Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Les Andains tour à tour sous la Faux — 1890 (20)

Karl Boès in L’ermitage

Rêve d’été

Les Andains tour à tour sous la Faux
Se couchaient, blonds et mélancoliques
Et l’Aoûteux prenait des airs bibliques
Avec ses tours de bras triomphaux.

Au fil d’un rythme lent jamais faux,
Les Epis tombaient et, symboliques,
Semblaient pleurer de tendres Suppliques –
Tels nos Cœurs sous vos pieds, ô Saphos !

Car le Champ est à vous, Moissonneuses,
Tout à vous, adorables Haineuses ! ..
Par un Couchant d’un fier Coloris,

Creusez rythmiquement la Blessure,
Et puissent nos Cœurs endoloris
Mourir, comme les Blés, en Mesure … ?

Q15  T14 – banv –   9s.

Quand on ne vous prend pas encor tout jeunes veaux — 1890 (19)

Raoul Lafagette Les cent sonnets

Vaches et bœufs

Quand on ne vous prend pas encor tout jeunes veaux
Sur l’affreux charreton qui mène aux boucheries,
Le paysan vous soigne au fond des métairies,
Et bientôt vous l’aidez dans ses graves travaux.

Ô Vache nourricière ! il sait ce que tu vaux
Pour changer en bon lait les luzernes fleuries,
Et toi, Bœuf, sous l’azur et les intempéries,
Pour les profonds labeurs par les monts et les vaux !

Courbés dans la lenteur pensive de vos marches,
Vous avez l’air de doux et puissants patriarches,
Dociles compagnons sous le joug accouplés ;

Mais hélas ! dès que vient votre vieillesse forte,
Vous voyez, loin des champs où prospèrent les blés
Des rouges abattoirs s’ouvrir l’horrible porte !

Q15  – T14 – banv

Mais le linge aux senteurs d’Iris, s’il les dénude, — 1890 (18)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Les cornes du faune

V
« Et je n’ai pas parmi les langueurs de la chambre,
La crainte d’avilir l’orgueil de mon baiser
Si j’arrête ma lèvre à vos fossettes d’ambre! »
Albert Mérat

Mais le linge aux senteurs d’Iris, s’il les dénude,
Révèle, pour en mieux aviver la pâleur,
Aux méplats, un léger soupçon de soie en fleur,
Deux lobes, sans, en eux, rien de lâche ou de rude.

Les soirs dolents d’Eté n’ont pas leur quiétude,
Ni la voile qui s’enfle au large leur ampleur,
Ni ta joue où pourtant la tristesse s’élude

Les fossettes de leur sourire ensorceleur.

De chair, croît-on, pétrie avec de la lumière
Leur charme opère en moi de façon coûtumière,
Leur modelé détient mille grâces et plus!
Aussi de quels transports est-ce (ô dieux!) que j’accueille
Ces jumelles splendeurs où, dans des temps voulus,
La plaisante églantine indolemment s’effeuille!

Q14 – T14

Leurs yeux de giroflée ou de myosotis, — 1890 (16)

Ernest Raynaud Les cornes du faune

Pastels

VI

Leurs yeux de giroflée ou de myosotis,
A croire que s’y fige un idéal sirop,
Se mouillent, sous la laine aux blondités factices
Des cheveux que le Portugal imbibe trop.

L’hiatus du sourire offre d’un rang de crocs,
La nacre en des tissus éclatants de cerise,
Et leur joue apâlie (ils la poudrederizent)
Evoque une équivoque image de pierrot.

Leur mine elle est de Mime et s’effémine. Au torse,
Pas une soie, ainsi qu’il siérait à la Force
Ne veloute de brun le safran dans les creux.

Lascifs! Quand méditants d’énivrantes morsures
Les crocs négligemment laissent pendre sur eux
La langue où siègent des promesses de luxures.

Q10 – T14

Naïve, j’ai gardé l’impression première — 1890 (11)

Léon Valade Poèmes posthumes

Dessous de bois

Naïve, j’ai gardé l’impression première
De la forêt nocturne où soudain je pus voir
Sous l’entrelacement du lourd branchage noir,
Rougeoyer, tout au loin, le feu d’une chaumière.

Plus d’une allée au bois, battue et coutumière,
Pour moi prend un aspect étrange à concevoir,
Quand, au pied des grands troncs reculés par le soir,
La ligne d’horizon met de vive lumière.

Mystérieuse, ainsi qu’un rayon projeté
Sur une porte close, éclate la clarté
Au bas des arbres drus, d’où l’ombre épaisse tombe.

J’y retrouve toujours l’ancien tressaillement;
Et, je ne sais pourquoi, je rêve l’outre-tombe
Comme un dessous de bois éclairé vivement.

Q15 – T14- banv

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique — 1890 (9)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet liminaire

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique
pour la matière où sont toutes formes encloses,
et pieusement je veux que l’art, loin des gloses
de la science, essore à l’aile des musiques.

Il sera digne alors de la grâce pudique
des vierges, de leur col fragile, de leurs poses
décentes, il aura pour les apothéoses
nitides, le vague de la mer mélodique.

Fiers mépriseurs de la précision qui sculpte
et cristallise sous les ornements d’un culte
immuable, la vie intense et débridée,

mes vers, neige impollue où s’altère et succombe
la frondaison trop délicate des idées,
nimbent la beauté d’un grand vol froid de colombes.

Q15 – T14 – banv –  rimes féminines

Voici. Ton âme est un lac artificiel — 1890 (5)

Jules TellierOeuvres

Voici. Ton âme est un lac artificiel
Et minuscule ainsi que ceux des Tuileries,
Un bassin très petit sous les branches fleuries
Qui n’a pas assez d’eau pour réfléchir le ciel.

On en voit, à deux pieds, sans plus, le fond réel,
Moins beaux que les reflets d’azur et leur féeries,
De vieux pantins, des pots cassés, des fleurs flétries,
Et mille objets manquant du charme essentiel.

Ton âme, en un jardin sans mystère, que foule
A toute heure le pas indiscret de la foule,
Est un bassin couvert d’oiseaux de toutes parts:

Les cygnes blancs, tendant leurs cous aux belles lignes,
Glissant à la surface au milieu des canards,
– Mais les canards y sont plus nombreux que les cygnes.

Q15 – T14 – banv

De frigides roses pour vivre — 1890 (1)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)


Eventail de Méry Laurent

De frigides roses pour vivre
Toutes la même interrompront
Avec un blanc calice prompt
Votre souffle devenu givre

Mais que tout battement délivre
La touffe par un choc profond
Cette frigidité se fond
En du rire de fleurir ivre

A jeter le ciel en détail
Voilà comme bon éventail
Tu conviens mieux qu’une fiole
Nul n’enfermant à l’émeri

Sans qu’il y perde ou le viole
L’arôme émané de Méry

Q15 – T14 – banv – octo

Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine, — 1889 (27)

Verlaine Dédicaces

A Germain Nouveau

Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine,
Que nous nous sommes vus pour la première fois,
Et, dans King’s Cross mêlant ferrailles, pas et voix,
Reconnus dès l’abord sur notre bonne mine.

Puis, la soif nous creusant à fond comme une mine,
De nous précipiter, dès libres des convois,
Vers des bars attractifs comme les vieilles fois,
Où de longues misses plus blanches que l’hermine

Font couler l’ale et le bitter dans l’étain clair
Et le cristal chanteur et léger comme l’air,
– Et de boire sans soif à l’amitié future !

Notre toast a tenu sa promesse. Voici
Que vieillis quelque peu depuis cette aventure,
Nous n’avons ni le cœur ni le coude transi.

Q15  T14 – banv

Vous aviez des cheveux terriblement — 1889 (26)

Verlaine Dédicaces

A Raoul Ponchon

Vous aviez des cheveux terriblement
Moi je ramenais désespérément ;
Quinze ans se sont passés, nous sommes chauves
Avec, à tous crins, des barbes de fauves.

La Barbe est une erreur de ces temps-ci
Que nous voulons bien partager aussi ;
Mais l’idéal serait des coups de sabres
Ou même de rasoirs nous faisant glabres.

Voyez de Banville, et voyez Lecon-
Te de Lisle, et tôt pratiquons leur con-
Duite et soyons, tes ces deux preux, nature.

Et quand dans Paris, tels que ces deux preux,
Nous rions, fleurant de littérature,
Le peuple, ébloui, nous prendra pour eux.

Q55  T14  10s