Archives de catégorie : Tercets

J’admire, en mes beaux projets d’art, — 1905 (3)

Léon Duvauchel Poésies

Le sonnet

J’admire, en mes beaux projets d’art,
Ce moule parfait de l’idée:
Coupe élégamment évidée
Dans laquelle buvait Ronsard.

Parfois, payé par le regard
D’un démon, peut-être Asmodée?
L’âme de désirs excédée
J’y brûlai l’encens et le nard.

Larmes, baisers, douleur ou joie,
Ceux qu’on rebute et ceux qu’on choie
Y versent le sang de leur cœur.

Qu’exige-t-il de qui l’inspire,
Et veut épuiser sa liqueur? ….
A peine le temps d’un sourire.

Q15 – T14 – banv – octo – s sur s

D’autres ont pour vous voir, vous aimer et sentir — 1905 (2)

Léon Deubel La lumière natale

La haine amoureuse

D’autres ont pour vous voir, vous aimer et sentir
Vos regards enchâsser en eux leurs diamants,
Puis, la fleur du blasphème à la lèvre, mourir
Loin de leur ciel et de leurs dieux, en vous nommant.

O source de blancheur que nul ne peut ternir,
D’autres ont habité leur rêve décevant
Et vous ont asservie à leur vaste désir
Comme un aigle asservit sa proie, en l’enlevant.

Moi, libre de vos liens déjà plus qu’à moitié,
Sans implorer de vous le pain de la pitié
Que l’on jette à celui dont l’âme vit sur terre,

Soucieux seulement de ne vous point chérir,
Je rentre dans ma haine ainsi qu’en un repaire
Pour y cuver le vin de votre souvenir.

Q8 – T14

L’ami très cher à nos cœurs veut partir. Mais, quoi, — 1904 (7)

Verlaine, Gabriel Vicaire, Emmanuel Signoret, André Ibels in  Le Beffroi (juillet)

Sonnet à quatre

Paul Verlaine

L’ami très cher à nos cœurs veut partir. Mais, quoi,
L’amour livre un assaut furieux à sa vie ?
L’enfant des dieux ne grelotte plus sur le toit ;
Vu par le chemin sous l’ivresse de la pluie.

Gabriel Vicaire

Les oiseaux, comme nous, ont le Lune pour nid.
Il est bien tard ; attends l’aube qui reste encore
La passerelle d’or qui mène à l’Infini,
Et bois-moi de ce vin dont la France s’honore.

Emmanuel Signoret

Te voici de front ceint d’un astre né d’hier ;
Va-t’en dormir sous l’or verdoyant des mélèzes
Trop tôt renaitront pour nous les heures mauvaises !

André Ibels

Trop tôt, je reviendrai, mes amis : un éclair
N’allume dans le ciel qu’une aube passagère

Paul Verlaine

Et l’amante devient trop vite l’étrangère

Q59 – T30

Ce sonnet, recueilli par André Ibels, fut composé une nuit à la sortie du Procope, par les quatre poètes qui se disputaient , à cette heure tardive et sotte, les sourires d’une aimable enfant.

Je porte en moi, parmi des clartés de vitrail, — 1904 (6)

Marie Dauguet Par l’amour

Dédicace

Je porte en moi, parmi des clartés de vitrail,
Des fleuves éclatés, des cités fulgurantes,
Des bouleaux d’argent pur, des prés de frais émail,
Des jardins constellés de lys et d’amaranthes.

Je nourris des dragons en de lointains bercails;
Mais rien ne transparaît du rêve qui me hante;
Je suis ce manuscrit fleuri d’obscures plantes
Qui recèle à l’abri de son double fermail,

Magique parchemin et dont la garde est vierge,
Que nul doigt n’effleura sous sa gaine de serge,
Des psaumes exaltés et d’amoureux cantiques.

A toi, j’offre aujourd’hui des cités, des chimères,
Le vitrail d’or liquide et le livre mystique
Où repose mon coeur comme en un reliquaire.

Q9 – T14

Ce qu’il me faut à moi c’est un grand fauve blond, — 1904 (5)

Vicomte Phoebus, Retoqué de Saint Réac (Jules Romains et Georges Chenneviere?) Mes états d’âme ou Les sept chrysalides  de l’extase

Sa muse

Etat d’âme dionysiaque
Seinem hochverehrten Nietzschandler Gewidmet von Verfasser

Ce qu’il me faut à moi c’est un grand fauve blond,
Qui m’écrase en ses bras, geste peu platonique,
Me morde à belles dents d’un rire satanique
Où l’on sent que la brute avec le dieu se fond.

O Nietsche! tu l’as dit dans ton dogme profond:
 » La loi? – Quel préjugé! – Le travail! – Quelle honte!
Le père est l’ennemi; la  vertu n’est qu’un conte.

Des valeurs transmuons et la forme et le fond! »

Je foule sous mes pieds la pudeur, cette ornière.
O Surhomme! pour toi j’ondule ma crinière
En longs bandeaux bien bas, à la Botticelli.
Paix, Morale, Bonté bébête et moutonnière,
Chassons-les à grands coups de pied dans le derrière;
Ton cor, Zarathoustra, sonne le hallali!

Q45 – T6

Ma sœur, ce seraient des jours de silence — 1904 (4)

Charles Derennes – L’enivrante angoisse

Ma sœur, ce seraient des jours de silence
Et, sur le penchant bleuté des collines,
Argentines et cristallines
Les clochettes du troupeau dense.

Des jasmins flétris que le vent balance
Et, peut-être, loin, des chansons câlines,
– Mandolines sous les glycines; –
Et peut-être quelque souffrance.

Quelque nuage au bleu du jour,
Un peu de rêve, un peu d’amour,
Quelque parfum trop lourd de fleur;

Quelque souvenir, quelque pleur,
Trop de langueur lassant le cœur,
Ou, peut-être, trop de bonheur ….

Q15 – T12  m.irr

Tel un abstrait poivrot monolodivaguant, — 1904 (3)

Alphonse Allais Mes insolations –

La carpe

Tel un abstrait poivrot monolodivaguant,
Mélancolique et lente emmi les froides ondes,
O carpe, tu t’en vas rêvant et zigzagant,
Insouciante en tes solitudes profondes.

Ta métallique peau, qui colle comme un gant,
Te donne l’air d’un chevalier des autres mondes.
Quels pensers sont cachés – jamais se divulguant –
Derrière les vitraux de tes prunelles rondes?

Le flot léger qui naît de ton mouvement doux
Dans les herbes du fond fait un léger remous;
Et, sans craindre l’anguille et le brochet vorace,

Tu traces des arabesques à l’infini,
S’entrelaçant comme un souple macaroni,
Et des zigzags tels que – seule – la carpe en trace.

Q8 – T15

Dans le frais jardin contigu — 1904 (2)

Alphonse Allais Mes insolations –

L’aquarelle

Dans le frais jardin contigu
A ma chétive maisonnette,
Peint – sous le soleil chaud, aigu –
L’enfant chétive mais honnête.

Dans un récipient exigu
Ses petits pinceaux font trempette:
Pinceaux poil de cheval bégu,
Poil de blaireau, poil de belette.

Elle aquarellise, vraiment,
Elle est bien dans son élément,
La vierge aux poses si gentilles.

Musset ne l’a-t-il pas chanté,
Avec sa grande autorité?
Aquarell’ veut les jeunes filles!

Q8 – T15 – octo   (TLF) bégu ; [En parlant d’un cheval, d’une jument] Dont les incisives conservent la cavité externe au-delà de l’âge normal (10 ans en moyenne)

O crapaud, que ta nuit est belle — 1904 (1)

Léon Deubel Vers de jeunesse

O crapaud, que ta nuit est belle
Par ton art sobre et trémébond,
Et comme tu manquerais à elle
Rêveur, proscrit et vagabond!

Lazzaron des Naples lunaires,
Christ des infiniment petits,
Morne Caïn des accroupis
Chassé des marges de lumière,

Affirme ta douceur têtue
D’être angoissé qui s’évertue
Derrière un Nirvanah profond;

Moi, je m’endors à ton bruit sec,
L’âme grise, la pipe au bec,
Et le pâtis jusqu’au menton.

Q59 – T15 – octo

Rosoyante et galbeuse, au contour génial, — 1903 (9)

Alphonse Gallais Venus fleurie (d’après Jean-Paul Goujon : Anthologie de la poésie érotique française  2004)

La cuisse

Rosoyante et galbeuse, au contour génial,
La cuisse de la femme est l’étau du miracle,
Dont chaque serrement, au sein du tabernacle,
Pousse à son paoxysme un frisson idéal !

Elle est d’une souplesse étrange, et quand l’oracle
A la péroraison se meurt – au point final –
Sa brûlure au rein souple étend, phénoménal,
Le spasme aigu qui brise entier l’iconolâtre…

A la douceur joignant la force merveilleuse,
Ses pressements soudains, au seuil du frisson cher,
Font vibrer tous les nerfs en la danse joyeuse …

Et c’est, sous des cris vifs que les baisers étouffent,
L’ Hymen sacré qui fait se croiser chaque touffe :
Triomphal exclamé vers les cieux par la chair.

Q16  T25