Archives de catégorie : T15 – ccd eed

Oh ! que je te bénis, ma belle bien aimée ! — 1841 (10)

Moyse Alcan Noéma

Sonnet à Noéma

Oh ! que je te bénis, ma belle bien aimée !
Mon âme qui dormait par toi s’est ranimée,
Et les jours qu’en soucis je passais tristement,
Comme des rêves d’or s’écoulent maintenant.

Gloire, honneur et plaisir, fortune, renommée,
– Vaines illusions dont la vie est semée,
D’un amour éternel valent-ils le serment,
Et le bonheur promis dans ton regard d’aimant ?

Oh ! redis-moi souvent ces deux mots là : Je t’aime !
Ces mots harmonieux qu’envîrait Dieu lui-même,
Et dont je me souviens les yeux baignés de pleurs !

Redis les pour ces jours où la cruelle absence
Va condamner, hélas ! notre bouche au silence,
Sans l’imposer jamais à la voix de nos cœurs !

Q1  T15 Auteur d’un sonnet à la gloire de Louis XVI qui aurait eu ‘de la pitié pour les juifs’ !

Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux, — 1841 (6)

Aloysius Bertrand Oeuvres

A Monsieur Eugène Renduel. Sonnet.

Quand le raisin est mûr, par un ciel clair et doux,
Dès l’aube, à mi-côteau rit une foule étrange:
C’est qu’alors dans la vigne, et non plus dans la grange,
Maîtres et serviteurs, joyeux, s’assemblent tous.

A votre huis, clos encor, je heurte. Dormez-vous?
Le matin vous éveille, éveillant sa voix d’ange.
Mon compère, chacun en ce temps-ci vendange;
Nous avons une vigne; – eh bien! vendangez-vous?

Mon livre est cette vigne, où, présent de l’automne,
La grappe d’or attend, pour couler dans la tonne,
Que le pressoir nouveau crie enfin avec bruit.

J’invite des voisins, convoqués sans trompette,
A s’armer promptement de paniers, de serpettes,
Qu’ils tournent le feuillet: sous le pampre est le fruit!

Q15 – T15

J’ai groupé trois sonnets d’époque différente de l’auteur de Gaspard de la nuit, d’après l’édition récente des oeuvres complètes (M. Poggenburg ne signale pas la césure épique, étrange, au vers 4 de 4). Les circonstances de la composition de 6 (peu avant la mort de Bertrand) sont les suivantes:  » Renduel ne tenait pas sa promesse de publier Gaspard de la nuit. « … E. Cluzel (1957) remarque:  » la répétition dans un même vers du verbe éveiller, employé maladroitement pour évoquer une image peu vraisemblable, imperfection regrettable dans un poème si admirable ». (Le con!)

Ma Muse languissait, triste, inconnue à tous, — 1841 (5)

Aloysius Bertrand Oeuvres

Sonnet à la Reine des Français

Ma Muse languissait, triste, inconnue à tous,
Cachant des pleurs amers parmi sa manteline;
Soudain elle reprend crayon et mandoline.
Muse, quel ange donc s’est assis entre nous?

Madame, il est un ange, au front riant et doux,
Ange consolateur qui, dès l’aube, s’incline
Vers les mortels souffrants, la veuve et l’orpheline,
L’enfant et le vieillard, – et cet ange, c’est vous!

Votre nom soit béni! – ce cri qui part de l’âme,
Ne le dédaignez point de ma bouche, Madame!
Un nom glorifié vaut-il un nom bêni?

Oh! Je vous chante un hymne avec joie et courage,
Comme l’oiseau mouillé par le nocturne orage
Chante un hymne au soleil qui le sèche en son nid!

Q15 – T15

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor — 1841 (4)

Aloysius Bertrand Oeuvres (ed.Poggenburg)


A Victor Hugo, poète. Sonnet

Gloire à toi dans la langue et du Pinde et d’Endor
Gloire à toi dont les vers, sublime poésie,
Se nourrissent de sang, de miel et d’ambroisie,
D’une colombe éclose dans le nid du condor!

Non, tu ne joutes point comme le picador
Qu’aux tournois de taureaux, chers à l’Andalousie,
Un sourire amoureux enivre et rassasie
Sous les balcons tendus de fleurs, d’ivoire et d’or.
Depuis Napoléon nul qui soit de ta taille
Au siècle n’a joué plus immense bataille –
Poète qui combats avec un luth de fer!

Et nul de ton soleil que la gloire environne
Ne t’a précipité sans vie ou sans couronne
Comme Napoléon ou comme Lucifer.

Q15 – T15 – disposition notable : 4+7+3 – césure épique au vers 4

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ? — 1840 (15)

Antony Duvivier in L’art en province

A un jeune homme

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ?
Qui donc a pu sitôt désenchanter ton cœur ?
De tes illusions la fleur serait flétrie,
Et tu ne croirais plus à ton âge, au bonheur ?

Non ! tu penses à tort la jeunesse ternie ;
Sur ton front de vingt ans le souffle du maheur
N’a point encor passé. Dans la mélancolie
Tu plonges trop avant, tu trouves la douleur.

Mais pourquoi donc ainsi t’abreuver d’amertume ?
Du monde où nous vivons le mal n’est que l’écume ;
Et si le mal abonde, il est vite effacé.

Laisse tes noirs pensers ! Le chagin, à ton âge,
Est un torrent d’été grossi par un orage.
Le flot rentre en son lit, quand l’orage est passé.

Q8  T15

L’hirondelle au col noir, bohémienne des airs, — 1840 (14)

Eugène de Chambure Transeundo

Sonnet

L’hirondelle au col noir, bohémienne des airs,
A pour fendre l’espace une aile aventureuse ;
Le cerf, dans la forêt immense et ténébreuse,
A pour courir ses pieds, vifs comme les éclairs.

Pour visiter les cieux ou les ombrages verts
Nous n’avons, cet aveu coûte à l’âme orgueilleuse,
Ni le jarret d’acier ni l’aile vigoureuse
Qui parcourt en tous sens le mobile univers.

Mais nous avons l’esprit, cette force invisible,
Dont chaque siècle accroît l’élan irrésistible,
Et qui monte toujours comme un flux en courroux.

Comme vous gris oiseaux, nous montons aux nuages ;
Comme les tiens, beau cerf, nos pas sont des voyages ;
Ah ! nous sommes pourtant plus malheureux que vous !

Q15  T15

Il sait tout deviner sans qu’on lui dise rien ; — 1840 (13)

Théodore de Foudras Echos de l’âme

Le chien

Il sait tout deviner sans qu’on lui dise rien ;
Si nous pleurons, il pleure, et lorsque la souffrance
Même chez l’amitié trouve l’indifférence,
Il comprend aussitôt qu’il est son dernier bien.

Pour lui tout est devoir, pour lui tout est lien ;
Quand il s’est devoué telle est sa jouissance
Qu’il semble encor avoir de la reconnaissance,
Il n’est point exigeant, point ingrat, il est chien.

S’il voit une blessure à l’instant il la lèche ;
Si son maître est soldat il le suit sur la brèche,
Et si le guerrier meurt il s’attache au drapeau.

Ce qu’il donne ou reçoit n’est jamais un échange.
Il demeure immuable auprès de ce qui change.
Il va du père au fils, et du fils au tombeau.

Q15  T15

En ces temps d’amertume et de vague tristesse, — 1840 (12)

Richard de La Hautière Etudes et souvenirs


En ces temps d’amertume et de vague tristesse,
Horizons nébuleux des beaux jours de jeunesse,
Où l’on pleure, où l’on sent son âme défaillir,
Où sans savoir pourquoi l’on espère mourir ;

Heures que l’on dérobe au monde qui vous blesse
Pour gémir à son aise et couvrir sa faiblesse ;
Où l’on voit tout en noir, où l’oeil du souvenir
Dans un sombre passé cherche un sombre avenir ;

Jours d’affreux désespoir, de doute et de colère,
Où l’homme fatigué de l’humaine misère,
Se révolte et maudit la main qui le créa :

Alors ma main tremblante interroge la lyre,
Et mon cœur se dégonfle, et ma douleur expire :
La lyre, en frémissant, murmure : JULIA !

Q1  T15

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir ! — 1840 (10)

Céphas Rossignol Dieu et famille

Sonnet

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir !
Il est si bon de vivre et d’aimer à notre âge :
Et puis, nous avons tant de choses à bénir
Avant que notre vie ait perdu son ombrage !

Loin de vous je ne sais que faire et devenir :
Je vais à droite – à gauche – et n’ai pas de courage ;
Je porte en moi, partout, votre doux souvenir,
Et les heures sans vous me semblent un outrage !

Mais, quand vous m’appelez près de vous, quand vos yeux,
Comme un rayon mouillé qui nous tombe des cieux,
S‘arrêtent, tout d’abord, sur mon front, pour y lire.

Oh ! je me sens renaître alors, et je n’ai plus
Qu’une joie infinie en l’âme, et les Elus
Ont bien moins que mon cœur des cordes à leur lyre !

Q8  T15

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage, — 1840 (9)

Jean-Pierre Veyrat La coupe de l’exil

Sonnet

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage,
S’apaise doucement dans un rêve d’amour ;
Si brisé par les flots je retrouve au rivage
Les biens que j’avais crus échappés sans retour ;

Si comme une hirondelle après un long voyage
L’espérance revient habiter mon séjour ;
Si l’étoile qui brille au-dessus du nuage,
Phare aux divins rayons, à mon ciel luit toujour ;

Je le dois à tes soins, ô fille bien-aimée !
Ma lèvre a bu l’oubli dans ta coupe embaumée,
Et ta voix a charmé la tempête et la mort.

Pour sécher mes cheveux inondés par la lame,
Et rallumer mes yeux à tes baisers de flamme,
Ange consolateur, tu m’attendais au port !

Q8  T15  – pour que le vers 8 rime classiquement, le poète écrit ‘toujour’