Archives de catégorie : Q59 – abab a’b’a’b’

Hâtons-nous de jouir, au sein de nos beaux jours, — 1834 (3)

Casimir Faucompré Poésies diverses

Sonnet

Hâtons-nous de jouir, au sein de nos beaux jours,
Nous vivons un instant, le temps fuit, nous entraine
Bien loin du but chéri, nos soucis, nos amours;
On retrouve, en son lieu, la tristesse et la haine.

Grands et riches, parlez ! cette pourpre, cet or,
Iront-ils avec vous au fond de votre tombe ?
Des biens et des honneurs serez-vous fiers encor ?
Du lugubre vous cyprés vous dormirez à l’ombre !

Les regrets dévorans, la tristesse et les pleurs,
Recélant vos plaisirs nous diront vos douleurs,
Uniques habitans de votre dernier gîte.

L’espérance vous fuit et tombe de vos mains ;
Alors tout est perdu, disparaît au plus vite
L’unique et cher appas des malheureux humains.

Q59  T14

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne, — 1833 (6)

Philarète Chasles (trad. Shakespeare) Caractères et paysages

Le déclin de la vie

Voici venir pour moi le déclin de l’Automne,
Où la feuille jaunit, où l’on voit tous les jours
Le bois perdre un fragment de sa belle couronne:
Temple où le rossignol soupirait ses amours.
Temple en ruine, hélas! – Voici venir cette ombre
Qui couvre l’univers, quand le soleil s’enfuit;
Quand la terre et les cieux attendent la nuit sombre,
Image de la mort, cette éternelle nuit!
Sur le foyer éteint, les cendres de ma vie,
Je rêve tristement. J’aimai, je fus aimé;
Quelques instants encor, ma carrière est remplie:
Ce feu qui m’a nourri m’aura donc consumé!
Tes yeux voyent pâlir le flambeau de ma vie,
Et tu m’aimes toujours, mon ange! Ah! Sois bénie!

Q59 – T19 – sns – sh –

Ces traductions des sonnets 29 (When in disgrace with fortune and men’s eyes) et 73 (The time of year thou mayst in me behold) de Shakespeare sont les premières (et de longtemps les seules) à reproduire la disposition des rimes (abab  cdcd  efef  gg) et la non-séparation des strophes, caractéristiques de cette sous-espèce de la forme-sonnet.

Si des siècles mon nom perce la nuit obscure, — 1831 (3)

Alfred de Vigny (d’après l’éd. Pléiade)

Si des siècles mon nom perce la nuit obscure,
Ce livre, écrit pour vous, sous votre nom vivra.
Ce que le temps présent déjà tout bas murmure,
Quelqu’un dans l’avenir, tout haut le redira.

D’autres yeux ont versé des pleurs, une autre bouche
Dit des mots que j’avais sur vos lèvres rangés,
Et qui vers l’avenir (cette perte nous touche)
Iront de voix en voix moins purs et tout changés.

Mais qu’importe! – après nous ce sera peu de chose;
La source en jaillissant est belle, et puis arrose
Un désert, de grands bois, un étang, des roseaux.

Ainsi jusqu’à la mer où va mourir sa course.
Ici destin pareil. Mais toujours à la source,
Votre nom bien gravé se lira sous les eaux.

Q59 – T15

Dédicace manuscrite d’un exemplaire de sa pièce La Maréchale d’Ancre à Marie Dorval

Un jour m’a donc ravi ma longue indifférence! — 1820 (3)

Charles J. Hubert in L’almanach des Muses

Sonnet

Un jour m’a donc ravi ma longue indifférence!
O paix! ton calme heureux n’est plus fait pour mon coeur.
Laisse-moi, je gémis, j’aime sans espérance;
Mais je préfère encor ma peine à ton bonheur.

Du moins sa douce image enchante ma pensée;
Du moins l’illusion reste pour me charmer.
En rêve je la vois du même trait blessée
Elle soupire, … Ô dieux! Est-ce un tourment d’aimer?

Non, non, que mon amour soit mon bien, soit ma vie;
Par des revers affreux quand mon âme est flétrie,
Amour, songe charmant, console mes douleurs.

Et toi, que j’aime en vain, pardonne ô Natalie!
Si, ne pouvant bannir ton image chérie,
J’oublie, en t’adorant, ma peine et mes malheurs.

Q 59 -T6

Le luxe, l’avarice et l’oisive mollesse, — 1819 (4)

François de La Pommeraye Recueil des poésies de Mr F.D.L.P

A un jeune poète

Le luxe, l’avarice et l’oisive mollesse,
Des vertus sur la terre ont brisé les autels;
L’homme tremble à la voix de l’austère sagesse,
Et n’ose plus prétendre au rang des immortels.

Il a si bien éteint la céleste lumière,
Qui seule, en l’éclairant, peut l’égaler aux dieux,
Qu’il insulte à celui qui de l’humble poussière,
Entreprend de porter son front jusques aux cieux.

Vil esclave de l’or, à la philosophie,
Le peuple va disant: quelle aveugle folie
Te fais tant rechercher un infécond laurier?

Ami, n’en suis pas moins le Sentier de la Gloire;
Celui qui veut atteindre au temple de Mémoire
Dédaigne le vulgaire et le laisse crier.

Q59 – T15

Ange et beauté, je vais monter ma lyre — 1817 (4)

Jean-J Boutet de Monvel Sonnets

Hommage à la Beauté

Ange et beauté, je vais monter ma lyre
Pour un objet excelsus et touchant;
Mon coeur, ici, s’éloigne du délire;
Mais néanmoins, il aurait du penchant.

Sa taille svelte est toujours fort jolie;
L’oeil suit de près sa démarche et son corps.
Je la voudrais ou Ninon ou Délie;
Mais son gout plaît: elle aime les accords.

Choeur ravissant des filles du Permesse,
Verse en son sein quelque peu d’allégresse;
Unis tes sons à nos soins de ce jour!

O doux transports! les touffes de guirlandes
S’offrent à nous, et nous servent d’offrandes:
Leur odorat couronne notre amour!

Q59 – T15  déca

L’amour m’enlève au Dieu des Vers; — 1809 (1)

A. Antignac Chansons et poésies diverses

Sonnet en réponse à quelqu’un qui me reprochait ma paresse

L’amour m’enlève au Dieu des Vers;
Mon silence est bien légitime;
Quand la raison est à l’envers,
On ne doit plus chercher la rime.

Pour son honneur et pour le mien,
Ma muse un instant se repose,
Les amateurs n’y perdront rien,
Et j’y gagnerai quelque chose.

Si la gloire a beaucoup de prix,
Je sens qu’un coeur vraiment épris
N’est pas le moins heureux du monde.

Apollon cependant me plaît:
Mais ce Dieu-là, tout blond qu’il est,
Ne vaudra jamais une blonde.

Q59 – T15 – octo

Il vient à moi l’oiseau qui nous prédit l’orage, — 1808 (6)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Le courlis

Il vient à moi l’oiseau qui nous prédit l’orage,
Appelé par le bruit du flot qui bat ces bancs;
Il livre aux aquilons son grisâtre plumage,
Et mêle un cri plaintif à leurs rugissemens.

Triste oiseau! Nous avons un même caractère.
Plus sauvage que toi, j’aime à porter mes pas
Entre les rocs épars sur ce bord solitaire;
Les plus rians bosquets sont pour moi sans appas.

O mer! Je t’aime calme, et j’aime ta furie!
Quand je vois les courans, sur ta surface unie,
Fuir en traits lumineux, je m’arrête en disant:

Voici comme ils ont fui, les beaux jours de ma vie!
A tes flots, sur tes flots se pressant, se brisant,
Peignent trop bien mon coeur tel qu’il est à présent.

Q59 – T8

Toi qu’on voit dans les airs suspendre un beau feuillage — 1808 (5)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur le calebassier

Toi qu’on voit dans les airs suspendre un beau feuillage
Dont le soleil encor rehausse les couleurs,
Tandis qu’au malheureux couché sous ton ombrage
Ton riche fruit présente un sac consolateur!

Quand je porte vers toi mes pas involontaires,
Je sens parmi tes fleurs mon chagrin endormi;
Ton ombrage invitant et tes fruits salutaires
Offrent à mon esprit l’image d’un ami.

Tu me peins l’amitié qui, soigneuse et discrète,
Travaille à refermer les blessures du coeur,
Et, d’un mal incurable émoussant la douleur

Verse un baume secret sur la peine secrète.
Je sais trop que le baume est peu sûr, mais, hélas!
Il adoucit du moins ce qu’il ne guérit pas.

Q59 – T30

Visite, douce paix ! la vallée épineuse — 1808 (4)

Stanislas de Boufflers Recueil de Poésies, extraits des ouvrages d’Hélène-Maria Williams, ….

Sonnet sur la paix de l’ame

Visite, douce paix ! la vallée épineuse
Que je parcours pensive, en l’arrosant de pleurs,
Loin des sentiers riants où la jeunesse heureuse
D’un pied léger foule des fleurs ;

Ainsi que mon bonheur, que le jour disparaisse,
Que la nuit sur le monde étende un voile noir ;
Le jour, la nuit verront mes pleurs couler sans cesse :
Mais que servent les pleurs au chagrin sans espoir ?

Heureuse paix de l’ame ! en vain je te conjure ;
Quand l’hiver orageux consterne la nature,
On n’obtient pas du ciel de se montrer plus beau :

Ma vie est cet hiver : mais, contre la tempête,
Il est un abri pour ma tête ;
Et cet abri, c’est le tombeau.

Q59 – T15 – 2m:octo: v.4,13,14

(a.ch) L’auteur a en tête, sans doute, les discours en vers à rimes mélées de son temps.