Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Napoléon mourant vit une Tête armée … — 1854 (10)

Gérard de Nerval Les Chimères

La tête armée

Napoléon mourant vit une Tête armée …
Il pensait à son fils déjà faible et souffrant:
La Tête, c’était donc sa France bien-aimée,
Décapitée aux pieds du César expirant.

Dieu, qui jugeait cet homme et cette renommée,
Appela Jésus-Christ; mais l’abyme, s’ouvrant,
Ne rendit qu’un vain souffle, un spectre de fumée:
Le Demi-Dieu vaincu se releva plus grand.

Alors on vit sortir du fond du purgatoire
Un jeune homme inondé des pleurs de la Victoire,
Qui tendit sa main pure au monarque des cieux;

Frappés au flanc tous deux par un double mystère,
L’un répandait son sang pour féconder la Terre,
L’autre versait au Ciel la semence des Dieux!

Q8 – T15

Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au coeur — 1854 (8)

Gérard de Nerval Les Chimères

Antéros

Tu demandes pourquoi j’ai tant de rage au coeur
Et sur un col flexible une tête indomptée;
C’est que je suis issu de la race d’Antée,
Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.

Oui, je suis de ceux-là qu’inspire le Vengeur,
Il m’a marqué le front de sa lèvre irritée,
Sous la pâleur d’Abel, hélas! ensanglantée,
J’ai parfois de Caïn l’implacable rougeur!

Jéhovah! le dernier, vaincu par ton génie,
Qui, du fond des enfers, criait: « O tyrannie! »
C’est mon aïeul Bélus ou mon père Dagon …

Ils m’ont plongé trois fois dans les eaux du Cocyte,
Et, protégeant tout seul ma mère Amalécyte,
Je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon.

Q15 – T15

Le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers: — 1854 (7)

Gérard de Nerval Les Chimères

Horus

Le dieu Kneph en tremblant ébranlait l’univers:
Isis, la mère, alors se leva sur sa couche,
Fit un geste de haine à son époux farouche,
Et l’ardeur d’autrefois brilla dans ses yeux verts.

« Le voyez-vous, dit elle, il meurt, ce vieux pervers,
Tous les frimas du monde ont passé par sa bouche,
Attachez son pied tors, éteignez son oeil louche,
C’est le dieu des volcans et le roi des hivers!

L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle,
J’ai revêtu pour lui la robe de Cybèle …
C’est l’enfant bien-aimé d’Hermès et d’Osiris!  »

La déesse avait fui sur sa conque dorée,
La mer nous renvoyait son image adorée,
Et les cieux rayonnaient sous l’écharpe d’Iris.

Q15 – T15

Blanche beauté, douce merveille, — 1853 (1)

Evariste Boulay-PatySonnets

A une jeune fille

Blanche beauté, douce merveille,
Chaste enfant, légère et vermeille,
Je suis saisi d’un tremblement
Rien qu’à t’effleurer seulement;

O jeune fille sans pareille,
Bouton de rose, svelte abeille,
Non, non, je n’ose pas vraiment
T’entourer la taille un moment;

Je sens une frayeur étrange,
J’ai peur que tu ne sois un ange,
Et que tout à coup, à mes yeux,

Entre tes épaules si belles
Tu n’ouvres d’invisibles ailes,
Et ne retournes dans les cieux.

Q1 – T15 – octo

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée — 1851 (9)

Charles-Simon-Frédéric Devert Poésies


La dernière heure de l’année, sonnet

Lorsque, dans son trajet, vers minuit ramenée
L’aiguille, sur l’émail achèvera son tour,
Quand sonnera cette heure où finit chaque jour,
Avec son dernier bruit expirera l’année.

Pour toi, fille du temps, par ton père entrainée,
Le terme est arrivé d’un règne, hélas! bien court ! …
Dans l’abîme éternel tu tombes sans retour ;
Une nouvelle sœur succède à son ainée.

Si le passé n’obtient qu’un faible souvenir,
Notre espérance avide accueille l’avenir ;
Trop lent à notre gré chaque soleil se lève …

Et chacun d’eux, témoin de nos vœux insensés,
Les verra, dans son cours, déçus et dispersés,
De même qu’au réveil s’évanouit un rêve ! …

Q15  T15

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre, — 1851 (8)

Albert Richard d’Orbe Poésies

Sonnet traduit du portugais de Camoens

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre,
Qu’un bonheur éternel t’enivre dans les cieux !
Qu’à ce prix, s’il le faut, je porte solitaire
Longtemps encor le poids de mes jours malheureux !

Mais parmi les élus, au séjour de lumière,
S’il reste un souvenir de ces funèbres lieux,
Rappelle-toi l’amour, l’amour pur et sincère
Dont naguère tu vis étinceler mes yeux.

Et si ce coup fatal, si la noire tristesse,
Le désespoir sans borne où ton trépas me laisse,
Paraissent mériter de toi quelque retour,

Au Dieu qui dans sa fleur trancha ton existence
Demande que je meure et vienne en ta présence,
Beauté qu’il a si tôt ravie à mon amour !

Q8  T15  tr

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère — 1851 (7)

Félix Dortée Poésies

Sonnet à Mademoiselle Teresa Milanollo

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère
Produit des sons si purs et si mélodieux,
Car vous êtes un ange envoyé sur la terre,
Pour nous donner sans doute un avant-goût des cieux !

Oui, d’admiration tressaillant tout entière,
Si vous n’eussiez caché vos ailes à ses yeux,
La foule aurait courbé son front vers la poussière,
Dans un ravissement long et silencieux.

Poursuivez en tous lieux votre mission sainte ;
Prodiguez ces accords dont l’ineffable empreinte
D’un être surhumain est le révélateur.

Pourquoi même nier sa nature angélique,
Un archer sous vos doigts est un sceptre magique
Qui vous assujettit et l’oreille et le cœur.

Q8  T15

Teresa, l’aînée des filles Milanollo, est née à Savigliano, le 28 août 1827. Elle aurait été touchée par la grâce, alors qu’elle assistait à la messe où se produisit un violoniste. A son père qui lui demanda si elle avait bien prié Dieu, elle répondit : « Non Père, j’ai seulement écouté le violon ». Elle étudie l’instrument dès l’âge de quatre ans, se produit avec éclat en concert et vient s’installer à Paris, avec ses parents, en 1835. Elève de Lafont et Habeneck, Teresa entame une carrière de concertiste à quatorze ans. Ses débuts, à la société des concerts du Conservatoire de Paris, le 18 avril 1841, enthousiasment Berlioz : « A la dernière mesure, une acclamation, un cri, un hourra de toute la salle renvoyé en écho par les musiciens de l’orchestre ont salué la sortie de mademoiselle Milanollo qui, sans être autrement émue que s’il se fût agi de quelques compliments à elle adressés dans un salon, s’en est allée souriante embrasser sa mère qui comprenait mieux que quiconque l’importance d’un pareil succès, en pareil lieu, devant un aussi terrible aréopage ». La jeune prodige abandonne les tournées après son mariage. Elle meurt à Paris le 25 octobre 1904. Est enterrée au Père-Lachaise

Le soir arrive épais : des blancheurs disparues — 1851 (6)

Xavier Aubryet même source

Porchers des Cévennes

à Charles Chaplin, qui a peint des cochons et des femmes

Le soir arrive épais : des blancheurs disparues
Reste une bande étroite, au ciel d’un noir profond.
Dans l’ombre, des cochons chassés, bandes goulues,
Pieds souillés, dos soyeux, à leur loge s’en vont.

Oreilles en avant, roides, plates, poilues,
Le groïn barbouillé, renifleur et grognon,
Pêle-mêle entraînés par les pentes ardues,
Leur queue au rond frisé frétille à chaque bond.

Sauvage fantaisie après les élégances
Des portraits féminins aux fines transparences,
A la grâce attendrie, aux tons dorés du miel.

Poésie ! idéal que le réel complète.
Chaque chose sublime ou basse, te reflète.
Les porcs grouillants, la boue, et les femmes, le ciel !

Q8  T15

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine — 1851 (4)

Alfred de Martonne Les offrandes

Aux Lecteurs. Imité de Pétrarque

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine
Ecoutez les soupirs dont j’ai nourri mon coeur,
Aux jours de ma jeunesse, en ma première erreur,
Quand j’étais un autre homme et je portais ma chaîne.

Du style varié dont j’ai chanté ma peine
Et ma vaine espérance et ma vaine douleur,
O vous qui de l’amour avez senti l’ardeur
Vous me pardonnerez la faiblesse incertaine.

Hélas! je le vois bien à mes derniers instants;
Du monde entier je fus la fable trop longtemps,
Et de moi bien souvent je rougis, quand j’y songe.

De ma démence ainsi ma rougeur est le fruit;
Le repentir amer, comme un remords le suit:
Je le vois: ce qui plaît au monde n’est qu’un songe.

Q15 – T15 – tr (Pétrarque rvf 1) « Ces quelques sonnets », explique l’auteur,  » sont extraits de cinq gros volumes, qui contiennent plus de vingt mille vers dans tous les rythmes. L’auteur, après les avoir relus au moment de l’impression, et perdu toutes ses illusions sur leur mérite, et n’a osé livrer que cette faible partie à l’indifférence du public, après l’avoir arraché à la sienne propre.  »

Une deuxième édition, avec 55 sonnets (5 de plus), a paru en 1868, sous le titre Ludibria Ventis.

Or ça, que l’on s’escrime! Un Sonnet! …. – quoi! Marquise, — 1851 (3)

Paul Deltuf Idylles antiques, élégies

Or ça, que l’on s’escrime! Un Sonnet! …. – quoi! Marquise,
Un sonnet? Qu’ai-je fait?, bon Dieu! Pour mériter
De voir ma pauvre muse à telles fins requise?
Savez-vous? … – Pensez-vous qu’on aime à répéter?

Votre docilité, monsieur …. – Vous est acquise
Plus que jamais, madame. – Ah! J’en pourrais douter …
– Voyons: vous le faut-il d’une tournure … – Exquise!
– La peste! – Un joli mot bien fait pour contester!

– Ah!, c’est trop de rigueur! Et cependant ….Victoire!
C’est divin, par le ciel! – Voyez de quelle gloire
Vous aurez, malgré vous, doté mon amitié!

– Amitié, dites-vous?  – C’est un mot pour un autre.
– Ma gloire est à vos pieds, – Nous préférons la nôtre.
– Mais la mienne, en ceci, vous revient de moitié.

Q8 – T15 – s sur s