Archives de catégorie : T20 – cdc dcd

L’aurore a des pudeurs virginales, des voix — 1924 (1)

Francis Viélé-GriffinOeuvres

L’aurore a des pudeurs virginales, des voix
Qui font rêver le fol espoir d’aimer une autre,
En cette solitude, hélas! qui fut la nôtre,
Aux jours d’alors, et tout ce passé que tu vois;

L’Aurore a Tes pudeurs virginales, Ta voix,
Vibrante voix d’alors qui n’eut jamais une autre,
Mais cet amour très chaste et saint qui fut le nôtre
S’en est allé de ta chère âme, je le vois!

A pas très lents, par la charmille basse, où notre
Premier rêve a chanté le duo de nos voix,
Je vais parlant le rêve, il semblerait d’un autre;

Oh! mourons – que me font les choses que je vois
En cette solitude, hélas! qui fut la nôtre,
Aurore, et ta pudeur virginale, et tes voix!

Q15 – T20 – trois mots-rimes: ‘voix’, ‘autre’, ‘nôtre’

Dans un bordel de Constantine — 1921 (6)

Mathias Lübeck in L’Oeuf dur

La clef des champs

Dans un bordel de Constantine
Constantin Constant faux margis
Fait l’amour avec Constantine
Constantin est un affranchi.

Il sait jouer à la belote
Est nazi, tante & tatoué,
Crache à huit, couvres ses bottes,
Et fut quatre fois condamné.

Mais la police militaire
Viendrait lui chercher des oraisons
Qu’il n’essaierait pas de les taire

Pour toutes sortes de raisons.
La clef des champs est éphémère
Et je trouve qu’il a raison.

Q59 – T20 – octo – v10:9syll

Lèvres chaudes qu’un pivois mouille, — 1920 (15)

André Salmon Le livre et la bouteille

Gravé sur un manche à balai

Lèvres chaudes qu’un pivois mouille,
Offertes en d’autres saisons
Au baiser de Mylord l’Arsouille!
Mégère d’illustre maison!

J’aime, lorsque la lune oblique
Coule jaune et blanche aux égouts,
Portière au regard de mangouste,
Suivre tes nuits parédéniques.

Et j’aime en le soir hérissé
D’un lourd parfum de synagogue
Entendre, ô poètes blessés,

La fille des Paléologue
Tenir des discours insensés
Au perroquet bleu philologue.

Q59 – T20 – octo

Monnayer l’or des couchants! — 1920 (14)

Raymond Radiguet in Oeuvres, ed. 2001

Champ de Mars

Monnayer l’or des couchants!
Que les clairons militaires
Berceurs du stérile champ
Ensemencent d’autres terres

Oreille insensible aux chants
Qui s’envolent de Cythère
Je suis devenu méchant
A force de battre l’aire

Le temps est un laboureur:
Rides tracées sans charrue
Vaine d’un astre empereur

Car son pégase qui rue
Ne pourrait voir sans horreur
Fleurir les chansons des rues

Q8 – T20 – 7s

Rieuse et si peut-être imprudemment laurée — 1919 (2)

André BretonMont de piété

Rieuse

Rieuse et si peut-être imprudemment laurée
La jeunesse qu’un faune accouru l’aurait ceinte
Une Nymphe au Rocher qui l’âme (sinon peinte
L’ai-je du moins surprise au bleu de quelque orée)

Sur la nacelle d’or d’un rêve aventurée
– De qui tiens-tu l’espoir et ta foi dans la vie? –
Des yeux reflèteraient l’ascension suivie
Sous l’azur frais, dans la lumière murmurée ….

– Non plutôt de l’éden où son geste convie
Mais d’elle extasiée en blancheur dévêtue
Que les réalités n’ont encore asservie:

Caresse, d’aube, émoi pressenti de statue,
Eveil, aveu qu’on n’ose et pudeur si peu feinte,
Chaste ingénuité d’une prière tue.

Q45  T20 rimes féminines

Elle vit d’une vie infinie et plus haute — 1918 (6)

Tolia Dorian Poésies lyriques

La Joconde

Elle vit d’une vie infinie et plus haute
Que le Présent instable en sa réalité :
Les siècles font cortège à sa grâce sans faute,
Et dorent, en passant, son éternel été.

D’un sanctuaire altier elle est le très pur hôte,
Placide et venimeuse Idole de beauté ;
Ses yeux pervers n’ont pas une ombre que leur ôte
Leur sereine et railleuse invincibilité …

O Dame au fin sourire, aux cheveux blonds de cendre,
Dame au large front ceint du ruban emperlé !
A nul mortel, voulant pénétrer ton air tendre,

De tes lèvres-serpents tu n’as jamais parlé …
Et tes royales mains n’ont pas laissé surprendre
Un seul secret des plis dont ton sein est voilé !

Q8  T20

Lundi huit février ma biche — 1915 (7)

Guillaume Apollinaire Poèmes à Lou


Sonnet du 8 février 1915

Lundi huit février ma biche
Ma biche part
Suis inquiet elle s’en fiche
Buvons du marc

Vrai qu’au service de l’Autriche
(Patate et lard)
Le militaire est très peu riche
Je m’en fous car

Il peut bien vivre d’Espérance
Même il en meurt
Au doux service de la France

Un Artilleur
Mon âme à ta suite s’élance
Adieu mon cœur

Q8  T20 – 2m : v.impairs octo, vers pairs 4 syll

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre, — 1912 (5)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc

II

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre,
Et qu’on était content de son exactitude,
On mit sous sa houlette et son inquiétude
Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire.

Et comme elle veillait devant le presbytère,
Dans les soirs et les soirs d’une longue habitude,
Elle veille aujourd’hui sur cette ingratitude
Sur cette auberge énorme et sur ce phalanstère.

Et quand le soir viendra de toute plénitude,
C’est elle la savante et l’antique bergère,
Qui ramassant Paris dans sa sollicitude

Conduira d’un pas ferme et d’une main légère
Dans la cour de justice et de béatitude
Le troupeau le plus sage à la droite du père.

Q15 – T20 – y=x : c=b & d=a

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre, — 1912 (4)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc
Premier jour
Pour le vendredi 3 janvier 1913
Fête de Sainte Geneviève
Quatorze cent unième anniversaire de sa mort

I

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre,
On la mit à garder un bien autre troupeau,
La plus énorme horde où le loup et l’agneau
Aient jamais confondu leur commune misère.

Et comme elle veillait tous les soirs solitaire
Dans la cour de la ferme ou sur le bord de l’eau,
Du pied du même saule et du même bouleau
Elle veille aujourd’hui sur ce monstre de pierre.

Et quand le soir viendra qui fermera le jour,
C’est elle la caduque et l’antique bergère,
Qui ramassant Paris et tout son alentour

Conduira d’un pas ferme et d’une main légère
Pour la dernière fois dans la dernière cour
Le troupeau le plus vaste à la droite du père.

Q15 – T20 – y=x : d=a

Le chemin qui mène aux étoiles — 1908 (8)

Guillaume Apollinaire in La Phalange

Pipe

Le chemin qui mène aux étoiles
Est pur sans ombre et sans clarté
J’ai marché mais nul geste pâle
N’atténuait la voie lactée

Souvent pour nouer leurs sandales
Ou pour cueillir des fleurs athées
Loin des vérités sidérales
Ceux de ma troupe s’arrêtaient

Et des chœurs porphyrogénètes
S’agenouillaient ingénument
C’étaient des saints et des poètes

Egarés dans le firmament
J’étais guidé par la chouette
Et n’ai fait aucun mouvement

Q8  T20  octo