Archives de catégorie : Q59 – abab a’b’a’b’

Onze nombre impair. La rétention du temps — 1942 (4)

Raymond Queneau – in Si tu t’imagines – les Ziaux IV – daté 1942

Bout de l’an

Onze nombre impair. La rétention du temps
Décembre devant nous achève un cortège
Assez loin de mille et un peu plus de cent
La boue et la pluie et pas encor la neige

De l’achèvement toujours à la limite
L’arbre attend son fruit et la lave son roc
La faux se détourne du nid de termites
L’étoile court après le chant niais du coq

Tous vont arriver. L’aube belle charogne
Epluche l’univers rejette la nuit
La sotte volaille s’égosille et luit

La graine éclate et se met à la besogne
L’année accouche de son alexandrin

Le sonnet s’arrête au numéro quatorze

Q59 – cddcxy 11s

A vous, Madame, qui voulûtes — 1937 (5)

Albert Mockel dans une  lettre

Sonnet
à Madame Boissière née Thérèse Roumanille

A vous, Madame, qui voulûtes
Ce matin ivre de soleil,
Ouïr sur mes fragiles flûtes
Un écho du chant non pareil,

J’apporte une légère page
Qui tremble encor au vent amer,
Flocon d’écume sur la plage
Déserte des voix de la mer.

Le songe est l’éternel empire
Où par le verbe qu’il expire
Règne Stéphane Mallarmé

Mais à vous les roses de Mai,
A vous dont le si jeune rire
Surprit le poète charmé .

Q59 – T10 – octo

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice, — 1937 (3)

Raymond Queneau in Oeuvres poétiques

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice,
on en fit en ‘quatorze un très bel hôpital;
ma première maitress’ – d’école – avait un fils
qu’elle fouettait bien fort: il pleurait, l’animal!
J’étais terrorisé à la vu’ de ces fesses
rougissant sous les coups savamment appliqués.
(Je joins à ce souv’nir, ceci de même espèce:
je surveillais ma mère allant aux cabinets.)
Et voici pourquoi, grand, j’eus quelque préférences:
il fallut convenir que c’était maladie,
je dus avoir recours aux progrès de la science
pour me débarrasser de certaines manies
(je n’dirai pas ici l’horreur de mes complexes;
j’réserve pour plus tard cette question complexe).

ababcdcdefefgg – = Q59  T23 – sns – disposition de rimes ‘shakespearienne’

Je l’avais compris un soir de légende — 1934 (5)

Patrice de La Tour du Pin La quête de joie

Je l’avais compris un soir de légende
Si profondément que j’en avais peur,
Et notre amitié devenait si grande
Que nous n’en pouvions saturer nos cœurs.

Je ne connaissais que toi de si rare,
De si lumineux dans le haut chemin;
Je croyais que seule la mort sépare
Et que ton absence aurait une fin.

Par les soirs cruels de l’indifférence,
Je vivais dans ta très douce présence,
Attendant des jours tranquilles et clairs.

J’ai veillé longtemps sans âme et sans force:
Peut-être as-tu su déchirer l’écorce
Qui voilait si mal un cœur si désert?

Q59 – T15 – tara – taratantaras (avec un couac métrique au vers 7: une césure ‘lyrique’)

Neiges calmes, blancheur absolvant à jamais — 1933 (6)

Marcel Ormoy Les royaumes interdits

Reminiscere

Neiges calmes, blancheur absolvant à jamais
Toute l’ombre et la fièvre étroite des vallées,
L’esprit triomphe, ô dur vertige des sommets,
Sur ces hauteurs par les quatre vents désolées.

Vous mes frères, avec les noms de chaque jour
Voyez et que du fond des âges nous choisîmes
Pour la suprême étape et le plus clair séjour
Ces rocs environnés de présences sublimes.

Car nous retrouverons au niveau de la mer
Le patient travail de la terre et du fer
Et l’orgueil et l’ennui d’une besogne obscure,

Mais par le merveilleux et secret truchement
D’une rêve à quoi la mort elle-même consent
Toujours sur le Thabor un dieu se transfigure.

Q59 – T15

Je descend les degrés de siècles et de sable — 1928 (1)

Catherine PozziOeuvres poétiques

Maya

Je descend les degrés de siècles et de sable
Qui retournent à vous l’instant désespéré
Terre des temples d’or, j’entre dans votre fable
Atlantique adoré.

D’un corps qui ne m’est plus que fuie enfin la flamme
L’Ame est un nom détesté du destin –
Que s’arrête le temps, que s’affaisse la trame,
Je reviens sur mes pas vers l’abîme enfantin.

Les oiseaux sur le vent de l’ouest marin s’engagent,
Il faut voler, bonheur, à l’ancien été
Tout endormi profond où cesse le rivage

Rochers, le chant, le roi, l’arbre longtemps bercé,
Astres longtemps liés à mon premier visage
Singulier soleil de calme couronné.

Q59 – T20 – 2m :6s: v.4 v6 : 10s – Le dernier vers est typographiquement isolé

L’homme s’enfuit, le cheval tombe, — 1926 (3)

Paul Eluard Capitale de la douleur


Le jeu de construction
A Raymond Roussel

L’homme s’enfuit, le cheval tombe,
La porte ne peut pas s’ouvrir,
L’oiseau se tait, creusez sa tombe,
Le silence le fait mourir.

Un papillon sur une branche
Attend patiemment l’hiver,
Son cœur est lourd, la branche penche,
La branche se plie comme un ver.

Pourquoi pleurer la fleur séchée
Et pourquoi pleurer les lilas?
Pourquoi pleurer la rose d’ambre?

Pourquoi pleurer la pensée tendre?
Pourquoi chercher la fleur cachée
Si l’on n’a pas de récompense?
– Mais pour ça, ça et ça.

Q59 – tercets non rimés – 15v

Avril renaît Voici ses rubans et ses flammes — 1923 (4)

Aragon – (Les Destinées de la poésie)

La naissance du printemps

Avril renaît Voici ses rubans et ses flammes
Ses mille petits cris ses gentils pépiements
Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes
Je lui fais de ses couleurs tous mes compliments

Dieu que de besoins fous sous l’appui des fenêtres
Nous n’avons pas fini de compter les baisers
Il y a des semaines entières sous les hêtres
Où chantent les pinsons au plumage frisé

Avril n’a pas toujours vécu sous les lambris
Il fut petit pâtissier puis compte-goutte
Il gagna son pain à la sueur de son front

De fil en aiguille il devint contrôleur des finances
Enfin par un soleil de tous les diables
Il tomba tout à coup amoureux

Q59 – T.exc. – m.irr