Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Es-tu bien sûr, ami, qu’elle n’ait pu l’entendre ; — 1881 (16)

Cécile Coquerel (C.Ga y) Matin et soir

Réponse à Arvers

Es-tu bien sûr, ami, qu’elle n’ait pu l’entendre ;
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ?
Une femme, crois-moi, sait toujours le comprendre
Ce langage muet qui se parle tout bas.

Si Dieu l’avait créée à la fois douce et tendre,
Elle a dû se livrer de douloureux combats,
Et tenir à deux mains son coeur pour le défendre
Contre un amour si vrai qu’il ne se trahit pas.

A l’austère devoir pieusement fidèle,
Sa vertu la plus haute était peut-être celle
De paraître insensible et distraite à ta voix.

Penses-tu seul avoir un secret dans ton âme ?
Il est sur cette terre, ami, plus d’une femme
Qui garde un front serein tout en traînant sa croix.

Q 8  T15 – arv

Cette réponse a été ensuite gravée par les soin de mademoiselle Casalonga qui l’a mis en musique

L’étal resplendissait aux flambes du matin. — 1881 (12)

Théodore HannonRimes de joie

Citrons

L’étal resplendissait aux flambes du matin.
Les rougets surchauffés reflêtaient leurs cinabres
Au ventre des turbots en robe de satin,
Et les saumons d’argent avaient l’éclat des sabres.

Sur le marbre laiteux les cabillauds camards
S’allongeaient, lourds voisins de l’ablette irisée;
Dans leur justaucorps pourpre éclataient les homards
Près de l’algue où baîllait l’huître vertdegrisée.

Mais les citrons surtout me charmaient: fruits joyeux
Crevant comme un sein dur le fin papier soyeux…
Leur parfum m’est plus doux que le parfum des fraises,

Et longtemps j’aimerai leurs contours séduisants
Car devant les citrons effilés et luisants
Je rêve aux tétins d’or pâle des Japonaises.

Q59 – T15

Blanchisseuse aux robustes hanches, — 1881 (9)

A. GillLa muse à bibi

Pour la blanchisseuse

Blanchisseuse aux robustes hanches,
Quand avril, sur le ciel léger,
Fait les nuages voltiger,
En délicates avalanches,

J’imagine les choses blanches
Qu’après la lessive, au verger,
Les petites mains font neiger
Sur les cordes et sur les branches,

Et que jaloux de copier
Jusqu’aux détails de son métier,
Fille exquise, le ciel te singe;

Et je songe en riant: parbleu!
Voici qu’aux bords du pays bleu
Les anges font sécher leur linge.

Q15 – T15 – octo

‘Triboulet est un vrai Fol — 1881 (8)

Anatole de MontaiglonSonnets tirés de Rabelais

XLVIII – (Livre III cap. 38)

‘Triboulet est un vrai Fol
– Grimault – A la marrabaise –
– A toudie – A la grandlaise –
-De perspective – A licol –

– D’ut,ré,mi, fa, si, la, sol
– D’architreve – De cymaise
– A chaperon – De fournaise
– De béquarre – de bémol –

– Culinaire – Conclaviste –
– Modal – Marmiteur – Sommiste –
– Bigearre – A double rebras

– Collatéral – A sonnettes
– De mère-goutte – A pompettes;
– Il est fol à cent carats  »

Q15 – T15 – 7s

Le son du cor s’afflige vers les bois — 1881 (5)

Paul VerlaineSagesse

Le son du cor s’afflige vers les bois
D’une douleur qu’on veut croire orpheline
Qui vient mourir au bas de la colline
Parmi la brise errant en courts abois.

L’âme du loup pleure dans cette voix
Qui monte avec le soleil qui décline
D’une agonie on veut croire câline
Et qui ravit et qui navre à la fois.

Pour faire mieux cette plainte assoupie
La neige tombe à longs traits de charpie
A travers le couchant sanguinolent,

Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone,
Où se dorlote un paysage lent.

Q15 – T15 – déca

Du sein des riches fleurs d’Asie — 1881 (1)

Arthur BretonLe Garde-forestier. sonnets –

Le Sonnet

Du sein des riches fleurs d’Asie
Le parfum sort plus pénétrant
Et l’or du Palerne enivrant
S’épure en l’amphore choisie.

Le Sonnet d’émail transparent
Ainsi fait luire, ô poésie,
Ta quintessence d’ambroisie
Dans son beau calice odorant;

Et, lorsqu’on penche cette coupe,
Qu’à vives facettes découpe
La pointe du vers raffiné,

L’idée au travers étincelle,
Et plus poétique ruisselle
Du Vase avec art buriné.

Q16 – T15 – octo – s sur s

Némésis secoua le peintre frémissant, — 1880 (22)

Eugène Pottier in Oeuvres complètes (ed.1966)

Le triomphe de l’ordre
Tableau d’Ernest Picchio sur le Mur des Fédérés

Némésis secoua le peintre frémissant,
Il eut de l’abattoir la vision complète,
Ramassa la cervelle et le caillot de sang,
Et des tons de massacre il chargea sa palette.

Sous sa brosse on revit les canons vomissant ;
La cigarette aux doigts, le meurtre en épaulette ;
Les croix, le mur sinistre et le talus glissant
Et les martyrs sur qui l’avenir se reflète.

Le Triomphe de l’Ordre ! o travailleurs, voyez!
Resterez-vous ainsi mutilés, foudroyés ;
Sentez-vous pas en vous courir Quatre-vingt-treize ?

Cadavres par les trous qu’ont fait les biscaïens
Dans vos chairs, vous criez : Aux armes, citoyens !
La mort à pleins fossés chante la Marseillaise !

Q8  T15

Quand j’étais tout petit, j’aimais les godiveaux, — 1880 (18)

Charles Monselet Poésies complêtes

Le godiveau

Quand j’étais tout petit, j’aimais les godiveaux,
Où, modeste traiteur, souvent tu te révèles.
A présent que je vais aux recettes nouvelles,
Et que mon appétit vole aux gibiers nouveaux,

Je me souviens. Malgré grives et bartavelles,
Je regrette le temps où, fou de maniveaux,
Je dévorais la croûte où nageaient les cervelles
Et les crêtes de coq avec les ris de veaux.

Les godiveaux, orgueils des bourgeoises familles
Etaient, en ce temps-là, pareils à des bastilles;
La salle s’imprégnait de leurs puissants parfums:

Et, jeune âme déjà conquise à la cuisine,
J’oubliais de presser le pied de ma cousine.
– Et je pleure, en songeant aux godiveaux défunts.

Q17 – T15 (Tlf) godiveau : Hachis composé de viande, de graisse de rognons de bœuf et d’œufs, ou de poisson, et utilisé comme farce pour des quenelles ou pour la garniture d’un pâté chaud – maniveau : Vieilli. Petit plateau d’osier sur lequel on présente certains comestibles destinés à la vente

Je connais dans un coin de province un brave homme — 1880 (13)

Narzale Jobert Klimax

XII septies
Césures après les 3ème, 6ème et 9ème syllabe
La croix de l’honneur

Je connais dans un coin de province un brave homme
Qui n’a point inventé le fusil chassepot;
Bon bourgeois, excellent à grossir son magot,
Et faisant, chaque jour, à midi, un long somme.

O surprise! un matin il advient qu’on le nomme
Chevalier. Le journal nous l’apprend aussitôt.
Vous pensez si chacun là-dessus dit son mot!
Le pays caquetait, il fallait ouïr comme!

Un plaisant à l’esprit incisif et malin
Estompait lestement un feuillet de vélin;
L’heureux homme avait là sa figure imitée.

Il levait ses regards vers un Christ sur la croix,
Et disait, sur la sienne apposant ses dix doigts:
« O Seigneur, vous ni moi ne l’avions méritée!  »

Q15 -T15 – ( 3+3+3+3)  – Alexandrins anapestiques stricts