Archives de catégorie : T20 – cdc dcd

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes, 1898 (4)

Jean Moréas Poésies 1886-1896

Choeur

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes,
Démon Concept, tu t’ériges et tu suspends
Les males heures à ta robe, dont les pans
Errent au prime ciel comme un vol de colombes.

Toi, pourquoi sur l’autel fumant en hécatombes
Les lourds désirs plus cornus que des égipans,
Electuaire sûr aux bouches de serpents,
Et rite apotropée à la fureur des trombes;

Toi, sistre et plectre d’or, et médiation,
Et seul arbre debout dans l’aride vallée,
O Démon, prends pitié de ma condition;

Eblouis-moi de ta tiare constellée,
Et porte en mon esprit la résignation,
Et la sérénité en mon âme troublée.

Q15 – T20

Voulant encourager ses aurores charmées, — 1897 (7)

LevetLe drame de l’allée

III

Voulant encourager ses aurores charmées,
Le soleil, qui vous remarquait et vous baisa,
Laissa sur votre peau ses teintes plus aimées,
Pour poser ses rayons qu’aux reines il lança!

De larges papillons aux ailes imprimées,
Laquais trop effrontés qu’un vent jaloux chassa,
Sans répondre à l’élan des roses alarmées,
S’envolèrent désorbités de ci, de là ….

Respirai-je la fleur par le soleil élue,
Rayonnante aux jardins enfiévrés de chaleur,
Déplorant le conseil d’une sainte mévue,

Car le soleil jaloux du poète voleur,
A lâchement placé, sentinelle imprévue,
Qui veillait, le serpent-minute dans la fleur.

Q8 – T20

J’ai de l’amour pour l’art Chinois et Japonais, — 1891 (13)

Le concours de La Plume

Emmanuel Souinet

Vers ciselés

J’ai de l’amour pour l’art Chinois et Japonais,
Pour l’ivoire sculpté, la fine porcelaine,
Les mille bibelots fouillés et raffinés,
Où l’on n’a ménagé ni le temps ni la peine.

J’aime ces bibelots; on n’y suit pas l’haleine
Des concepts réfléchis et bien déterminés,
Mais ils ont leur beauté dans un autre domaine,
Elle est dans les détails finement burinés.

Tel est l’art du poète amoureux de la forme,
Ciselant son poème avec fidélité
Et s’assujettissant en esclave à la norme.

Qu’importe que mon vers soit peu mouvementé,
Il est beau par lui-même, et si ses oeuvres dorment,
C’est d’un sommeil auguste et plein de majesté.

Q11 – T20

Sa douceur qui n’est pas excessive, — 1889 (21)

Verlaine Dédicaces

à J-K. Huysmans

Sa douceur qui n’est pas excessive,
Elle existe mais il faut la voir,
Et c’est une laveuse au lavoir
Tapant ferme et dru sur la lessive.

Il la veut blanche et qui sente bon
Et je crois qu’à force il l’aura telle.
Mais point ne s’agit de bagatelle
Et la tâche n’est pas d’un capon.

Et combien méritoire son cas
De soigner ton linge et sa détresse,
Humanité, crasses et cacas.

Sans jamais d’insolite paresse,
O douceur du plus fort des J.-K.,
Tape ferme et dru, bonne bougresse !

Q63  T20  9s

L’or des bandeaux, la fraise de la bouche, ces — 1889 (5)

Le Décadent

?

La caissière

L’or des bandeaux, la fraise de la bouche, ces
Bluets captifs aux rais adorables des cils,
Le jeu du doigt dompteur d’une boucle indocile:
Mais pourquoi ces brillants comme si ça poussait?

Neige des mains, braises des bagues et vos conques,
Ongles où meurt le carmin tendre des oeillets,
Et la lumière de la joue où sommeillait
Le rêve de ce clair visage un peu quelconque.

Quelconque un peu, mais si charmant et tant amène..
Lueur du front! Rythme du sein! Et pas de doute,
Rien de méchant sur ce visage tant amène…

Et ces purs doigts, ces yeux de songe, et toute, et toute!
C’est ton ciboire, ô soif d’un coeur épris d’hymen,
Ta chope aussi pour le régal de l’avoir Toute!

Q49 – T20 – Le vers 2 a une rime masc, le v.3 fem

« Nota – Voici des vers d’un de nos sympathiques et illustres amis, d’un des maîtres incontestés de l’Art moderne, que des circonstances indépendantes de sa volonté avaient tenu éloigné de nous. Tous les lettrés reconnaîtront sa marque sans seconde. « 

Mâle et viril poète aux pensers d’or, j’admire, — 1888 (27)

Le Décadent

A Stéphane Mallarmé

Mâle et viril poète aux pensers d’or, j’admire,
Contemplateur, tes vers limpides où se mire,
Ainsi qu’en un cristal, l’irradiant flambeau
De ton âme, – paradisiaque tombeau!

Et ne crains rien, jamais  -: d’envieux auront beau
Clamer, comme devant tout génial tableau,
Un jour, ceux qui ne se charment pas à te lire,
Viendront s’agenouiller à la voix de ta lyre;

Soit que, tendre ou hautain, ton verbe si cruel
S’adoucisse parfois en des azurs de ciel,
Ou soit que de ton front jaillissent, fiers, superbes,

– Epanouissement harmonieux de gerbes –
Des vols plus puissants que des rayons de soleil,
Mourant dans une apothéose au sang vermeil!

André de Bréville

Q6 – T20

Je sais faire des vers perpétuels. Les hommes — 1888 (13)

Charles CrosLe Collier de griffes

Sonnet

Je sais faire des vers perpétuels. Les hommes
Sont ravis à ma voix qui dit la vérité.
La suprême raison dont j’ai, fier, hérité
Ne se payerait pas avec toutes les sommes.

J’ai tout touché: le feu, les femmes, et les pommes:
J’ai tout senti: l’hiver, le printemps et l’été;
J’ai tout trouvé, nul mur ne m’ayant arrêté
Mais Chance, dis-moi donc de quel nom tu te nommes;

Je me distrais à voir à travers les carreaux
Des boutiques, les gants, les truffes et les chèques
Où le bonheur est un suivi de six zéros.

Je m’étonne, valant bien les rois, les évêques,
Les colonels et les receveurs généraux
De n’avoir pas de l’eau, du soleil, des pastèques.

Q15 – T20

Le vent impur des étables — 1888 (11)

Charles CrosLe Collier de griffes

Liberté

Le vent impur des étables
Vient d’Ouest, d’Est, du Sud, du Nord.
On ne s’assied plus aux tables
Des heureux, puisqu’on est mort.

Les princesses aux beaux rables
Offrent leurs plus doux trésors.
Mais on s’en va dans les sables
Oublié, méprisé, fort.

On peut regarder la lune
Tranquille dans le ciel noir.
Et quelle morale? … aucune.

Je me console à vous voir,
A vous étreindre ce soir
Amie éclatante et brune.

Q8 – T20 – octo

Il y a une heure bête — 1888 (10)

Charles CrosLe Collier de griffes

Berceuse

Il y a une heure bête
Où il faut dormir.
Il y a aussi la fête
Où il faut jouir.

Mais quand tu penches la tête
Avec un soupir
Sur mon coeur, mon coeur s’arrête
Et je vais mourir ….

Non! ravi de tes mensonges,
O fille des loups,
Je m’endors noyé de songes

Entre tes genoux.
Après mon coeur, que tu ronges
Que mangerons-nous?

Q8 – T20 – 2m (octo ; 5s: vers pairs)

Vous qui prêtez l’oreille à cette plainte amère — 1887 (2)

J. Casalis et E. de Ginoux (trad.)Cinquante sonnets de Pétrarque

Vous qui prêtez l’oreille à cette plainte amère
De mes vers, long soupir à l’écho confié,
Dont j’ai nourri mon coeur trop plein de sa chimère,
Quand il ne s’était pas encor purifié.

Pour mes chants de triomphe et mes cris de misère,
Comme pour mon orgueil déjà tant expié,
Parmi vous tous qu’Amour a fait souffrir, j’espère,
A défaut de pardon, trouver quelque pitié.

Je vois trop maintenant que de la multitude
Je fus longtemps la fable; aussi bien, dans mon coeur,
Je rougis de moi-même et de ma servitude.

J’ai recueilli pour fruit de ma crédule ardeur
Le repentir, la honte, enfin la certitude
Que la faveur du monde est un songe trompeur.

Q8 – T20 – tr  (Pétrarque, rvf 1)