde admire
Polyclète passait, et j’ai vu Lindanire
Le suivre de cet œil qui rêve et qui sourit ;

Depuis ce moment-là, je me creuse la tête.
Le cavalier lui plaît pour avoir l’air très bête,
Et le cheval lui plaît pour être plein d’esprit.

Q17  T15

Le ‘sixième’ sonnet de Hugo, dissimulé dans du théâtre. Il a échappé à beaucoup de commentateurs. La date de composition n’est pas certaine (je suis l’édition de la Pléiade). Hugo méprise souverainement une recommandation expresse de Boileau : les répétitions sont nombreuses.

Bienheureux le mortel qui peut de l’existence — 1838 (7)

Désiré Cadilhac Echos du coeur

Amour et Poésie

Bienheureux le mortel qui peut de l’existence
Adoucir par l’amour la mortelle rigueur!
De joie et de parfum il enivre son coeur
Et livre sa boussole au vent de l’espérance;

Une ame dans son ame épanche le bonheur. –
Il se berce, tranquille, au sein de l’indolence:
Au travers des plaisirs comme un rêve trompeur,
Son oeil dans le lointain voit passer la souffrance;

– Bienheureux le poète! il est l’enfant du ciel;
Car son coeur fait monter aux pieds de l’Eternel
Comme un encens pieux, ses prières de flamme;

La foi devant ses yeux fait briller son flambeau,
Et lui, sans frissoner, marchant vers le tombeau,
Attend le paradis dans les bras d’une femme.

Q17 – T15 – bi : 7-8 Premiers sonnets d’une séquence que j’intitule Le bouquet inutile. Les poèmes de cette séquence ont été choisis à peu près au hasard.

Or qu’abreuvé un jour d’amertume et de fiel, — 1834 (1)

Justin Maurice Pensées du ciel et de la solitude

Sonnet

Or qu’abreuvé un jour d’amertume et de fiel,
Je sentais du malheur la brulante auréole,
Je foulai sous mes pieds le luth qui me console
Et dis, comme un martyr criant contre le ciel:

Muse, adieu! Je te fuis: ton culte est trop frivole.
Le prêtre consacré doit vivre de l’autel.
Toi, tu n’est pas un dieu, mais une vaine idole;
Le souffle de ta flamme est un souffle mortel.

Je vais porter ailleurs mes voeux, mes sacrifices;
Mon coeur va s’attacher à des lieux plus propices.
Avec raison l’on dit que ton culte se perd;

Pour tes plus saints enfants tu n’est qu’une marâtre:
Adieu! Je ne veux plus du sort de Malfilâtre,
Ni les derniers jours de Gilbert.

Q17 – T15 – 2m : (v.14: octo) – Le dernier vers est un octosyllabe, violant la règle (purement empirique) d’unicité métrique. Si la notion de ‘sonnet régulier’ avait un sens constituable, il faudrait l’inclure dans la définition.

Silence. Taisez-vous, éternels discoureurs! — 1832 (3)

A. Mathieu dans l’Almanach des Muses

Sonnet.
Belgique, 29 février 1831

Silence. Taisez-vous, éternels discoureurs!
Comment sonder le fond de cet abîme immense?
Si la guerre civile en un état commence,
Qui peut marquer son terme et prévoir ses horreurs?

Mais quand un peuple entier bondit comme en démence
Quand hurlent des combats les cris avant-coureurs
Heureux qui des vertus conservant la semence,
Reste pur, comme avant, des coupables erreurs!

Sans parti jusqu’ici dans ces partis extrêmes,
Toujours, ô mes amis! Cloîtrons-nous en nous-mêmes;
Marchons enveloppés dans un même manteau.

Pour ce duel effrayant que le sort nous apprête,
Qu’importe, si la mort a marqué notre tête,
Que le brave ait un glaive et le lâche un couteau?

Q17 – T15

synérèse de ‘duel’ (v.12)