Archives de catégorie : Q59 – abab a’b’a’b’

Madeleine ou Marie et le temps de la houle — 1963 (1)

Jean QuevalLieux-dits

L’invention du miroir et de la mer

Madeleine ou Marie et le temps de la houle
Une star est surgie elle invente la plage
Le saint bois d’Amérique est touché par la foule
La monde mue dans les dimensions d’une image

Intrigue ourdie au cœur d’une folle et perverse
Orson Welles est un monstre des eaux sous-marines
L’arroseur arrosé dit la geste du geste
La grâce du silence est le soleil des mimes

Les dames de Bergman ont fait le tour des yeux
Quatre sous d’opéra pour ces millions de gueux
Antonioni peint la mélancolie du cœur

Le bonhomme Méliès vendit quelques bonbons
Qui donc gratte le ciel par science et fiction
Du Mexique Eisenstein a regardé la mort

Q59 – T15

Le sexe las d’attendre un printemps retardé — 1962 (6)

Georges Perros Poèmes bleus

Absurdité II

Le sexe las d’attendre un printemps retardé
Par la rencontre au sommet de quatre saisons
La petite fille rentra chez elle à pied
Oubliant dans un parc son sac à provisions.

Lucifer la guettait sur le seuil de la porte
Et la prit dans ses bras pour lui montrer dûment
L’art de bien conjuguer le diable vous emporte
Mais elle n’avait plus peur de rien maintenant.

Depuis elle regarde l’homme sans rien voir
Qu’un peu d’ombre qui se déplace dans le noir
Celui de la lumière qui fut sa jeunesse.

Si l’ennui vient de naître il s’en ira bientôt
La vie est courte et longue et si courte à nouveau
Mourir tirera langue à toutes ses promesses.

Q59 – T15

L’arbre sentait le vent qui naissait dans ses branches — 1962 (5)

Georges Perros Poèmes bleus

Absurdité

L’arbre sentait le vent qui naissait dans ses branches
Et le vent donnait âme aux bourgeons du printemps
L’oiseau se demandait si c’était le dimanche
Ou un huitième jour pour les adolescents.

Le ciel ne respirait plus que par habitude
Sa chemise lavée au grand air du levant
Le bûcheron trouvait que la vie était rude
Mais l’arbre tenait bon, en tremblant doucement.

La vache dans le pré regardait l’oeil humide
Le dernier train du soir sans aucun voyageur
Le passage à niveau conjura le malheur

Restant obstinément horizontal. C’est là
Qu’un homme et qu’une femme aimèrent pour la vie
L’arbre, le vent l’oiseau la vache sans envie.

Q59 – xdd yee

Au sein du sang quel déchiré drapeau — 1959 (2)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

A ma bête noire
(tracé au fouet)

Au sein du sang quel déchiré drapeau
Intérieur (comme un poison dans l’air)
Se mord la queue si je claque ta peau
Comme un sourd de soif – Moïse ô désert.

Les purs profils dont les cuirs m’auréolent
Maîtrisent seuls – oui  c’est ta proie que moi;
Eux forcent moins, en musicaux émois,
Ton noir que l’air, timidement créole.

De destinée l’innocent contrepoint
Se zébra-t-il d’humaines discordances
Gestes, gifles dédoublées aux doigts joints

Ma solitude inséparable danse
Dompté défroissons dompteur ce grimoire Cinglé:
la dentelle étreint ses loups noirs.

Q60 – T23 – 10s – disp: 4+4+4+2

J’avais plongé mes doigts au fond de la marmite — 1958 (12)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

J’avais plongé mes doigts au fond de la marmite
où cuisaient découpés les débris du passé
j’en tirai deux testicules et une bite
je me suis demandé ce qui s’était passé

tout ça c’était à moi douleur furie et rage!
ce cher petit bouquet assaisonnait dûment
je ne sais trop quel académique potage
qu’on sert aux miséreux quotidiennement

Ainsi j’en étais là. Je regardais ce triple
reste de ce qu’on nomme la virilité
et me mis à penser à ces anciens périples

qui menaient tout autour de cette obscure Afrique
où quelque fois l’on échoue, un beau soir d’été
pour au total se voir faire cuire la tripe

Q59 – T17

Oh tu pleures, Silence obscur larme perdue — 1957 (1)

Pierre-Jean JouveLA VIERGE DE PARIS

Oh tu pleures, Silence obscur larme perdue
Et fleur de la maison sous le nuage noir
Et la menace de la mort d’antique nue
Le drapeau de la honte avec le ciel du soir,

Tu pleures. Des brillants descendent sur ta pierre
Et touchent à ton sein. Les miracles lointains
Sont errants et l’amour voit périr ta paupière
O toi qui inspirais le poète prochain

Dans une odeur de bois augustes et de livres
Regardant des trésors par d’anciens carreaux
Mère de notre amour et Vierge qui ne livres

Pas le secret de liberté mystique et beau
Mais conserve l’hymen sous la robe de pierre
Et rêves l’éternel pardon comme du lierre.

Q59 – T23

Les objets ont l’immortelle tranquillité — 1949 (5)

Pierre-Jean JouveDiadème

Choses, I

Les objets ont l’immortelle tranquillité
Et l’immortel amour quand les relient les nombres
Entre l’antique ton la belle majesté
Du temps et le lieu pur l’espace en clair et sombre

Quand les formes sont nues ainsi la pleine chair
Consentante aux frissons, quand ressortent les songes
Des ornements secrets, quand un rayon d’éclair
Pressant chaque mémoire entre eux les fait répondre

Quand leur calme sortant pareil à l’oraison
Ils donnent au cœur d’homme avant qu’il ne les perde
Tout à coup sécurité consolation

Chacun est au plus haut dans les êtres qui sont
L’achèvement de leur mariage est leur superbe
Où Dieu pose la main sur la condition.

Q59 – T17

Folle douce, dans ses augures — 1949 (3)

Pierre-Jean JouveDiadème

Ophélie

Folle douce, dans ses augures
Celui qui t’adore n’a pas
Tant de mémoriales figures
Qu’il puisse pêcher vers le bas

Ta figure au fil des roseaux
Enfoncée dans le verdi charme
Des choses qui brouillent les eaux
Ont fait ta chute sans alarme;

Mais il gémit de ta nature
Sous les grands arbres du départ
Les vaches du palais où dure

La terreur profonde du dard
Amoureux, les remous d’oiseaux,
Et les bouches jusqu’aux tombeaux.

Q59 – T23 – octo

O arbre de Jessé! — 1949 (2)

Pierre-Jean JouveDiadème

O arbre de Jessé!
Je sais que je t’accorde plus que ton lignage
Ne mérite et que le foudroyant été
Descend à mon insu des grâces sur ta face

Vapeur imaginaire du Liban
Pour le pauvre cœur las de l’homme: mais me laisse
Errer dans ma splendeur sous de vastes yeux blancs
Et noire! au maître fou ne montre rien qui baisse.

Mais toi démon sans bords
Salut! jambes fermées sur la pensée
Et la poitrine double et jeune et épuisée

Des yeux de mer à la face brunie aux pieds forts
De l’âme séraphique au postérieur mouvant
Des grossesses d’esprit au vierge éprouvement.

Q59 – T30 – m.irr

Ame sainte, la Charité, — 1944 (3)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

XXI

Tombeau d’Antonio Machado

Ame sainte, la Charité,
guidant les saintes de la nuit,
abonde au lieu déshonoré
que la torche en vain purifie.

Elles vont délivrer les cendres
d’un pays qui n’est plus que sable
et, vol d’oiseaux clairs, les répandre
à travers un ciel respirable.

Là tu retrouveras l’odeur
de tes profonds étés en plomb.
Il ne restera plus jamais

qu’une urne brisée de colère,
à Collioure, au pied des pierres
où pourrirent les prisonniers.

Q59 – xyd eed octo